Mois des fiertés : non, changer la couleur de son logo ne suffit pas

Mois des fiertés : non, changer la couleur de son logo ne suffit pas

Le Mois des fiertés démarre ce jour et offre l’occasion de se pencher sur sa politique d’inclusivité avec plus de rigueur. Quelles sont les bonnes pratiques à adopter ? Comment ne pas tomber dans le rainbow washing ? Focus sur les leviers d’action qui font leurs preuves.

Par Aimée Le Goff

À quoi reconnaît-on une entreprise qui œuvre pour plus d’inclusivité ? Nicolas Pirat-Delbrayelle, consultant-expert diversités et inclusion chez têtu·connect, offre une première piste de réponse. « Quand on parle de parité seulement à l’occasion du 8 mars, quand on parle de handicap uniquement durant la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, on adopte un comportement opportuniste qui ne mène nulle part. C’est la même chose si l’on se contente de modifier son logo avec des couleurs arc-en-ciel en juin. C’est du diversity washing ».

Privilégier les actions en interne

Pour obtenir de réels résultats, certaines sociétés ont compris le choix vertueux d’inscrire leur politique de diversité dans la durée et de se tourner vers leurs équipes. « Les entreprises qui agissent réellement en faveur de l’inclusion sont celles qui mettent en place des choses qui ne se voient pas à l’extérieur », poursuit l’expert. Un exemple ? Durant le Mois des fiertés 2022, le groupe Publicis diffusait dans ses bureaux sa campagne #MaPlusGrandeFierté. L’exposition mettait en avant des personnes out en citant leur plus grande fierté : avoir traversé la Chine à vélo, avoir accompli des études prestigieuses, etc. « Le groupe a fait du Mois des fiertés un moyen de valoriser ce dont on peut être fier·e, et non ce qu’on n’a pas choisi. C’est aussi une façon de mettre toutes les orientations affectives sur un pied d’égalité ». 

Autre initiative prometteuse : la mise en place d’un réseau d’entreprise LGBTQI+, à l’image du réseau interne Pride de BNP Paribas, fondé en 2009 et réunissant aujourd’hui 4000 membres. Dans le secteur des médias, France Télévisions serait aussi bonne élève. « L’entreprise transmet de l’image. Elle a pu développer trois axes de politique de diversité à travers la fiction, le documentaire et le magazine d’information, analyse Nicolas Pirat-Delbrayelle. Elle est tout aussi enthousiaste sur ces sujets en interne. Ces dernières années, les ressources humaines ont notamment mis en place une véritable politique d’accompagnement de toutes les parentalités ». 

Des publicités loin des stéréotypes

Issues de secteurs variés, certaines marques misent quant à elles sur des campagnes publicitaires qui s’éloignent des stéréotypes de genre. Visa, sur la page d’accueil de son site, propose d’emblée une représentation très diverse de ses bénéficiaires, tandis que la marque de produits capillaires Pantene diffuse, depuis 2018, une campagne marketing en plusieurs actes baptisée #Hairhasnogender, mettant en avant des portraits de personnes trans. «Toutes les entreprises qui s’engagent n’ont pas le même niveau de maturité, constate l’expert. Certaines ont plus d’opportunités, plus de moyens, ou la chance de compter dans leur équipe une personne avec un bon niveau de décision, qui décide de faire son coming-out. Cela peut donner un coup de projecteur ». 

Communiquer avec les générations futures

L’échange avec les futurs effectifs de l’entreprise, qu’il faut aller chercher à la source, compte également comme une initiative inspirante. C’est ainsi que de nombreuses entreprises, soucieuses de partager leurs politiques Diversités & Inclusion avec leurs futurs talents,comme Société Générale, L’Oréal, BNP Paribas, AXA, Natixis et Publicis, entre autres, sont intervenues dans plusieurs écoles de commerce et de communication pour expliquer leurs actions en  termes de diversité et d’inclusion. 

Tolérance zéro face aux mots qui blessent

Adopter des bonnes pratiques, c’est aussi savoir réprouver les mauvaises. Condamner les attitudes offensantes, les comportements problématiques, les agressions du quotidien et les mots qui blessent. En 2021, l’Association des Journalistes Lesbiennes, Gays, Bi.e.s, Trans et Intersexes (AJL) a ainsi mis au point un « kit à l’usage des rédactions » afin d’inciter la profession à rayer les termes inexacts, approximatifs ou dépréciatifs de ses articles. Pour Anne-Laure Thomas Briand, Directrice Diversité, Équité & Inclusion chez L’Oréal France, « quand on sait qu’il y a eu de la pédagogie, de l’information et de la sensibilisation, on ne doit plus tolérer, on doit pouvoir sanctionner ». 

En interne, d’autres affirmations peuvent être combattues. « Quand j’interviens en entreprise, il y a deux arguments qui reviennent extrêmement souvent, constate l’expert. D’une part, on me dit que l’orientation affective relèverait uniquement de la vie privée ». Que répondre ? « 100% des avantages sociaux dans une entreprise ont comme contrepartie un événement de la vie privée ; donc notre vie privée est une partie constitutive de notre équilibre professionnel». De même, lorsqu’on lui indique que les sujets LGBTQI+ sont un phénomène de mode, Nicolas Pirat-Delbrayelle oppose un contre-argument fort : « un adolescent de 13 ans qui met fin à ses jours après trop de mal-être, c’est une mode ? » 

De possibles retours de bâton

Il faut le savoir, l’inclusion peut parfois coûter cher et les bonnes volontés ne sont pas toujours immédiatement récompensées. En avril 2023, le groupe brassicole AB-InBev a dû faire face à une vague de LGBTphobies et à un appel au boycott aux États-Unis, suite au partenariat lancé entre sa bière Bud Light et l’influenceuse trans Dylan Mulvaney. « On ne peut malheureusement pas éviter ces réactions, ni filtrer son marché en évaluant les opinions de sa clientèle, rappelle Nicolas Pirat-Delbrayelle. AB-InBev était aussi partenaire de la Coupe du monde de football au Qatar et a très bien réagi face aux interdictions de vente d’alcool et à la violence LGBTphobe sur place. L’entreprise a poursuivi ses actions de diversité et d’inclusion sans aller outre ce qu’imposait le pays hôte ».

Chemin aussi sinueux qu’indispensable, la politique de diversité comporte donc des risques, nécessaires pour mieux rebondir à long terme. À ce sujet, Nicolas Pirat-Delbrayelle suggère une dernière chose : « accepter d’apprendre. Accepter de se tourner vers des structures et des personnes qui peuvent transmettre le savoir sur les diversités présentes dans l’écosystème d’une entreprise. C’est en les nommant et en les valorisant qu’on construit, petit à petit, une véritable politique inclusive ».