Depuis 2018, la marque de produits capillaires décline une campagne de marketing inclusive, mettant en avant des portraits de personnes trans. Témoignages personnels et clips esthétiques composent les chapitres de cette opération baptisée #HairHasNoGender, diffusée à l’international
Par Aimée Le Goff
« Tout est parti d’un constat sur l’état de notre marque ». Pour détailler les coulisses de sa campagne, Helene Graffner propose un léger bond en arrière. Directrice de communication des marques capillaires Europe du groupe Procter & Gamble, elle est à l’origine de l’opération #HairHasNoGender menée chez Pantene. Diffusée en Europe et en Amérique du Nord, la campagne met en avant, dans des clips très esthétiques, des témoignages relatant le parcours personnel et professionnel de personnes trans, la construction de leur identité et le rapport entretenu avec leurs corps et leurs cheveux.
« En 2018, nous avons remarqué que l’engagement envers notre marque diminuait, qu’elle devenait un peu ennuyeuse. Nous nous sommes demandé : tout le monde se sent-il bien représenté avec nos produits ? Quelle est la réalité de notre société aujourd’hui ? ». Les recherches de Pantene pointent du doigt une donnée en particulier : pour dicter ce à quoi nos cheveux doivent ressembler, en fonction de notre genre, de notre âge ou de notre activité professionnelle, les préjugés sont légion.
Chercher l’expertise plutôt que le rainbow washing
Après cet état des lieux, Helene et son équipe décident de mettre l’accent sur l’inclusivité des personnes trans, particulièrement touchées par les stéréotypes. La marque se rapproche de l’agence de marketing suédoise Valtech Radon, qui la met en relation avec l’organisation canadienne Dress Code Project. Basée à Toronto, cette association organise des formations et ateliers en salon de coiffure pour transmettre les bonnes pratiques en matière d’inclusivité, pour garantir un service libéré des stéréotypes de genre et un meilleur accueil de la clientèle LGBTQI +.
Kristin Rankin, coiffeuse de formation, est la tête pensante de l’association : « J’ai tenu un salon pendant 10 ans à Toronto. La clientèle était très diverse. Un jour, après sa nouvelle coupe, une femme trans m’a confié que c’était la première fois qu’elle se sentait réellement reconnue comme femme dans un salon de coiffure ». Chez Pantene, Helene Graffner qualifie Kristin Rankin de mentor pour le travail réalisé ces cinq dernières années. « Avant de démarrer la campagne, nous avions à cœur de trouver les bonnes personnes pour nous éduquer sur ces sujets, pour nous former sur les histoires à raconter, et pour éviter de tomber dans le rainbow washing ».
Plusieurs chapitres pour marquer les esprits
Pour Helene Graffner, « les gens ont besoin d’entendre un message trois fois pour s’en souvenir ». Dans cette optique, la campagne de Pantene s’articule en chapitres successifs, échelonnés sur plusieurs années. Une première « vague » est lancée en 2019 en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni. Elle met en valeur des témoignages sur le rapport à soi, la vie personnelle et le fait de se sentir en accord avec soi-même, peu importe son identité de genre ou son orientation sexuelle. Les vidéos atteignent 17 millions de vues. En 2020, l’opération s’étend au Canada et aux États-Unis, avec cette fois-ci des récits relatant l’importance du soutien de sa famille, « biologique ou constituée en chemin ». L’été dernier, un troisième volet a été diffusé et étendu en Belgique, en Grèce et en Allemagne, avec des témoignages liés au manque d’inclusivité dans l’environnement professionnel. « Nous totalisons maintenant plus de 70 millions de vues », avance Helene Graffner. Toujours en collaboration avec Kristin Rankin, elle prépare un quatrième volet dont la date de diffusion n’est pas encore annoncée.
Des récits de vie authentiques
Comment trouver les bonnes personnes pour prendre la parole face caméra ? Tour à tour, les vidéos #HairHasNoGender mettent en avant des témoignages de mannequins, de professionnel·les et d’artistes, dont la musicienne trans Vivek Shraya. « C’était important pour nous de ne pas placer des discours tout faits dans la bouche des gens, indique Helene Graffner. Nous voulions que les récits de vie soient authentiques devant mais aussi derrière la caméra. Pour le premier volet de notre campagne, nous avons recruté un directeur de casting trans ».
L’année dernière, pour le chapitre consacré à l’environnement professionnel, une sélection minutieuse s’est opérée pour rendre visibles les témoignages de personnes travaillant dans de nombreux secteurs, y compris ceux réputés pour être les moins inclusifs. « Nous devions être certain·es que tout le monde puisse se sentir visible et représenté ». La communicante le confirme, l’impact de la campagne se ressent. « Nous avons reçu énormément d’appels et de témoignages très positifs, notamment de parents d’enfants trans. Bien sûr, nous avons aussi reçu de fortes réactions négatives. C’est la preuve que nous avons fait quelque chose de significatif ».
D’autres marques se mobilisent
En France, d’autres marques et groupes du secteur de la beauté commencent à se mobiliser sur ces sujets. En janvier 2023, le groupe franco-américain Coty, qui compte parmi les plus grandes entreprises de beauté au monde, a lancé sa campagne baptisée Undefine Beauty. L’objectif ? Faire changer la définition officielle, dans les dictionnaires imprimés, du mot « beauté ». « Faire évoluer les mentalités, c’est un engagement sur le long terme, confie une collaboratrice du groupe. Nous attendons d’abord des échanges sur la définition du mot, qui est encore très étroitement liée à la jeunesse et à des stéréotypes de genre ». En plus d’opérations marketing sur les réseaux sociaux, une pétition a été lancée en début d’année pour faire bouger les lignes. Parce que, estime le groupe, « si davantage de personnes se sentent incluses et se sentent belles, il y aura un effet d’entraînement qui nous touchera tous·tes ».