Pour comprendre l’homophobie dans le sport, il faut remonter le temps. Savoir que le sport est une micro-société, dont les valeurs sexistes virilistes ont traversé le XXème siècle jusqu’à aujourd’hui. À quelques jours du début des JO de Paris, têtu·connect revient sur la place de l’homosexualité dans l’histoire du sport.
Par Jeanne Casez
Il paraît loin, le temps où la tenniswoman française Amélie Moresmo révélait son homosexualité sur petit écran, embrassant sa compagne après la demi-finale de l’Open d’Australie, et déclenchant une tornade médiatique ainsi que des commentaires lesbophobes. C’était pourtant en 1999, il y a 25 ans. Depuis cette date, d’autres athlètes se sont rendus visibles, tout en restant très minoritaires. Comment et à quel prix les athlètes LGBTQI + ont gagné en reconnaissance au cours de ces dernières années ? Pourquoi les coming out de sportifs sont si tardifs, et si peu nombreux dans l’histoire du sport ?
Il faut d’abord dire que l’histoire des sportifs LGBTQI+, du moins celle qu’on connaît, est récente. Dans un pays, la France, qui dépénalise l’homosexualité en 1982, il n’est pas surprenant qu’aucun·e athlète ou presque n’ait fait son coming out au cours du XXe siècle.
Mais le sport est plus que le reflet de son époque. C’est aussi une micro-société, née dans les cercles élitistes, virilistes et sexistes de l’aristocratie anglaise du XIXème siècle, qui reste, encore aujourd’hui, définie par ses valeurs fondatrices. C’est à l’université de Cambridge, en 1848, que des étudiants rédigent une première ébauche des règles du football. Quelques années plus tard, le collège de la ville de Rugby fera de même pour le sport au ballon ovale.
“C’est une histoire de mecs”, résume Philippe Liotard. “Des hommes, qui jouent entre hommes. Ils sont jeunes, ils affichent une masculinité virile”, ne laissant “aucune place aux femmes ou aux homosexuels”. Le sociologue et historien s’est penché sur l’homosexualité et les questions de genre dans le sport au début des années 2000, époque qui ne connaît encore “aucun travaux français sur le sujet”. Il considère que par la suite, les régimes autoritaires de l’entre-deux-guerres ne vont pas changer le sport, mais plutôt l’utiliser tel quel, et le mettre en scène comme outil de propagande, tant les valeurs qu’il véhicule (“de conquête”, “d’affirmation du plus fort sur le plus faible”), collent aux ambitions fascistes.
À partir des années 1960, l’arrivée des femmes dans les compétitions sportives n’est qu’un terrain d’expression supplémentaire pour les idées sexistes et homophobes. Celles qui investissent des catégories jugées féminines ne sont pas inquiétées, tant qu’elles courent dans des tenues sexy, les cheveux longs et bien coiffés. En revanche, les femmes qui s’aventurent sur les terrains de rugby et dévoilent des musculatures développées sont perçues comme transgressives. Elles transgressent l’idée que l’on se fait du corps d’une femme, ou d’un sport réservé aux hommes. Selon Philippe Liotard, “c’est de cette transgression que découle la lesbophobie” : aux yeux de la société, “puisque ces femmes ne peuvent pas être des vraies femmes, elles sont donc supposément lesbiennes”. En réaction, des sportives, homosexuelles ou non, entretiennent alors leur apparence féminine, surinvestissent les jupes ou le maquillage pour contourner ce label lesbien qui menace de les étiqueter. C’est que l’ancienne doctorante Guillaume Pouliquen observe chez des joueuses de football, de handball et de rugby, dans une thèse publiée en 2007.
Les Gay Games consituent le premier espace où ces valeurs tendent à être inversées. Leur fondateur, Tom Wadell, est un ancien athlète américain homosexuel. Décathlonien, il participe aux JO de Mexico de 1968, qui sont pour la première fois le théâtre de revendications politiques minoritaires. Deux athlètes noirs, Tommie Smith et John Carlos, lévent le poing sur le podium pour signifier leur opposition à la ségrégation raciale aux Etats-Unis. À Mexico, il est encore un peu tôt pour brandir le drapeau arc-en-ciel mais une graine est plantée dans l’esprit de Tom Wadell, qui rentre aux Etats-Unis en rêvant de Jeux plus inclusifs.
L’inclusion, c’est l’un des principes fondateurs des Gay Games. Tout le monde peut s’inscrire à la compétition, dès la première édition, à San Francisco en 1982. La participation de personnes handicapées, de personnes trans ou de personnes vivant avec le VIH à une compétition sportive internationale remet en question la structuration du sport en catégories (hommes – femmes – handisport) qui poussent à l’invisibilisation des corps les plus faibles : “jusqu’ici, dans le sport, on ne s’intéresse qu’aux hommes, et parmi eux, à ceux qui réalisent les meilleures performances”, explique Philippe Liotard.
Répété tous les quatre ans, l’événement est aussi l’occasion de structurer et de définir le sport LGBTQI+. En France, cela entraîne la création d’une Fédération sportive gay et lesbienne en 1986, qui réunit aujourd’hui plus de 50 associations sportives. C’est enfin un espace de vivre ensemble pour la communauté elle-même.
Un tournant dans les années 2010
En 2008, Olivier Rouyer, ancien joueur de l’équipe de France de foot, aujourd’hui âgé de 69 ans, fait son coming out dans les colonnes de l’Equipe magazine. Un an plus tard, c’est le tour de l’international de rugby gallois Gareth Thomas. Chez les femmes, Megan Rapinoe fait bouger les lignes. Plus que de revendiquer le droit d’avoir les cheveux courts ou de jouer au pied quand on est une femme, la footballeuse américaine se rend visible en tant que lesbienne. Contrairement à d’anciennes joueuses homosexuelles, qui comme Marinette Pichon, ne veulent pas “forcer les gens à voir ce qu’ils n’ont pas envie de voir”, Megan Rapinoe s’expose alors qu’elle joue encore à haut niveau. Avec sa compagne, la basketteuse Sue Bird, elles sont le premier couple homosexuel à poser (nues) en couverture de The Body Issue, magazine d’une des plus gosses chaînes de télévision américaine.
Marinette Pichon et Olivier Rouyer témoignent dans le documentaire “Sport et homosexualité, c’est quoi le problème ?” de Michel Royer, dont la sortie, en 2009, prouve que le sujet sort du carcan universitaire à cette époque. Selon Philippe Liotard, les années 2010 sont aussi la décennie où l’“on passe d’une revendication communautaire à une vigilance collective”. La presse commence à remettre en question les chants et les inscriptions homophobes dans les stades. Le gouvernement s’empare progressivement du sujet. Ancienne secrétaire d’Etat chargée des sports, Rama Yade présente une charte de l’homophobie à faire signer par les fédérations sportives en octobre 2010. A partir de là, “on a posé les bases de ce qui n’est pas acceptable”, analyse Philippe Liotard. Qu’on le veuille ou non, qu’on y participe ou pas, l’homophobie dans le sport est un sujet dont on ne peut plus nier l’existence.
Les consciences évoluent pourtant lentement depuis le sursaut de 2010. Très rares sont les footballeurs professionnels français à avoir révélé leur homosexualité après Olivier Rouyer. C’est une réalité : le faire en 2024, c’est encore risquer de perdre ses sponsors, le soutien de son entraîneur ou d’une partie du public. Les coming out se limitent donc aux démarches isolées de sportifs et de sportives retraité·es ou qui évoluent dans des disciplines peu stéréotypées. La tendance serait même davantage au “backlash” (au retour de bâton). D’après Philippe Liotard, à mesure qu’ils gagnent en visibilité sur les réseaux sociaux, les athlètes LGBTQI + s’exposent à d’autant plus de réactions violentes que les idéaux masculinistes d’extrême droite, eux-aussi, gagnent en exposition médiatique.
Quant aux Jeux olympiques, l’événement reste le fruit des valeurs développées dans cet article. N’oublions pas que les athlètes transgenres et intersexes ne sont toujours pas autorisés à participer à la compétition par le comité d’organisation (CIO).