Victoire de Trump : quel impact sur les politiques D&I en France ?

Victoire de Trump : quel impact sur les politiques D&I en France ?

À la suite des élections américaines, un vent conservateur s’est mis à souffler sur les entreprises outre-Atlantique. Certaines ont rapidement remis en question leur politique D&I et leurs engagements environnementaux. Une situation similaire peut-elle se dessiner en France ? La juridiction nous en protège, pour le moment. Décryptage.

Par Aimée Le Goff

Il n’aura pas fallu attendre l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, pour mesurer l’impact de son élection sur les décisions des entreprises du pays. Début janvier, Meta annonçait la suppression de son service de modération et de fact-checking de ses réseaux sociaux, ouvrant la voie aux prises de position racistes et LGBT-phobes. Le géant de la grande distribution Walmart a de son côté supprimé sa politique DEI (Diversité, Équité et Inclusion), tandis que les trois banques américaines Citigroup, Bank of America et Morgan Stanley ont annoncé leur retrait de l’alliance bancaire pour le climat, avant même le discours d’investiture du 47e président des États-Unis.

Backlash pré-élections

Comment expliquer un tel backlash ? Laure Bereni, directrice de recherche au CNRS spécialisée en sociologie politique du genre et du travail, rappelle que les contours de ce retour de bâton se dessinaient avant le retour de Trump au pouvoir. Durant dix ans, elle a mené une enquête auprès de managers D&I aux États-Unis et en France. « Le backlash remonte à juin 2023, quand la Cour Suprême a décidé de mettre fin aux mesures de discrimination positive fondée sur la race dans les programmes de sélection des étudiants à l’université. Cette décision a des effets directs sur le monde du travail : beaucoup d’entreprises anticipent le fait que certaines mesures mises en place dans le cadre de leur politique D&I pourraient devenir illégales ». D’après la sociologue, la plupart de ces entreprises seraient plutôt frileuses. « À part celles qui ont une clientèle trumpiste, la plupart ne démantèlent pas complètement leur programme D&I mais les requalifient pour les dépolitiser et les expurger de ce qui est le plus visiblement progressiste ». Elle nuance : « À l’avenir, elles communiqueront simplement moins sur ce sujet ».

Pour la chercheuse, ce virage conservateur est d’autant plus violent qu’aux États-Unis, les mouvements D&I et antiracistes se sont renforcés en réponse à des faits sociétaux marquants tels que l’émergence du mouvement Black Lives Matter ou la mort de George Floyd, en 2020. « En Europe et en France, nous avons eu #MeToo, bien sûr, mais sur la question antiraciste, la plupart des entreprises françaises ne se sont pas du tout positionnées. Il y a eu une moindre considération de ces enjeux dans le monde des affaires ».

Pas de menaces juridiques

Le scénario américain pourrait-il se reproduire de notre côté de l’Atlantique ? « À ce stade, j’ai l’impression qu’on en est protégé, réagit Pascal Demurger, Directeur général de la MAIF et co-président du mouvement patronal progressiste Impact France. Début janvier sur LinkedIn, le dirigeant s’inquiétait d’une « contre-révolution en cours » aux États-Unis. « En France, les investissements se poursuivent, les réglementations ne sont pas remises en cause, expose-t-il. Par ailleurs, le fait est que les entreprises françaises, à quelques exceptions près, sont aussi moins avancées sur les sujets D&I ».

Le contexte juridique ferait donc encore office de barrière protectrice en France. « Ici, le droit est plus favorable aux politiques proactives qui visent à réparer les inégalités, à compenser les disparités, par exemple entre femmes et hommes, sauf sur les questions ethno-raciales, ce qui est une exception très importante, observe Laure Bereni. Les menaces ne sont donc pas juridiques. On sent en revanche davantage d’attaques d’ordre politique, notamment avec l’émergence du mouvement anti-woke ».

Mauvais calcul stratégique ?

Pour Denis Maillard, philosophe politique et consultant en relations sociales, « les entreprises françaises ne rentrent pas dans le jeu politique. Historiquement, elles ne se positionnent pas. En France, on reste structuré par l’idéologie républicaine universaliste. Aux États-Unis, la vision est beaucoup plus communautariste, les entreprises sont davantage polarisées ». Un constat que partage Pascal Demurger : « les entreprises qui ont avancé sur les sujets D&I l’ont fait pour des raisons de conviction, moins pour plaire aux pouvoirs. D’une certaine manière, cela les protège ».

Le dirigeant estime par ailleurs que la suppression des politiques D&I constituerait, en plus d’un manquement moral évident, un mauvais calcul stratégique : « Au-delà de l’obligation de l’employeur de développer ces politiques, celles-ci sont bénéfiques pour la performance de l’entreprise. Dans un marché du travail tendu, nous voyons bien que ces initiatives contribuent à nourrir la marque employeur, à attirer et à fidéliser. Si on renonce, on se prive de nombreuses expériences et de nombreux regards. Sans D&I, une entreprise risque une uniformité de la pensée et un manque crucial d’imagination ».

La question sociale ‘‘oubliée’’

Pour Laure Bereni, les entreprises devraient s’en tenir à une certaine modestie. « Les entreprises vertueuses n’existent pas. Ce sont des institutions dans lesquelles il est tout à fait louable de faire des efforts, mais souvent, en France, elles n’ont pas le choix en raison des mesures juridiques en vigueur. En affirmant leur positionnement progressiste, dans un contexte favorable à cette prise de décision, elles cherchent aussi à améliorer leur réputation d’entreprises vertueuses. Leur raison d’être reste la maximisation du profit ». Ce positionnement serait-il révisé en cas de prise de pouvoir par l’extrême droite ? « Ce n’est pas sûr, mais on ne peut pas écarter cette hypothèse », estime la sociologue.

Pour se prémunir d’un tel scénario, Elodie Baussand, à la tête du cabinet de conseil Tenzing, préconise, tout comme Denis Maillard, un bilan des politiques RSE et D&I mises en place depuis 40 ans. « S’agit-il d’un affichage ou d’une réelle égalité des chances ? interroge la consultante. Aujourd’hui, la grande oubliée reste la question sociale. Les véritables changements passent par une volonté de remettre en question les structures existantes, et par une approche plus nuancée et empathique de la responsabilité sociale. Cela concerne notamment la qualité de vie au travail ». 

Sur le sujet, une étude de l’agence de communication Bona Fidé publiée en novembre 2024, portant sur les attentes des salarié·es français·es, rapporte que 76% des sondé·es considèrent que l’entreprise devrait être plus démocratique. « Une entreprise ‘‘juste’’ fait attention à son recrutement, valorise tous ses talents, mais surtout, respecte un certain niveau de salaires et offre de bonnes conditions de travail », résume Elodie Baussand, avant de conclure :  « veillons à ne pas importer artificiellement en France ce qui se passe aux Etats-Unis, et à ne pas perdre de vue que ce débat concerne plutôt les grands groupes internationaux français. Plutôt que de suivre les tendances outre-Atlantique, il nous faut avant tout de la sincérité ».