Sport et discriminations : des mesures fermes mais insatisfaisantes pour les athlètes trans et intersexes

Sport et discriminations : des mesures fermes mais insatisfaisantes pour les athlètes trans et intersexes

Le 17 mai, à l’occasion de l’IDAHOT (journée internationale contre les LGBTphobies), Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, a dévoilé un plan d’action pour lutter contre les discriminations dans le milieu sportif. Si les mesures sont fortes, toutes ne font pas l’unanimité, notamment parmi les personnes trans et intersexes.

Par Etienne Brichet

« Incitations à la discrimination et à la haine, maintenant c’est dehors ! », a asséné Amélie Oudéa-Castéra à l’occasion de la conférence de presse organisée le 17 mai, jour de l’IDAHOT (International Day Against Homophobia and Transphobia). Des propos tenus deux jours après que des joueurs de football de Ligue 1 et Ligue 2 ont refusé d’afficher les couleurs arc-en-ciel sur leur maillot.  

Des queerphobies qui dominent le milieu sportif professionnel 

« Ce qui est chiffré peut être combattu. 77 % des Français perçoivent le milieu sportif professionnel comme étant homophobe », a indiqué la ministre des Sports, qui voit dans cette donnée – tirée de l’enquête IPSOS Perceptions et expériences de l’homophobie et de la transphobie dans le sport et attentes pour lutter contre ces violences – une incitation à agir.

Si 91 % des sondé·es affirment souhaiter la mise en place d’actions pour mettre fin aux discriminations dans le sport, les bonnes intentions ne suffisent pas (cf encadré). « Nous constatons depuis quelques années une montée des conservatismes et une transphobie grandissante. Certaines fédérations sont particulièrement conservatrices. La World Athletics, la World Rugby et la FINA posent des questions inquiétantes par rapport à des tests de féminité. C’est particulièrement discriminant », s’est inquiété Éric Arassus, co-président de la FSLGBT+ (Fédération Sportive LGBT+), à l’occasion de la conférence de presse. 

« Vous n’avez plus votre place dans nos stades si vous vous rendez coupables de ces agissements »

Après les constatations viennent les actions. Cette conférence a été l’occasion pour Amélie Oudéa-Castéra de présenter les mesures qu’elle compte mettre en place dans les prochains mois avec, dans un premier temps, une meilleure prise en compte des enjeux liés aux personnes LGBTQI+. Au programme : un guide de sensibilisation à destination des fédérations sportives, une commission anti-discrimination et égalité de traitement dans les fédération délégataires (sur la base du volontariat dans un premier temps), et la mise en place d’une Maison des Fiertés pendant les jeux de Paris 2024. En collaboration avec l’association Fier-Play, celle-ci sera installée dans le parc de la Villette. Présentée comme « un lieu sûr, identifiable et accueillant pour tous et toutes », la Maison des Fiertés proposera des ateliers de sensibilisation ainsi que des activités « festives, culturelles et pédagogiques ». 

La ministre des Sports annonce ne rien vouloir laisser passer en systématisant les sanctions contre les responsables d’actes queerphobes. Elle compte rendre automatique la peine complémentaire d’interdiction de stade pour les auteurs et autrices de propos discriminatoires lors des manifestations sportives. « Vous n’avez plus votre place dans nos stades si vous vous rendez coupables de ces agissements », a-t-elle indiqué. Amélie Oudéa-Castéra souligne l’importance de former les juges et arbitres aux LGBTphobies pour que les discriminations soient systématiquement identifiées et signalées, et demande également à ce que soient recensées, dans chaque fédération et ligue, les procédures disciplinaires en lien avec des actes LGBTphobes. Enfin, elle déclare vouloir systématiser le dépôt de plainte pour les associations et les fédérations ayant connaissance de discriminations envers les personnes queer. 

Afin d’ajouter une partie plus « positive » à son plan d’action, la ministre des Sports souhaite se concentrer sur l’inclusion et l’ouverture du milieu sportif à toutes et à tous, notamment avec l’octroi, à l’automne prochain, d’un agrément ministériel à la FSLGBT+. L’apport de soutien et de visibilité aux événements sportifs LGBT-friendly sera aussi de mise avec la Maison des Fiertés ainsi que les EuroGames à Lyon en 2025. La ministre conclut en annonçant vouloir encourager la pratique sportive des personnes transgenres dans le milieu amateur. Pour ce qui est du milieu professionnel, elle explique faire face à un dilemme, entre respect de l’inclusion et respect de l’équité sportive. 

Les athlètes transgenres et intersexes, persona non grata ? 

Si l’initiative de la Maison des Fiertés a été reçue positivement dans plusieurs pays à travers vingt-trois éditions comme au Canada, elle a parfois rencontré des difficultés pour son organisation, et a même été interdite et reléguée à un événement en ligne en 2014 lors des Jeux olympiques de Sotchi en Russie. Cependant, cette annonce ne fait pas l’unanimité. Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes y voient du pinkwashing à cause des positions ambiguës de la ministre des Sports vis-à-vis des personnes transgenres, sans compter son silence à l’égard des personnes intersexes. Peuvent-elles participer aux compétitions et aux jeux de Paris 2024 ? En avril dernier, Amélie Oudéa-Castéra indiquait déjà que la décision dépendrait de « chacune des fédérations internationales, qui régissent les règles relevant de leur discipline ». 

Une position qu’elle a précisé à l’occasion de la conférence de presse du 17 mai :  « Des personnes transgenres disent que, parce qu’elles sont des femmes à l’état civil, elles ont le droit de jouer. Cela ne peut pas être aussi simple parce qu’il y a un enjeu d’équité sportive. Cependant, on ne peut pas être dans une logique de fermeture. Nous devons éclairer davantage la réflexion en faisant appel aux experts scientifiques et médicaux ». Ainsi, la ministre a annoncé la constitution d’un groupe d’experts et d’expertes composé d’athlètes, de médecins, ou encore de représentants de fédération, et qui sera formé à l’automne prochain pour formuler des préconisations. « Il faut que nous ayons le plus possible des critères objectifs, mesurables et équitables pour favoriser l’inclusion des personnes transgenres dans nos compétitions sportives », conclut-elle. Ces critères ne seront cependant pas mis en place pour les jeux de Paris 2024.

Repenser les catégories dans le sport 

En attendant, les athlètes transgenres et intersexes restent accusées de tricherie sur fond de transphobie et d’intersexephobie car elles auraient un supposé avantage biologique par rapport aux athlètes cisgenres et dyadiques*. Mais les recherches biomédicales sont-elles la seule solution à laquelle le Gouvernement peut et doit faire appel ? L’étude Athlètes transgenres féminines et sport d’élite : examen scientifique publiée en novembre 2022 par le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES) met en évidence que « les femmes transgenres ayant suivi un traitement de suppression de testostérone ne profitent d’aucun avantage biologique net sur les femmes cisgenres dans le sport d’élite ». Au-delà des questions biomédicales, l’étude s’intéresse aux constats socioculturels. Si avantages il y a, le CCES estime qu’ils sont ailleurs : « Seulement certains facteurs biomédicaux sont soumis à un contrôle sous prétexte d’assurer “l’équité” dans le sport d’élite, malgré de solides preuves que des ressources financières et matérielles (comme l’accès aux infrastructures et équipements, la nutrition, le temps d’entraînement, les salaires plus élevés) confèrent un avantage dans les sports ». Sur ce point, l’étude montre justement que le sport féminin est moins valorisé que le sport masculin et dispose donc de moins de ressources, d’autant plus que « les femmes transgenres ont des conditions de vie teintées par la mobilité sociale descendante et la discrimination, notamment un accès restreint aux espaces vitaux ou des expériences de discrimination dans ces espaces ».

Dévaluation des valeurs féminines 

Louise Déjean, chercheuse associée au Centre de recherche sur les liens sociaux est intervenue lors de la conférence de presse du 17 mai. Elle a mené un important travail de recherche sur l’hétéronormativité au sein de sections de sport de combat de deux associations franciliennes. Lors de sa prise de parole, elle a expliqué avoir constaté que les positions queerphobes dans le sport sont influencées en partie par les variables de genre. « On observe une dévaluation des valeurs féminines et une supériorité des valeurs masculines », analyse la chercheuse. Et de poursuivre : « Il ne faut pas dissocier la question des LGBTphobies de la question du sexisme puisque ce sont des mécanismes qui sont liés ». Aborder l’inclusion des personnes transgenres et intersexes dans le sport à travers un prisme biomédical semble donc être une impasse si les aspects socioculturels et économiques ne sont pas pris en compte.

Au-delà de ces questions, d’autres pistes existent comme la remise en question de la bicatégorisation masculin/féminin qui structure le sport. Dans son étude, le CCES explique que « les politiques ayant un impact sur la participation des femmes transgenres dans le sport d’élite perpétuent une longue histoire d’exclusion des femmes des sports de compétition – une exclusion qui est d’ailleurs à l’origine de la création d’une catégorie “femme” dans les sports ». Pour Louise Déjean, il y a là une voie à privilégier : « Il faudrait favoriser une approche sportive mixte et dégenrée ». 

* Le terme « dyadique » désigne les personnes dont les caractéristiques physiques, chromosomique et/ou hormonales correspondent aux définitions binaires types des corps masculins et féminins. Les personnes dyadiques sont des personnes non-intersexes. 

Les discrimination dans le milieu sportif en chiffres :

  • 40 % des Français·es estiment que l’homophobie et la transphobie circulent davantage dans les sports en équipe et 57 % pour les personnes LGBTQI+. 
  • 46 % des Français·es ont été témoins d’un comportement homophobe ou transphobe dans le milieu sportif, un chiffre qui monte à 73 % pour les personnes LGBTQI+.
  • 29 % des personnes LGBTQI+ ne font pas leur coming out dans le milieu sportif.