En matière d’inclusion des personnes LGBTQI+, le monde du sport fait régulièrement figure de mauvais élève. Mais qu’en est-il vraiment ? En octobre 2022, la sociologue Louise Déjeans a réalisé une enquête dans le cadre de l’INJEP (l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) portant sur les LGBTphobies dans le monde sportif. En 2022, comment se manifestent-elles dans l’espace sportif ? Est-ce une affaire de classe sociale ? Comment expliquer que l’homosexualité masculine soit toujours aussi invisibilisée ? Interview avec Louise Déjeans.
Par Léa Taïeb
Pourquoi réaliser une enquête sociologique sur les LGBTphobies dans le monde sportif ?
En France, plusieurs travaux en sciences sociales portant sur l’homophobie dans le sport montrent l’héritage historique d’une culture sexiste et homophobe. Étant donné le contexte post #metoo, j’ai voulu mettre en perspective ces analyses : qu’en est-il des LGBTphobies dans l’espace sportif aujourd’hui ?
Vous avez choisi d’étudier des sections sportives associatives (spécialisées dans les sports de combat : boxe et escrime) situées dans deux secteurs d’Île-de-France (l’une est située dans un secteur relativement privilégié, l’autre dans un secteur relativement fragilisé). Dans ces deux milieux sportifs, comment se manifestent les violences LGBTphobes ?
La visibilité croissante des luttes contre les LGBTphobies rend les discriminations plus difficilement observables, plus insidieuses. Dans l’analyse, j’ai pris en compte la volonté des personnes sondées de se présenter sous leur meilleur jour en éloignant le stigmate homophobe. Derrière les discours de tolérance qui sont affichés, un second niveau de lecture de l’enquête révèle la persistance d’un malaise autour de la place de l’homosexualité masculine dans le sport. Ce malaise s’exprime à travers l’usage encore assez banalisé de plaisanteries et d’insultes à caractère LGBTphobes. Mais surtout, il se lit dans toutes les classes sociales, à partir du constat de l’invisibilisation des gays et au contraire de la banalisation des lesbiennes. C’est la valorisation de la norme masculine qui explique le maintien du tabou à l’égard des hommes homosexuels. Les injonctions viriles continuent de peser sur les hommes sportifs, indépendamment des appartenances de classe.
Comment expliquer que l’homosexualité féminine soit plus visible que l’homosexualité masculine ?
Pour expliquer cette différence de visibilisation entre l’homosexualité masculine et féminine, il faut comprendre que les transgressions des normes de genre sont inégalement sanctionnées. Dans l’espace sportif, le masculin se place en haut de la hiérarchie des valeurs. Les femmes lesbiennes (perçues comme éloignées des codes sociaux féminins) y trouvent plus facilement leur place. En se “rapprochant” symboliquement de cette norme, elles sont positivement investies des caractéristiques masculines. Elles se montrent plus facilement et leur présence est ensuite banalisée. À l’inverse, les gays trahissent leur classe de sexe. Ils se retrouvent alors déclassés dans l’échelle des masculinités sportives.
Même si les LGBTphobies ne s’expriment pas toujours très clairement dans le sport, les injures mais surtout les plaisanteries LGBTphobes n’ont pas encore disparu. Quel est leur “rôle” dans un tel environnement ?
Les insultes et les propos LGBTphobes (souvent assimilés à de l’humour par leurs auteurs) servent, d’une part, à sanctionner symboliquement les déviances de genre et à rappeler son appartenance au groupe des hommes. L’homophobie joue, en quelque sorte, un rôle social dans la préservation de l’identité masculine. D’autre part, l’usage normalisé des blagues et des insultes est loin d’être anodin, parce qu’il implique une présomption d’hétérosexualité et incite au conformisme hétéronormé.
Quels dispositifs peuvent-être envisagés pour que le milieu sportif soit plus inclusif ?
Je sors ici de ma posture de sociologue, mais on ne peut pas traiter la question des LGBTphobies sans traiter celle du sexisme. Les préjugés et les stéréotypes de genre sont au fondement des discriminations LGBTphobes et participent d’un même système de promotion d’une masculinité hégémonique. Or, même si les femmes intègrent de plus en plus l’espace du sport, elles restent minoritaires, et en particulier, aux postes de pouvoir et de direction. Dans ce contexte de supériorité numérique, les hommes sont décisionnaires des modalités pédagogiques, ce qui participe au maintien de l’ordre hétéronormatif, à la reproduction des stéréotypes et des inégalités de genre. Il conviendrait donc d’inciter plus de femmes à exercer des postes d’encadrement. Le sujet de la formation est également un levier important à considérer, notamment dans les lieux où se « fabriquent » les entraîneur·es. Il s’agirait enfin de rendre visible la thématique LGBTQI+ dans le sport, qui souffre d’être considérée comme un « non-sujet », comme une question privée et, pire encore, comme un aveu de faiblesse dans un domaine où la performance est reine..
Aujourd’hui, l’INJEP, en produisant des enquêtes de ce type, a surtout vocation à jouer un rôle de passerelle entre les différents acteurs, à éclairer la décision publique. Peut-être que cette enquête sera suivie d’actions?