Réseaux d’entreprises LGBTQI+ : mais où sont les hommes cisgenres hétéros ?

Réseaux d’entreprises LGBTQI+ : mais où sont les hommes cisgenres hétéros ?

Si la présence des allié·es est essentielle au sein des réseaux de collaborateurs et collaboratrices LGBTQI+, les hommes cisgenres* hétérosexuels ne se bousculent pas au portillon. têtu·connect en a rencontré deux, qui expliquent comment leur engagement auprès de la communauté permet de faire grandir à la fois les salarié·es, et leur entourage personnel.

Par Alexandra Tizio

Groupes LGBTQI+ recherchent alliés désespérément. Les hommes cisgenres hétérosexuels se font très rares au sein des Employee Resource Groups (ERG) LGBTQI+. Pourtant, la mobilisation des allié·es est essentielle pour booster l’inclusion des diversités lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers ou encore intersexes, au sein des entreprises. Qu’elles soient concernées par la cause – des parents dont l’enfant est homosexuel par exemple – ou non, ces personnes sont d’une aide précieuse, car elles permettent de soutenir les personnes LGBTQI+, et de sensibiliser les autres salarié·es sur les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle. Et de participer ainsi à la lutte contre les discriminations au travail. Si de nombreuses femmes l’ont compris, et s’engagent auprès de ces réseaux, les hommes se comptent sur les doigts de la main. Parmi ses dizaines d’entreprises partenaires, têtu•connect identifie seulement quatre alliés de sexe masculin.

Crainte de l’assimilation et manque d’empathie ?

Si les hommes cisgenres hétéros sont si peu impliqués dans les ERG LGBTQI+, c’est qu’ils craignent d’être assimilés, suppose Nicolas Pirat-Delbrayelle, consultant-expert diversité & inclusion pour têtu•connect. « Ils se disent qu’en rejoignant ces groupes, ils seront potentiellement identifiés comme homosexuels. Cela veut dire que s’ils soutiennent des personnes en situation de handicap, ils sont handicapés ? », lance l’expert. Et de lever le voile sur une autre raison : « Il y a aussi la peur de perdre pied face à un sujet qu’ils ne maîtrisent pas du tout, et par rapport auquel ils n’ont aucune référence. »

Les premiers ERG ont vu le jour dans les années 1960, en réponse aux tensions raciales aux États-Unis. Puis, le concept s’est développé à la fin des années 1970, avec la création du groupe Black Women’s Leadership Council, pour l’inclusion des femmes noires chez Xerox, et le Gay and Lesbian Employee Network (GLEN), pour l’inclusion des homosexuel·es chez Hewlett-Packard. Ce n’est qu’au début des années 2000 que les réseaux LGBTQI+ sont arrivés en France. Entretemps, les premiers groupes créés pour favoriser l’égalité homme-femme étaient interdits à la gent masculine. « Historiquement, l’homme hétéro a toujours été exclu des dispositifs, sous prétexte que c’est un homme. Quand on a créé des ERG pour les personnes en situation de handicap, les hommes étaient réduits à leur handicap. Et quand on s’intéressait aux enfants en situation de handicap, on parlait de leur relation avec la maman, mais pas avec le papa », constate Nicolas Pirat-Delbrayelle. Un écart qui semble s’être creusé au fil des années.

Simon De Forni, manager au sein du cabinet de conseil et stratégie Oliver Wyman, est l’un des rares hommes cisgenres hétérosexuels membres d’un ERG LGBTQI+ & allié·es en France. Une situation qu’il explique ainsi : « Je pense que les femmes ont plus d’empathie et d’intelligence relationnelle à ce niveau-là. Étant elles-mêmes confrontées à de la misogynie, elles ont conscience que les personnes LGBTQI+ sont potentiellement victimes de discriminations. »

« Contribuer à la mise en place d’un environnement inclusif »

S’engager auprès de la communauté LGBTQI+ en rejoignant l’ERG PrOWd lui tenait particulièrement à cœur. En effet, Simon De Forni a été sensibilisé à la cause dès son plus jeune âge, en apprenant que son oncle était mort du Sida sans avoir pu dire à ses propres parents qu’il était homosexuel. Quelques années plus tard, son meilleur ami fait son coming out. « Quand il m’a dit qu’il était extrêmement soulagé de voir que ça n’allait pas changer notre relation, c’est là que j’ai compris toute l’appréhension et la souffrance qui pouvaient entourer le coming out et ses conséquences », raconte le jeune homme. « Je me suis dit qu’à mon échelle, je pouvais contribuer à la mise en place d’un environnement inclusif au sein d’Oliver Wyman. Et que des collaboratrices et collaborateurs auraient peut-être plus de facilités à faire leur coming out ou à assumer pleinement qui ils sont », poursuit Simon De Forni. En effet, la présence des allié·es au sein des groupes LGBTQI+ est une force non négligeable.

 « Je le fais aussi pour moi et pour mes enfants »

Simon De Forni apporte sa pierre à l’édifice de bien des manières. « La façon la moins visible, mais très efficace, c’est d’aider toutes les personnes travaillant chez Oliver Wyman à être plus inclusives dans leurs paroles et dans leurs actes au quotidien, parce que dans leur audience il peut y avoir des personnes LGBTQI+ », explique-t-il. Rejoindre le réseau lui a aussi permis de « progresser » sur son propre comportement, dans sa vie personnelle. « Grâce aux événements têtu•connect, j’ai aussi reçu un enseignement sur la manière dont il convient de réagir lorsqu’une personne fait son coming out : la remercier pour sa confiance, et ne pas lui dire ‘Ça ne me dérange pas’, ce qui sous-entend que ça peut être dérangeant. »

De son côté, Guillaume Grillat a le sentiment d’aider les personnes LGBTQI+ à assumer qui elles sont au travail, grâce aux espaces de paroles protégés et valorisés par les directions. Sollicité par une de ses collègues chez leboncoin, ce Tech Community Ambassador découvre le chan Slack interne #lbc-lgbtqi, un espace de parole pour la communauté LGBTQI+ du boncoin, lors de son arrivée dans l’entreprise en 2020. Papa de deux enfants en bas âge, Guillaume Grillat tient aussi à leur apporter cette écoute bienveillante. « Tout le chemin que nous faisons chez leboncoin avec cette communauté, je le fais aussi pour moi et pour mes enfants. J’ai l’impression que mes collègues m’ont donné quelques clés de compréhension plus forte, pour aider mes enfants à grandir en étant elles et eux-mêmes. »

« C’est aussi la boîte qui y gagne »

Que ce soit pour leur entourage personnel, pour leurs collègues ou pour eux-mêmes, Guillaume Grillat et Simon De Forni estiment que leur engagement auprès de la communauté LGBTQI+ est dans l’intérêt de tou·te·s. « Si on met en place des conditions favorables qui aident les gens à s’épanouir et à assumer qui ils sont, nul doute que le cadre collaboratif sera renforcé, et au final c’est aussi la boîte qui y gagne », souligne le premier. « On vit en communauté dans l’entreprise. Pour moi, faire abstraction de la diversité des personnes revient à ignorer tout un pan de l’intelligence relationnelle, car on ne peut pas tout dire ou se comporter de la même façon avec tout le monde », ajoute le second. Par ailleurs, si certains pensent que l’homosexualité n’a pas lieu d’être évoquée au travail, Simon De Forni s’exprime ainsi : « Les gens ne viennent pas au bureau qu’à 50%. Ils viennent avec leur bagage professionnel, mais aussi avec toute leur sphère personnelle qui les constituent à part entière. »

Quotas et rôles modèles : des clés pour une plus grande implication ?

Alors, comment attirer les hommes cisgenres hétéros au sein des ERG LGBTQI+ ? « Je ne vois pas d’autre méthode que celle des quotas, qui serait imposée par l’entreprise, suggère Nicolas Pirat-Delbrayelle. On ne peut pas parler de diversité si 40% des effectifs ne sont pas représentés ». Simon De Forni abonde dans son sens : « Il faudrait peut-être être plus coercitif, de manière temporaire. Rendre obligatoires les événements et formations organisés par l’ERG, dans un premier temps. Je pense que les gens qui sont un peu plus sensibilisés s’ouvriront naturellement au sujet. » Le salarié de chez Oliver Wyman propose aussi de distinguer les membres LGBTQI+ et les alliés. « Ce serait peut-être une solution, qui n’est pas idéale, mais qui pourrait contrer cette peur de l’assimilation. »

Guillaume Grillat, lui, met en avant l’idée de représentativité et d’incarnation. « Il faut qu’il y ait des rôles modèles qui émergent. Le mieux, ce serait que des managers alliés parlent avec leurs équipes pour que les gens prennent des initiatives. La notion d’exemplarité est très forte en France, et je pense que les symboles et les messages passés sont beaucoup plus forts que les directives et les lois. Récemment, un collaborateur s’est autorisé à faire son coming out non-binaire au bureau. L’accueil de la nouvelle par les équipes fut extraordinaire. Et ça, c’est une vraie satisfaction pour la suite. » Le Tech Community Ambassador met aussi en avant le poids des mots : « Je trouve que le terme ‘allié’ comporte une notion d’engagement très forte, tandis que le mot ‘soutien’ est plus à notre portée. Ça fait moins peur, et peut-être que l’exprimer ainsi pourrait aider les gens à se libérer et prendre des initiatives. »

(*) Personne dont le genre ressenti correspond à celui qui lui a été assigné à la naissance.