Les clubs de boxe LGBTQI+ : safe spaces à destination des victimes de LGBTphobies 

<strong>Les clubs de boxe LGBTQI+ : safe spaces à destination des victimes de LGBTphobies </strong>

Suite à l’interview de la sociologue Louise Déjeans sur les LGBTphobies dans le monde sportif, têtu•connect s’est penché sur les personnes qui choisissent de boxer au sein de clubs LGBTQI+ et féministes. Pourquoi ce choix? Quel est le rôle de ces clubs? Permettent-ils de faire avancer l’inclusion ou, au contraire, enferment-ils dans un entre soi?

Par Léa Taïeb

Fin 2022, Louise Déjeans a réalisé une enquête dans le cadre de l’INJEP (l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) sur les LGBTphobies dans l’espace sportif. Dans son enquête, elle révèle “le malaise autour de la place de l’homosexualité masculine dans le sport”. “Ce malaise s’exprime à travers l’usage encore assez banalisé de plaisanteries et d’insultes à caractère LGBTphobes. Mais surtout, il se lit dans toutes les classes sociales, à partir du constat de l’invisibilisation des gays et au contraire de la banalisation des lesbiennes”, remarque la sociologue. Précisons que toutes les personnes interviewées dans cet article témoignent aussi de la culture viriliste, misogyne et LGBTphobes prédominante dans la majorité des clubs de boxe (en particulier dans  la boxe anglaise). À partir de ce constat, de quelle façon les personnes LGBTQI+ s’organisent-elles pour pratiquer la boxe tout en étant elles-mêmes ? 

Des clubs à destinations de toutes celles et tous ceux qui ne se sentent pas à l’aise dans les clubs mainstreams

En 2010, deux amis, Fabien Wiktor, un homme gay et Nicolas Chauvelot, un homme hétérosexuel co-fondent le Paname Boxing Club, “une association pour donner accès à l’enseignement de la boxe française, pour que toutes les personnes lesbiennes, gays, trans, non binaires, queers, hétérosexuelles qui ne se sentent pas à l’aise dans les clubs mainstream puissent pratiquer la boxe dans un environnement qui ne les discrimine pas”, informe Nicolas Triballeau, président de l’association. Il y a cinq ans, Roxane Moign ne supportait plus le sexisme et la lesbophobie dans les clubs “classiques”. “J’en avais marre de la drague systématique des hommes, de la norme cisgenre hétérocentrée qui s’imposait dans les vestiaires”. Elle décide alors de rejoindre le Paname Boxing Club “pour ne plus vivre dans le mensonge et se donner à 100% dans la pratique de la boxe”. 

Audrey Chenu, entraîneuse de boxe, est à l’initiative de “Un ring pour tout·es”, une association de boxe anglaise à destination des femmes (lesbiennes, hétérosexuelles, trans, …), des personnes non binaires et des hommes trans de Seine-Saint-Denis. Pourquoi créer un tel espace en 2017 ? “Dans les cours de boxe anglaise (la discipline a été ouverte aux femmes par les instances sportives  en 1997), il y a très peu de femmes. Lorsqu’elles sont présentes, elles sont très souvent maltraitées et victimes de sexisme ordinaire de la part des boxeurs”, répond l’entraîneuse de boxe. En début d’année, près de 20% des inscrit·es à un club sont des femmes. Au fil de l’année, le pourcentage de femmes diminue inexorablement. “En même temps, les clubs n’évoluent pas dans leur mode de fonctionnement pour les accueillir correctement”. Avec son association, Audrey Chenu peine à obtenir un local digne de ce nom, donc, à inscrire ses actions dans la durée. 

Les spécificités d’un club LGBTQI+ 

Pour intégrer le Paname Boxing Club, chaque personne qui candidate doit remplir un dossier d’inscription et si elle le souhaite, elle peut expliquer ses motivations, le pourquoi de sa candidature. “De nombreux témoignages portent sur la crainte d’être stigmatisé·e en raison de son orientation affective ou de son identité de genre. Certaines personnes relatent des discriminations vécues directement liées à leur orientation affective, leur identité ou leur expression de genre”, ajoute Nicolas Triballeau. Rémi Pastor, qui fait partie de l’association depuis plusieurs années, était prêt à renoncer à la boxe plutôt que de rejoindre un club non LGBTQI+. “Je suis gay et j’avais envie de me sentir bien dès le début”, explique-t-il. Et de poursuivre : “je n’avais aucune envie de prendre le risque de m’exposer à l’homophobie, à l’intolérance”. Pour beaucoup de membres, l’association n’est pas qu’un club de boxe, c’est aussi un espace de sociabilité LGBTQI+, un safe space, un “espace pour partager des expériences”. 

De plus en plus, l’association valorise ses actions auprès d’autres profils comme des femmes lesbiennes et trans, encore sous-représentées. “Même dans un cadre LGBTQI+, les femmes sont très minoritaires à prendre la tête des instances dirigeantes. C’est pourquoi ces espaces doivent encore travailler sur leur capacité à inclure et à représenter toutes les diversités”, estime Roxane Moign, aujourd’hui membre du CARGO (Cercle Associatif Rhônalpin Gay Omnisport qui compte 730 adhérent·es) à Lyon et responsable de l’activité boxe française. Elle ajoute : “pour que les femmes soient plus visibles, plusieurs solutions peuvent être envisagées, je pense, par exemple, à la mise en place de quotas”. 

La particularité de la boxe française 

Le Paname Boxing Club enseigne la boxe française, une discipline qui repose sur la touche sans aucune puissance (le but c’est de “toucher” un maximum sans être touché·e pour autant). Autrement dit : “si vous cherchez à appuyer vos coups voire à mettre votre adversaire KO, vous êtes disqualifié·e”, explique le président de l’association. Dans la boxe française, “l’aspect technique prime : on apprend à gérer sa puissance, pas à casser des gueules”, complète Rémi Pastor, responsable communication de l’association. 

“C’est la raison pour laquelle, on peut boxer en mixité : hommes, femmes et personnes non binaires peuvent se faire face”, renseigne Nicolas. Mais, ce n’est pas parce que le Paname Boxing Club (et d’autres clubs plus hétéronormés) banalise les rencontres en mixité que c’est le cas en compétition. “Pour le moment, les compétitions non genrées ne sont pas autorisées et la question de la transidentité dans la boxe n’a pas encore été tranchée. Mais c’est une discussion qui n’est pas fermée”. D’après Nicolas, la fédération envisagerait d’évaluer le fair play des assauts pratiqués en mixité (à catégories de poids égales). “Si aucun avantage lié au genre n’est mis en évidence, nous espérons que cela permettra de soutenir une évolution du règlement de notre sport”.

Agir en faveur de plus d’inclusion dans la boxe française 

“En étant performant·e sur le ring et en remportant des médailles (au niveau régional et national), on montre à nos adversaires que l’on est un club comme les autres, qu’il n’y a pas de différence entre une boxeuse lesbienne et un boxeur cisgenre hétéro”, poursuit le président du Paname. D’année en année, le club gagne en adhérent·es, en visibilité et impacte d’autant plus les décisions de la fédération Internationale de Savate. “Nous pourrions faire partie du Top 10 des clubs de boxe française les plus importants si nous avions la capacité d’accueillir 300 personnes”, rappelle-t-il. 

En plus des compétitions qui peuvent faire évoluer les mentalités, les clubs LGBTQI+ peuvent aussi montrer l’exemple en étant irréprochable sur le plan de l’inclusion et de la diversité. La Fédération Sportive LGBTQI+ (FSGL) mène actuellement une grande enquête sur les LGBTphobies ressenties ou vécues par les membres des clubs LGBTQI+. L’occasion d’une nouvelle introspection.