“Le sort fait les parents, le choix fait les amis”. Si ce constat lyrique du poète Jacques Delille semblait incontestable dans la France du XVIIIème siècle, qu’en est-il aujourd’hui ? Et si, désormais, les parents pouvaient se choisir entre eux ? Bien qu’aucune statistique n’existe encore en France, la coparentalité choisie s’affirme comme une réalité sociale. Une manière de réinventer la famille, où deux personnes ou plus décident d’élever ensemble un enfant sans partager de relation amoureuse.
Par Selma Chougar
En 2019, Caroline, journaliste reporter à la carrière trépidante, réalise que son horloge biologique tourne : “Je désirais un enfant mais je n’avais pas eu la chance de trouver l’homme avec qui fonder une famille”. Sa vie professionnelle, marquée par de fréquents déplacements, l’empêchant de s’investir dans une relation durable, elle décide de ralentir le rythme : “Je partais souvent en reportage, le gilet pare-balles sur le dos. Il était difficile d’entretenir une relation amoureuse dans ce contexte et encore moins d’envisager une famille”, confie-t-elle. La pandémie de Covid-19 accélérant sa prise de conscience, elle s’inscrit sur un site de rencontres dédié à la coparentalité : “Je ne voulais pas être une maman solo, je voulais une altérité. J’avais besoin qu’il y ait cette confrontation des points de vue”, précise-t-elle. Très vite, elle y fait la rencontre de Vincent et Arnaud, un couple : “On souhaitait être pères, mais l’adoption est un long processus et la GPA nous semblait peu éthique. On tenait à ce qu’il y ait une figure maternelle”.
Comme elle, de nombreux adultes ayant privilégié leur carrière professionnelle franchissent le pas. “Trouvez votre coparent idéal avec Coparentalys”, annonce l’un de ces sites, qui promet de trouver non pas l’amour, mais le partenaire idéal pour fonder une famille. Les profils sont aussi variés que les attentes : couples de femmes cherchant un géniteur, hommes célibataires désireux de devenir pères, mamans solos en quête de famille recomposée… Évidemment, les aspirations doivent s’accorder. Deux mamans et deux papas, une mère et deux pères, ou tout simplement deux coparents : il existe autant de configurations que de besoins. Mais alors, cette infinie diversité de schémas familiaux est-elle vraiment le reflet d’une société plus inclusive ou est-ce le signe d’une inlassable marchandisation des relations ?
Parenté sans romance : une nouvelle ère familiale ?
Les personnes en quête d’une coparentalité épanouie ne se limitent pourtant pas à la sphère virtuelle : “Je l’ai rencontré, et j’ai su que nous devions élever un enfant ensemble. C’est un grand ami, mais nous ne sommes pas en couple”, confie une internaute sur Instagram pour partager à ses abonnés sa nouvelle vie de jeune maman. Pour certains, le sentiment amoureux entre les parents ne serait plus une condition sine qua non pour élever un enfant : “J’ai fini par me dire que la parentalité pouvait être dissociée de la vie amoureuse”, affirme Caroline avec conviction. Lysandre, médecin, en est également persuadé. Après une rupture avec son compagnon, il décide de fonder une famille avec une collègue : “Nous avions tous les deux un désir d’enfant. Nous nous entendions bien, alors nous sommes devenus amis, puis coparents”, raconte-t-il simplement.
Alors, si l’amour ne prime plus, comment choisir le coparent idéal ? Forte des désillusions de certains couples amoureux, Caroline souhaitait apprendre à connaître les deux papas avec lesquels elle avait matché. Si lister ses attentes envers ses futurs coparents peut avoir un caractère consumériste, cette approche est, pour certains, une manière réfléchie d’éviter de futurs conflits. Pendant neuf mois, le trio se rencontrait une fois par semaine : “On n’a pas perdu de temps avec toutes les considérations amoureuses. On a parlé de valeurs, de famille, d’éducation. On est allé à l’essentiel”, raconte-t-elle. “Il fallait que nous nous entendions humainement et que nous partagions une organisation commune”, ajoutent Vincent et Arnaud.
Des familles réinventées, des droits encore à adapter
L’absence de cadre traditionnel dans la coparentalité incite à des arrangements sur-mesure. Lysandre et sa coparent, par exemple, ont choisi de vivre sous le même toit : “On vit tous les trois et j’essaie de prendre en considération son travail et ses impératifs pour éviter tout déséquilibre de la charge mentale”. De leur côté, Caroline, Vincent et Arnaud – coparents du petit Paul, deux ans – habitent dans la même rue et ont opté pour une vie de famille partagée : “Paul dort la moitié du temps chez ses papas et la moitié du temps chez moi, mais on se voit tous les soirs pour faire le rituel du dîner, du bain et du coucher ensemble”, souligne la maman avec fierté. Ce modèle, qui lui convient parfaitement, allège même sa charge mentale : “Quand tu es une femme seule avec deux papas, ils se doivent d’être responsables. Ce sont des parents absolument fonctionnels”.
Choisir ses coparents, serait-ce alors la clé pour bâtir une famille sur des bases solides et partagées ? “Cela évite les problèmes organisationnels qui peuvent survenir dans une relation amoureuse où l’on choisit son partenaire avant tout pour l’amour”, remarque Lysandre. Pourtant, l’absence de cadre juridique clair limite parfois les libertés de ces familles : “En droit français, seuls deux parents sont reconnus légalement. Les partenaires ou compagnes autour n’ont pas de statut parental, sauf exceptions très spécifiques”, précise l’avocate Caroline Mécary, spécialiste des droits LGBT. Elle ajoute néanmoins : “Il est toutefois possible de partager l’autorité parentale dans le cadre d’un trio, voire d’un quatuor.”
Le flou juridique sur la question de la coparentalité à plus de deux impacte ainsi la vie en entreprise souligne l’avocate : “L’entreprise se retrouve à choisir ses propres règles et ses propres droits des travailleurs. Il n’y a pas d’uniformité dans le traitement, donc pas d’égalité”. Comme le montre la situation d’Arnaud et Vincent : “Je ne suis pas le parent légal, mais j’ai obtenu un congé paternité”, témoigne Arnaud, dont l’entreprise a signé la charte de l’Autre Cercle, qui garantit des droits étendus aux familles LGBT. À l’inverse, Vincent, père légal, reste discret au travail : “Je suis dans une entreprise traditionnelle, et ma carrière est en plein essor. Je ne peux pas me permettre de tout révéler.” Si la coparentalité choisie incarne la liberté de réinventer les liens parentaux, elle révèle aussi les limites imposées par des cadres législatifs et sociaux encore rigides. Peut-être qu’au-delà de l’amour romantique, ce sont la solidarité, l’entente et le partage qui redéfiniront, demain, ce que signifie “faire famille”.