À 21 ans, Halba Diouf rêvait de participer aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Mais ses espérances ont volé en éclats lorsque la Fédération internationale d’athlétisme a pris la décision, il y a quelques mois, d’interdire les compétitions aux femmes transgenres.
Par Marie Roy
Quand Halba Diouf parle, son débit est très rapide, à l’image de son chrono sur le 200 mètres. Et si elle ralentit parfois, c’est seulement quand elle évoque ses frustrations et sa colère. Car la jeune femme a une bonne raison d’être amère : le 23 mars 2023, Sebastian Coe, président de la Fédération internationale d’athlétisme, a annoncé l’interdiction pour les femmes transgenres de participer à des compétitions internationales.
Une déclaration qu’Halba Diouf n’arrive toujours pas à comprendre. « Quand la décision est tombée, je me suis demandé si les décisionnaires avaient conscience de ce qu’ils venaient de faire : bannir celles et ceux qui sont déjà exclus ». Et, Halba sait de quoi elle parle, car en tant que femme et athlète transgenre, son parcours est jalonné d’obstacles et d’exclusions. Et ce, depuis l’enfance.
« Ces questions ne se posaient pas »
La vingtenaire a toujours su qu’elle était une femme et sa mémoire est marquée au fer rouge par des souvenirs d’enfance, que ce soit avec ses sœurs ou ses copines du primaire, où sa masculinité lui est renvoyée de plein fouet : « Je me rappelle d’une discussion avec mes copines, on parlait de nos rêves. Moi je disais que je voulais être mère, porter la vie, me marier. » Mais une camarade lui explique avec la cruelle franchise qu’ont les enfants que « ce n’était pas possible, parce que j’étais un garçon ». Halba tente alors d’aborder le sujet avec sa mère. Mais appartenant à une famille de confession musulmane et ayant une double culture soudanaise et sénégalaise, « ces questions ne se posaient absolument pas et ma mère m’a vite fait comprendre qu’il fallait oublier. »
Parallèlement, Halba pratique le sport. Du foot, d’abord, puis des sports de combats. Elle découvre ensuite l’athlétisme : « J’étais en 6e ou au CM2 et je suis arrivée première d’un cross. Un entraîneur était présent et il m’a conseillé de me mettre à l’athlétisme, me disant que j’étais fine et que j’allongeais bien les jambes. Alors je me suis lancée. »
Au lycée, les questionnements d’Halba sur son identité se font plus pressants : « Jusqu’à mes 15 ans, je me suis considérée comme homosexuel. Mais plus le temps passait, plus je me disais que non, ce n’était pas moi, que je n’étais pas un homme. » Le déni tombe : elle est une femme. Une fois ce constat admis, Halba voit se dresser un nouvel obstacle entre elle et sa féminité : sa religion. L’adepte du 200 mètres fait des recherches et trouve finalement un alignement : « Les transgenres ont toujours existé. Même au temps du prophète Mohammed il y avait des Mukhannath et des Al-mutarajjilat, c’est-à-dire des femmes transgenres et des hommes transgenres. » Et si l’athlète réussit à trouver un compromis spirituel, il n’en va de même avec sa famille, qui ne réagit pas très bien à l’annonce de sa transidentité : «Mon père est imam, et on ne se parle plus. Je n’ai plus de contact non plus avec ma mère, dont j’étais très proche.»
Départ pour une nouvelle vie
Le bac en poche, elle quitte le foyer familial à Rouen pour débuter une double licence de droit et de socio-géopolitique, à Aix-en-Provence. C’est là qu’Halba entame sa transition. Elle est néanmoins contrainte d’abandonner l’athlétisme pendant la première année du processus : « C’est super lourd sur le plan mental et physique. Moi j’ai pris des bloqueurs de testostérone, je voulais vraiment perdre mon corps masculin et je ne pouvais pas faire d’activité physique ». L’étudiante indique avoir perdu sept kilos la première année et dix kilos sur l’ensemble de sa transition. « J’ai perdu toute ma masse musculaire, j’étais très faible. J’ai toujours été très sportive mais là, rien que sortir de mon lit était un défi. »
Halba reprend pourtant l’athlétisme un an plus tard. De retour sur la piste, c’est la douche froide : « J’avais tout perdu. Il fallait que je recommence tout à zéro ». Elle évoque une très forte frustration à ce moment-là : « Je ne m’acceptais pas. J’acceptais ce nouveau corps de femme que j’avais toujours voulu, mais je n’acceptais pas que mes performances baissent de façon significative. »
Mais Halba est une battante et ne baisse pas les bras face à l’adversité : elle décide de mettre les bouchées doubles et de s’entraîner tous les jours. Une stratégie qui, quelques mois plus tard, porte ses fruits. « J’ai commencé à performer grâce à ces entraînements intensifs, et aussi parce que mon corps a accepté la transition et que je commençais à m’y sentir à l’aise. »
Ses résultats commencent à attirer l’attention, notamment après son 200 mètres aux Régionaux en salle à Miramas (Bouches-du-Rhône), en janvier 2023. À quelques semaines des Championnats de France Espoirs et Elite, les présages semblent bons. Mais Halba est effacée des listes de ces deux compétitions. À ce moment, la réglementation pour les femmes transgenres indiquait que la compétitrice devait avoir un taux de testostérone inférieur à 5 nmol/l sur un an. Or Halba remplissait ce critère.
Contactée par têtu·connect, la Fédération française d’athlétisme indique que cet effacement était lié à une raison administrative : pour pouvoir courir avec les femmes, les licenciées doivent présenter une carte d’identité avec un genre féminin. Or, la carte d’Halba -mentionnant son genre feminin- était en cours de renouvellement. La sportive avait tout de même présenté la décision du tribunal administratif, datée de septembre 2022, indiquant son genre. Un document que la Fédération n’a donc finalement pas reconnu, expliquant que seules les cartes d’identité étaient prises en compte, justifiant ainsi son exclusion des Championnats de France Espoirs et Elite.
Le début du combat pour courir
Quelques semaines plus tard, nouveau coup de semonce. Le 23 mars, Sebastian Coe, président de la Fédération internationale d’athlétisme (World Athletics), a annoncé l’exclusion des femmes transgenres des compétitions internationales. Celles qui ont connu une puberté masculine se retrouvent purement et simplement bannies du circuit. « Il n’y a pas de mot pour décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Je me suis sentie enfermée dans une case, à nouveau. Comme une moins que rien. Comme si la société n’était pas déjà assez dure avec nous », fulmine Halba.
L’argument sur lequel repose la décision de la Fédération internationale serait de dire que les femmes transgenres ont un avantage physique sur les femmes cisgenres. Or, à ce jour, aucune étude scientifique ne le démontre clairement. Pour Halba, le malaise est plus profond et relèverait davantage d’une peur sociale : « Les gens ont beaucoup d’a priori sur les femmes transgenres, il y a beaucoup de méconnaissances et énormément de clichés ». Elle poursuit sa réflexion : « Et d’ailleurs tout cela est aussi directement lié à la sécurité des femmes transgenres, notamment dans des milieux aussi sexués que le sport parce que c’est quand même un monde encore très misogyne, transphobe et nuisible. »
Ce que la Fédération internationale ne prend pas en compte, ce sont tous les désavantages que les femmes transgenres ont dans le sport. Non seulement, l’ambiance générale peut être dissuasive, mais l’aspect économique aussi, à commencer par les sponsors : « J’avais commencé à échanger avec Adidas, mais ça n’a pas abouti. Comme je ne peux pas courir en compétition, c’est très compliqué d’être reconnue et de trouver un sponsor » , indique Halba.
Passé le choc de l’annonce de Sebastian Coe, Halba a fait ce qu’elle fait depuis des années : relever la tête et se battre. « J’ai pris un avocat et on compte aller en justice car c’est de la discrimination. Et en France, ça ne passe pas, c’est interdit. » D’autant que la sportive était extrêmement proche des chronos qui auraient pu lui permettre d’accéder aux Jeux Olympiques 2024 pour le 200 mètres (22’61 réalisé en juin par Halba pour des minimas de participation fixés à 22’57).
Avec la réglementation actuelle, impossible pour elle d’y concourir, et malheureusement, les décisions de la justice devraient arriver trop tard pour lui permettre une éventuelle participation. Mais Halba est déterminée et ne compte en aucun cas lâcher l’affaire : « Je veux être une athlète professionnelle et reconnue. Les femmes transgenres sont acceptées dans le rugby à 15. Mais en athlétisme, il n’y a aucune femme transgenre reconnue professionnellement, et j’aimerai être la première. »