Grégoire Ichou, ténor conférencier le jour et drag queen sous la lune

Grégoire Ichou, ténor conférencier le jour et drag queen sous la lune

Grégoire Ichou avait déjà réussi le tour de force de renouveler le genre des visites de musées, lieux d’histoire ou d’institutions culturelles. Aujourd’hui, le ténor entreprend de faire dialoguer les cultures et les genres sous les traits de son double, la drag queen Elysée Moon.

Par Marie Roy

Lorsqu’il s’exprime, Grégoire Ichou a tout à la fois le calme des maîtres Bouddha et la détermination des indociles. Deux traits de caractère qui l’ont sans doute amené à une pratique qui est chez lui comme une seconde nature, celle de ne pas choisir. Car lorsqu’on regarde le parcours de ce jeune trentenaire, il apparaît que Grégoire Ichou soit passé maître dans l’art d’accommoder ensemble des domaines, qui a priori, évoluent d’habitude dans des sphères différentes. 

Depuis qu’il est tout petit, Grégoire Ichou nourrit un goût prononcé pour le chant lyrique. Il rentre ainsi naturellement au conservatoire après l’école primaire. Plus tard, le ténor entreprend des études de musicologie où il développe une passion pour l’histoire de l’art. Il se dirige ensuite vers une formation de guide conférencier et, enfin, intègre l’école du Louvre. C’est durant ces années d’apprentissage que se dessine son projet de visites chantées. L’idée est de faire des visites d’institutions culturelles ou de monuments historiques avec une alternance entre explications et chants. Il ne faut que très peu de temps pour que le Musée du Luxembourg soit séduit par ce concept. En 2017, l’ébauche des visites chantées se concrétise. Le succès est grandissant et les visites chantées se multiplient au fil des ans. 

De la légitimité des pratiques culturelles

Mais Grégoire Ichou ne s’arrête pas là. Car il a une autre passion : le drag. Il y a un an environ, le guide conférencier saute le pas et devient Elysée Moon. « Cela faisait un moment que ça me trottait dans la tête. J’étais très intéressé par la question du drag et du travestissement et la manière dont c’est connoté selon les cas. » De fait, lorsqu’un public conservateur va à l’opéra « il n’est absolument pas choqué que le personnage de Chérubin dans Les Noces de Figaro soit tenu par une femme, parce que c’est traditionnellement le cas. Pourtant, ce même public jugera déviant, choquant, déplacé, le fait qu’il y ait des drag queen ou des drag king ». Ces réflexions amènent donc Grégoire Ichou à penser que « ces réactions sont liées à d’autres facteurs qui sont de l’ordre de la légitimité des pratiques culturelles ». 

Alors pour ouvrir le champ des possibles et abolir les habitus de classe, Grégoire Ichou se révèle sous de nouveaux traits, ceux d’Elysée Moon. Le nom est évidemment un clin d’œil à l’humoriste Elie Semoun « quand j’étais ado, on me disait très souvent que je lui ressemblais ». Mais pas que. « Mon père est né à Tlemcen, en Algérie, tout comme sa mère. » Et, dernière similitude « lui aussi a beaucoup pratiqué l’art du travestissement, notamment dans ses petites annonces ». Elysée fait aussi référence à la culture avec les champs Elyséens de la Grèce Antique. Mais également au pouvoir politique avec le palais de l’Elysée, car pour Grégoire Ichou, le drag est politique : « C’est une pratique qui montre à quel point les codes de genre sont des constructions d’une société et ne vont pas de soi. » Le drag est également pour lui une manière de militer et de montrer « que les discriminations contre les personnes LGBTQI + existent toujours et sont très concrètes, des gens se font tabasser, insulter. Notre rôle est aussi de montrer une figure forte, pour donner du courage à tous ces gens qui peuvent avoir peur. »

Enfin, Moon, qui évoque la lune en anglais renvoie au grand-père de Grégoire Ichou, un astrophysicien qui aurait été l’un des premiers à étudier un échantillon lunaire. 

Interroger les genres

Pour porter tous ces combats et ces références, Grégoire Ichou a choisi un maquillage bien particulier : « Je voulais absolument que mes sourcils en drag prennent une place importante sur mon visage, qu’ils soient asymétriques et qu’ils soient, finalement, ma signature. » Et la manœuvre est réussie car lorsqu’on regarde Elysée Moon, on est tout de suite frappé par deux imposants sourcils qui couronnent son regard : l’un se termine en une pointe classique et l’autre forme un éclair. Le teint de porcelaine d’Elysée Moon fait quant à lui référence au personnage de Pierrot. Au niveau des vêtements, Elysée Moon reste fidèle au principe d’interroger les identités : « Je ne suis pas une drag qui porte beaucoup de robes, je suis plutôt en short ou en combi. J’ai un style androgyne pour questionner les genres. » 

Parallèlement à la naissance d’Elysée Moon, Grégoire Ichou travaille sur un spectacle « Achevons la Métamorphose ». « Au début, il était déjà prévu que je chante des morceaux qui sont traditionnellement chantés par des femmes. » Chemin faisant, c’est finalement Elysée Moon qui va tenir le rôle principal de ce spectacle. Ainsi, l’idée de monter sur scène en drag se concrétise. Rapidement, l’envie de faire rentrer les drag queen dans des institutions culturelles et l’opéra dans les bars se fait sentir. Grégoire se lance. Et le pari fonctionne, l’Opéra Comique fait appel, en avril, à Elysée Moon pour une initiation à Carmen de Georges Bizet.

L’appréhension de possibles répercussions

« J’appréhendais beaucoup », non seulement par rapport à la réaction du public –qui a été bonne- mais aussi par rapport à celle de ses différents employeurs. Le jeune homme est homosexuel et ne s’en est jamais caché auprès de ses clients institutionnels, sans pour autant faire de coming-out. « J’ai la chance d’évoluer dans un milieu assez ouvert ». Néanmoins, l’acceptation du drag n’était pas forcément gagnée, et pourtant « je n’ai eu aucun retour négatif de leur part ». Seul point noir, les commentaires sur les réseaux sociaux « Je ne les lis pas trop pour me protéger ». Le drag n’est pourtant pas sans risque et l’une des menaces importantes peut venir de la rue : « Quand on fait du drag, la première chose qu’on apprend est de ne jamais sortir seul·e dans la rue. ». Et à peine Grégoire Ichou a-t-il prononcé ces mots qu’un exemple lui vient sur le bord des lèvres : « L’autre jour, je me produisais dans le Marais. J’ai du sortir du bar quelques minutes parce que j’avais chaud. Un mec s’est approché de moi avec une attitude très agressive en me disant « tu es le diable ». En soi, ces mots étaient ridicules, mais ça aurait pu être dangereux, il était très alcoolisé et avait une bouteille en verre à la main. » 

Pourtant, Grégoire n’est pas prêt de renoncer « Je me dis que le jeu en vaut la chandelle. Je ne vais pas recevoir que des choses agréables et sans doute que je vais ponctuellement en souffrir, mais ce sera ma petite contribution de courage pour la bonne cause. »