Genre, langage et non binarité : de la bonne utilisation des pronoms

Genre, langage et non binarité : de la bonne utilisation des pronoms

Reflet des réflexions sociétales sur l’identité de genre, le pronom « iel » est entré dans la version papier du dictionnaire Petit Robert cette année. Comment bien l’utiliser ? Aperçu des habitudes linguistiques à intégrer pour garantir un climat professionnel inclusif.

Par Aimée Le Goff

« Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier (iel) et du pluriel (iels) employé pour évoquer une personne quel que soit son genre ». Voici la définition du pronom « iel » ajoutée à la version papier 2023 du Petit Robert, soit deux années après son intégration dans sa version numérique. Apparue au début des années 2010, cette proposition linguistique émane de la communauté LGBTQI+, qui compte en son sein des membres ne se retrouvant pas dans la binarité de genre.

Un besoin linguistique

Pour Gilles Siouffi, professeur en langue française à La Sorbonne Université, le choix de Charles Bimbenet, directeur général des éditions Le Robert, d’intégrer ce pronom dans le dictionnaire est tout à fait pertinent. « Il agit dans une position d’observation des usages, et a eu tout à fait raison de l’ajouter puisque pour les personnes non binaires, il y a un véritable besoin en termes de langue ». Julie Neveux, maîtresse de conférences en linguistique  exerçant également à La Sorbonne Université, expliquait quant à elle au micro de France Culture, en 2021, que ce phénomène est « très cohérent par rapport aux avancées sociales sur les réflexions quant au genre comme construction sociale ». « La langue, comme tout système de représentation, véhicule un certain découpage de la réalité, observe-t-elle. Le découpage proposé jusque-là est clairement un découpage hommes et femmes ».

Complexité de la langue française

En France, l’utilisation du pronom « iel » semble toutefois plus compliquée que dans d’autres langues, notamment lorsqu’il s’agit d’adapter certaines règles grammaticales. « Quand on cherche des procédés d’abréviation, on rentre dans une mécanique de la langue très compliquée notamment pour les accords, par exemple avec des verbes pronominaux », observe Gilles Siouffi. En anglais, la langue se prête beaucoup plus à la neutralisation. Voilà plus de dix ans que les anglophones emploient le pronom « they » au singulier pour désigner une personne sans se référer à son genre. Dans ce cas, les règles grammaticales restent inchangées. En espagnol, la terminaison « e », objet de controverses, est envisagée pour éviter d’avoir à choisir entre la terminaison féminine « a » et masculine « o ». En Suède, le pronom « hen », aujourd’hui accepté dans de nombreux contextes, s’est largement diffusé depuis les années 2000, et est entré dans le dictionnaire suédois en 2015 malgré des protestations.

Préciser ses pronoms, y compris en tant qu’allié·e 

Dans quels cas employer le pronom « iel » ? Rappelons qu’en cas d’hésitation sur l’identité de genre, il est toujours préférable de demander son pronom à la personne concernée. Si une personne s’affirme non binaire, ce pronom sera à privilégier pour éviter le mégenrage (action de  désigner une personne par un genre qui ne correspond pas à son identité de genre). Ces dernières années, un autre réflexe linguistique est apparu en ligne : la mention de ses pronoms en signature de mail ou dans la description de profil sur les réseaux sociaux. Sur LinkedIn, il est aussi possible d’afficher ses pronoms personnalisés : « iel », « il/lui », « elle ». Utile, cette précision évite toute confusion et permet, là encore, de ne pas mégenrer son interlocuteur·ice. Cette mention n’est cependant pas réservée uniquement aux personnes LGBTQI+. Préciser ses pronoms est loin d’être anodin, et peut être envisagé par les personnes cisgenres qui, en soutenant la visibilité des personnes minorisées ou stigmatisées, se positionnent comme des allié·es. Gilles Siouffi y voit un « mécanisme de déclinaison de l’identité » plutôt qu’un « mécanisme de communication », car « en réalité, dans un échange de mail, on ne s’adresse pas à quelqu’un à la troisième personne du singulier ».

Le français “équipé pour l’égalité”

En plus de pronoms adaptés, des solutions existent dans la langue française pour veiller à plus d’inclusivité. C’est ce que rappelle Raphaël Haddad, auteur de L’écriture inclusive, et si on s’y mettait ?, docteur en analyse du discours et fondateur de l’agence de communication Mots-Clés :  “Le français est équipé pour l’égalité et le masculin ne l’emporte pas toujours. On peut accorder les adjectifs et les déterminants par proximité, en écrivant par exemple “droits et libertés publiques” ou “toutes celles et ceux”. Personne ne réécrira “tous celles et ceux”. Cette règle, facile à appliquer, reste méconnue. « On ne nous l’apprend pas, ce qui est étrange, remarque l’auteur. Il faudrait commencer par enseigner ce qu’il est déjà possible de faire en évitant les complications syntaxiques ». Pour maintenir un langage égalitaire mais facile à lire et à écrire, le communicant préconise de chercher les reformulations, d’employer les noms de métiers correspondant au genre désigné, et de remplacer des mots qui peuvent poser question en raison de leur histoire, comme le terme « en bon père de famille » a été remplacé par « raisonnablement ».

Adapter les offres d’emploi et titres de poste

Pour sortir de la binarité de genre à l’écrit, d’autres initiatives peuvent être imaginées . « En anglais, beaucoup d’offres d’emploi sont rédigées à la deuxième personne, explique Gilles Siouffi. On peut par exemple écrire ‘‘You will have to work in this area’’. C’est une proposition intéressante qui pourrait être utilisée en français pour éviter de genrer les candidat·es. On pourrait donc écrire, en s’adressant directement aux postulant·es, ‘’vous serez amené·e à travailler dans cet endroit’’. Pour l’universitaire, l’utilisation du pronom « iel » pour désigner une personne qu’on imagine ou qu’on ne connaît pas, par exemple un·e futur·e candidat·e, serait moins nécessaire que pour désigner une personne non binaire en particulier : « En français, la difficulté réside dans le fait que nous n’avons pas clarifié si le pronom iel est utilisé pour l’une ou l’autre de ces désignations ».
À la place, le linguiste trouverait utile d’utiliser davantage le point médian ou les parenthèses, ou de mentionner les deux termes au masculin et au féminin, par exemple, dans une offre d’emploi, ‘’le candidat ou la candidate pourra remplir ces missions’’. Il tient à relativiser : « Créer un pronom spécialement pour intégrer ces deux possibilités me semble un peu lourd, mais il se peut que cela fonctionne dans l’usage de la langue. Dans ce cas, pourquoi pas ? »