Famille, école, sport, entreprise : quatre univers pour faire progresser l’inclusion

Famille, école, sport, entreprise : quatre univers pour faire progresser l’inclusion

Dans son dernier rapport, SOS homophobie fait état de 2377 cas de LGBTphobies recensés au cours de l’année 2023. Des chiffres très en deçà de la réalité, étant donné que la plupart des actes d’agressions ou de violences ne font pas l’objet d’un signalement. Le Ministère de l’intérieur estime ainsi que seul un cas sur vingt est signalé par une victime ou un témoin. Sur ces 2377 signalements, 200 ont eu lieu au sein d’une cellule familiale, 94 en milieu scolaire, 23 en milieu sportif et 142 au travail. À l’occasion d’un dîner-débat, têtu·connect s’est penché sur ces quatre univers que chacun et chacune fréquente à un moment ou un autre de sa vie. 

Par Chloé Consigny

Faire de l’inclusion une valeur familiale 

La famille n’est pas toujours une safe place pour les personnes LGBTQI+. En témoigne l’existence de la Fondation le Refuge qui, chaque soir, permet de mettre à l’abri 200 jeunes rejetés·es de leur cellule familiale en raison de leur orientation affective ou de leur identité de genre. Anne-Laure Thomas-Briand est directrice Diversités, Equité & Inclusion, pour L’Oréal France. Elle est également maman. Elle explique « Je suis la maman de trois enfants que j’ai fabriqués et d’une quatrième que je n’ai pas fabriquée, mais que j’ai élevée. Ce que j’essaye de faire et qui n’est pas simple, c’est d’apprendre à mes enfants que les deux choses qui comptent le plus sont le respect et l’amour. Ma famille est singulière puisque mon aîné est en situation de handicap. Ainsi, dans ma famille, nous avons tout de suite été confrontés à la différence. Cela signifie qu’il faut apprendre à devoir constamment expliquer et se justifier ». Elle ajoute « pour toutes celles et tous ceux qui ont vécu le handicap, je constate qu’il y a une ouverture de vie incroyable. Finalement, cette ouverture va bien au-delà des personnes en situation de handicap, c’est une attention de curiosité portée à l’autre ». Face aux discriminations, elle insiste sur l’importance du rôle d’allié·e. « Que ce soit à l’école, en entreprise ou partout ailleurs, il est beaucoup plus facile de prendre la parole lorsque l’on est témoin que lorsque l’on est victime. Dire stop peut changer beaucoup de choses pour la personne qui subit une discrimination. Cela lui permet de se rendre compte qu’elle n’est pas seule ». 

Pas vraiment inclusive l’école 

Quid du rôle de l’enseignement ? Si les grandes écoles et notamment les écoles de commerce forment les élites de demain, celles-ci restent des institutions privées en proie à des arbitrages économiques. « Les étudiant·es étranger·es sont aujourd’hui une source importante de financement des grandes écoles », constate Arnaud Lacheret, Associate Professor, Directeur du MSc PPMDB Paris, Skema Business School. « Dans certains campus, nous avons 80 % d’étudiant·es étranger·es. Le sujet de l’inclusion des personnes LGBTQI + n’est pas forcément un sujet qui les préoccupe. Pire, dans la plupart des pays d’où proviennent mes étudiants ; l’homosexualité est une pratique illicite qui est réprimée, voire condamnée à mort ». Dans ce contexte, le professeur constate qu’il est très difficile d’afficher un soutien sans faille à la lutte contre les LGBTphobies. « Certains pays représentent 10 % des effectifs. Se brouiller avec ces pays constitue un risque financier majeur pour les écoles privées. C’est ce qui, à mon sens, explique la frilosité des écoles vis-à-vis des thématiques LGBTQI + qui peinent à s’engager dans une vraie sensibilisation. Le corps professoral, l’encadrement, est aujourd’hui trop peu formé et tiraillé par des questions financières ». 

Le sport, un univers de masculinités 

Philippe Liotard est président du CPED (Conférence permanente des chargé·es de Mission Égalité Diversité) et titulaire de la chaire LGBTI à l’Université Claude Bernard, Lyon 1. Il rappelle qu’à ses origines, c’est-à-dire à la fin du 19e siècle, le sport était un loisir inventé par des hommes pour des hommes. Les femmes, pour leur part, sont arrivées très tardivement dans le sport, c’est-à-dire au cours des années 1960. Les personnes en situation de handicap étaient totalement exclues de la pratique. « Dans le sport perdure le modèle dominant de l’adulte mâle performant. Dans ce modèle de masculinité, il n’y a pas de place pour l’homosexualité. Ainsi, les athlètes masculins homosexuels sont beaucoup moins visibles que les athlètes lesbiennes ». Si la visibilité des personnes LGBTQI + dans le sport progresse, la France apparaît en retard au regard d’autres pays tels que l’Angleterre ou encore les États-Unis. Il explique : « prenons l’exemple de l’Américaine Megan Rapinoe qui est aujourd’hui une égérie de la lutte sociale aux États-Unis. Cette footballeuse, lesbienne, championne mondiale, jouait auparavant dans l’équipe lyonnaise. À cette époque, elle n’était pas lesbienne. C’est-à-dire qu’en France, un silence lui est imposé. Elle quitte l’olympique lyonnais en cours de contrat pour « raisons personnelles ». Je me demande s’il n’y a pas quelque chose qui est lié à cette invisibilité subie. Cela traduit des résistances qui sont liées à la difficulté que nous avons dans le sport à accepter la diversité, malgré les discours qui ne cessent de prôner les différences ». 

Du rôle de l’entreprise pour faire progresser l’inclusion

L’entreprise a elle aussi son rôle à jouer. Tout d’abord, en accueillant la diversité, « La personne qui rejoint une organisation doit se sentir accueillie. Si dans toutes les entreprises, le discours est inclusif, il faut travailler la réalité de l’accueil. Beaucoup d’associations peuvent fournir des idées de marqueurs importants qui permettent de donner aux personnes LGBTQI + des indicateurs forts d’une réelle inclusion », souligne Arnaud Lacheret. Il constate par ailleurs que les valeurs se diffusent dans les deux sens. « La frontière entre vie professionnelle et vie privée est poreuse. Si l’on apporte son identité au travail, on prend toujours quelque chose de son milieu professionnel que l’on rapporte ensuite à la maison. Au bout d’un moment, si les valeurs de l’entreprise sont claires, une tache d’huile positive se diffusera dans dans l’entourage des salarié·es ». « Je suis absolument certaine que nos engagements rejaillissent sur la vie personnelle de nos collaborateurs et collaboratrices », abonde  Anne-Laure Thomas-Briand. Elle constate également que les barrières entre la lutte pour le respect des personnes en situation de handicap, la lutte contre le sexisme et contre l’homophobie sont très fines. « Nous avons récemment réalisé une campagne interne sur le handicap que nous avons baptisé « Oser être vous ». Un jour, je reçois l’appel d’une personne travaillant dans l’une de nos usines, qui m’explique que cette campagne a changé sa vie. Cette campagne lui a permis de révéler son parcours de transition lors de l’entretien annuel. Depuis cette date, cette femme a pu faire sa transition en étant accompagnée et soutenue par ses collègues et ses supérieurs. »

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