Alexia Cerenys, la transphobie hors-jeu

Alexia Cerenys, la transphobie hors-jeu

Membre de la commission anti-discrimination de sa fédération, Alexia Cerenys est la première et unique joueuse de rugby transgenre évoluant en élite féminine. Rencontre avec une athlète au parcours hors du commun.

Par Aimée Le Goff 

En dépit des blessures successives et d’une pause de plusieurs années, son corps massif s’engage toujours avec passion dans les matchs de première division. À 37 ans, Alexia Cerenys, troisième ligne au club de rugby féminin Lons Section Paladoise, est la première et unique joueuse de rugby transgenre à évoluer en élite féminine. « J’espère qu’il y en aura d’autres après moi », lance-t-elle après ce constat. En France, le rugby féminin est exclusivement amateur et seuls les joueurs masculins ont un statut professionnel. Dans le milieu amateur, le championnat d’Élite 1 est le plus haut niveau national de championnat français de rugby à XV. Niveau où se situe la joueuse depuis 2018.

Le rugby pour « rester dans les rails »

Enthousiaste, volontaire, Alexia Cerenys relate son parcours avec force détails. « Je préfère vous prévenir, je suis bavarde », annonce-t-elle. Que dire de ses débuts ? Le sport collectif commence pour elle avec le football, qu’elle pratique dès l’âge de sept ans, pour suivre les pas de son père. Le rugby viendra sept ans plus tard grâce à des copains de collège. La pratique, qui inclut contact, épreuves physiques et rapport de force « dans un milieu viril et masculin », fait office d’écran pour éviter de questionner son identité de genre. « En plus d’aimer ce sport, je m’en servais pour m’échapper psychologiquement. Le boomerang est revenu plus fort, à 25 ans ».

Avant les toust premiers entraînements, Alexia conscientise sa féminité, développe une double personnalité. Elle a six ans lorsqu’elle se demande pourquoi elle ne peut pas « faire certaines choses réservées aux filles ». « Je piquais les affaires de ma mère le soir, raconte-t-elle. À deux reprises, il y a eu un quiproquo. Ma mère ne supportait pas que je prenne ses affaires. Moi, je pensais qu’elle s’énervait parce que je voulais être une fille ». Enfant renfermée sur elle, la sportive voit le rugby « comme un vecteur pour rester dans les rails de la société ». Elle résume : « plus j’avançais en âge, plus le fossé se creusait entre la personne que j’étais et celle que je faisais paraître ». Le coming out familial, en 2011, s’avère compliqué. « Mon père a d’abord eu des propos virulents, confie l’athlète. Les choses se sont apaisées plus tard. Ma famille est encore plus soudée aujourd’hui ».

Une transition hors sport

Après de multiples déplacements et trois ans d’études, Alexia Cerenys entre au Stade Montois rugby (Landes). Elle espère décrocher un contrat pro mais enchaîne les blessures. À 22 ans, elle se voit contrainte de faire une pause avec le sport. En soirée, une conversation avec une serveuse trans et out l’aide à mettre le doigt sur sa transidentité. « À l’époque, on disait encore transsexualité », note-t-elle. Une déchirure musculaire suivie d’une rupture amoureuse particulièrement douloureuse bouleversent ses ambitions. Le coming out suivra, avant la décision de transitionner.

Entre 2014 et 2016, Alexia enchaîne cinq opérations et prend 35 kilos. « Le miracle des hormones féminines », ironise-t-elle. Lorsqu’elle reçoit ses nouveaux papiers d’identité, elle réintègre le Stade Montois pour jouer en loisirs, cette fois-ci avec l’équipe féminine. Trois semaines après la reprise, une entorse de la cheville ralentit la joueuse. « Durant les premiers entraînements, j’avais la sensation que ma tête avait gardé mes performances d’avant, mais que mon corps ne pouvait pas suivre ». Il faut alors s’accommoder de cette nouvelle lenteur, se familiariser avec l’épuisement et cohabiter avec les tendinites, preuves « d’une compensation du corps » face aux œstrogènes, selon son neurologue. 

Au total, il faudra trois ans pour se réadapter à ces nouvelles capacités physiques. En 2018, après des désaccords avec le président de son club, qui refuse une montée en Élite 2, Alexia Cerenys est contactée par le club de Lons. « Je suis passée d’un club de Top 8 à un club de Top 16. À 32 ans, ça ne se refuse pas ».

Militantisme et double vie

À côté du rugby, Alexia travaille pour l’entreprise de plomberie de sa famille. Une double vie menée différemment jusqu’à sa transition. « Le jour, j’étais en tenue de travail avec mes parents. La nuit, je vivais ma vie de femme, je renouvelais ma garde-robe. À l’époque, il fallait tout cacher ». Elle reconnaît avoir « connu quelques péripéties » depuis son retour sur les terrains. Après sa transition, une joueuse adverse la mégenre, des supporters de Rouen l’insultent lors d’un match. L’athlète de haut niveau balaie ces agressions sans s’accrocher : « Les insultes, je les ai à peine entendues. Sur le terrain, j’ai mon casque, je suis concentrée, sourde comme un pot ».

Depuis 2021, elle est engagée au sein de la CADET, la Commission anti-discriminations et égalité de traitement de la Fédération française de rugby (FFR). Aux côtés de J-B Moles, elle milite pour la participation des personnes trans aux compétitions sportives, sans création de catégorie spécifique.

« Rétropédalage » en matière d’inclusivité

En matière d’inclusivité des femmes trans dans le sport, Alexia Cerenys déplore un rétropédalage depuis deux ans. « Nous sommes devenues une cible à abattre ». Elle réfute l’idée d’une supériorité physique chez les femmes trans en raison de la testostérone développée durant l’adolescence. « Des contre-études non orientées démontrent que c’est faux. Bien sûr, il faut poser un cadre, exiger une durée minimum de traitement hormonal avant une inscription. C’est ce que demande la FFR ». Lancée sur le sujet, elle ajoute : « le basketteur Victor Wembanyama mesure 2m26. Il faudrait lui raccourcir les jambes pour le mettre à niveau ? »

Lorsqu’elle devra raccrocher les crampons pour de bon, Alexia Cerenys se verrait bien sur les terrains, sifflet en main. La joueuse vient de passer son premier niveau d’arbitrage. Durant la Coupe du monde de rugby qui démarre ce 8 septembre, elle arbitrera justement l’un des premiers tournois amateurs européens LGBT-friendly, organisés avec la CADET.