« Je voulais m’échapper vers une vie plus libre », Jean-Bernard Moles, responsable anti-discrimination à la Fédération française de rugby

« Je voulais m’échapper vers une vie plus libre », Jean-Bernard Moles, responsable anti-discrimination à la Fédération française de rugby

Directeur de la Commission Anti-Discrimination et Égalité de Traitement (CADET) de la Fédération française de rugby, Jean-Bernard Moles a tenu à s’affranchir très tôt de la binarité de genre. Gender-fluid, il combat sans détour les LGBTphobies et l’hétéronormativité dans le monde du sport.

Par Aimée Le Goff

Ancien journaliste et joueur de rugby, docteur en sciences du sport, responsable de programme anti-discrimination… Jean-Bernard Moles multiplie les casquettes. À la question « Quel pronom utiliser ? », sa réponse est plurielle : « comme vous voulez. À la Fédération, dans les clubs, au ministère, c’est J-B ». Avec ses cheveux blonds mi-longs et son allure solaire, J-B donc, se trouve un côté « un peu yéyé » et s’en amuse. « Je suis androgyne et cette ambiguïté me va très bien. Je ne me suis jamais senti assigné à un genre en particulier ».

Depuis 2020, il dirige la CADET, Commission Anti-Discrimination et Égalité de Traitement, qu’il a créée au sein de la Fédération Française de Rugby (FFR). « Je trouvais que la Fédération était en retard sur les thématiques LGBTQI+. J’en ai informé Bernard Laporte avant qu’il ne soit réélu comme président. Il m’a répondu «si nous gagnons, tu t’en occupes »», raconte-t-il avant de préciser :  «Bernard Laporte a été condamné pour différentes raisons, mais me concernant, il m’a donné une indépendance totale ».

Une émancipation progressive

Enfant, Jean-Bernard Moles grandit à Béziers, une « ville de rugby » où il joue en équipe junior. Très tôt, un sentiment de frustration l’encombre. « Je n’avais pas envie de devenir joueur de haut niveau. Je ne pouvais pas rester dans la vie courante, je voulais m’échapper vers une vie plus libre, être moi-même ». Il met le cap sur Tanger pour travailler comme animateur au Club Med, un lieu qu’il estime très inclusif et où il affiche librement sa non-binarité. « Je me suis révélé, se souvient-il. J’y ai rencontré beaucoup de personnes avec une vraie ouverture d’esprit ». S’enchaînent des jobs similaires durant huit saisons, à Marrakech, Corfou, Sinaï, etc..

Publier sur la crisologie du rugby

À son retour en France, il travaille comme journaliste, notamment pour la télévision où « il fallait être un garçon et porter des chemises,». Pour exposer sa féminité, le voyage reste une solution. « J’ai toujours gardé une personnalité ambivalente, mais je ne pouvais pas soudainement arriver avec des codes de féminité dans les rédactions parisiennes ». Du club Med à la FFR, l’inclusivité est un sujet phare qui rythmera toute sa carrière. « Quand je suis entré à l’université, je me suis dit que je pouvais vivre ma vie, tantôt homme, tantôt femme. Je me suis aussi construit une culture de la transidentité très forte. J’ai écrit beaucoup d’articles sur le sujet, je m’intéressais à la joueuse de tennis trans Renée Richards et à d’autres champion·nes olympiques ». En 2001, il publie une thèse sur « la crisologie du rugby à XV amateur du Languedoc ». À titre personnel, il estime ne jamais avoir subi de discrimination ni de remarques déplacées « J’ai une vraie culture du rugby, observe-t-il, et je suis connu pour avoir du caractère ».

Lutte contre les « mesures coercitives »

À la CADET, J-B mesure avec satisfaction l’impact positif de son comité sur la situation des personnes LGBTQI+ dans le rugby. « Le fait d’avoir revu notre réglementation a libéré la parole ». Depuis trois ans, la CADET multiplie les actions de prévention et de communication, organise des formations et des colloques thématiques dans les universités et les métropoles. De ce fait, souligne le président de commission, la FFR est actuellement la seule fédération sportive à autoriser, dans son règlement, la participation des personnes trans aux matchs. « Il faut qu’il y ait un traitement hormonal pris depuis au moins un an, et un changement de prénom pour correspondre à la catégorie choisie, ou au moins une démarche engagée auprès de l’État civil », nous indique-t-il. « Maintenant, de grandes sociétés font appel à nous pour des formations. Nous engageons clairement le travail que devraient produire certains ministères ». 

Selon les situations, la CADET se charge d’accompagner les personnels employés de ligues ou de fédérations. Dernièrement, une cadre de la Ligue Occitanie de rugby a ainsi été soutenue dans son parcours de transition par Jean-Bernard et son équipe, à Toulouse. Ailleurs, J-B pointe du doigt les « mesures coercitives » encore en place, et le « conservatisme aigu » alimenté par une ancienne génération de dirigeant·es. « Beaucoup de président·es imposent aux fédérations nationales une réglementation très virulente. Dans les pays anglo-saxons, celles-ci sont encore très conservatrices. En France, nous commençons à bénéficier d’une nouvelle génération plus ouverte. En handball par exemple, la vice-présidente de la fédération française Béatrice Barbusse, qui est aussi sociologue, s’investit beaucoup pour le libre-arbitre dans le sport ».

Un exemple pour d’autres fédérations ?

Cette année, le label FIER obtenu par la Fédération française de rugby est l’une des grandes satisfactions de Jean-Bernard Moles. Créée par une fondation éponyme, cette certification récompense les organisations sportives agissant pour plus d’inclusivité LGBTQI+, en se basant sur 17 préconisations. « Nous sommes la seule fédération à l’avoir reçu », souligne Jean-Bernard Moles. Le 11 octobre, la FFR organisera par ailleurs un symposium international sur le libre arbitre dans le sport, avec World Rugby – équivalent de la FIFA – et la DILCRAH, délégation interministérielle dédiée à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. « Toutes les fédérations de rugby sont invitées et 500 personnes sont attendues à l’Hôtel de Ville de Paris », annonce fièrement l’ancien joueur.

Après trois années de combat, il estime que sa Commission doit pouvoir servir d’exemple. « À la CADET, nous sommes allé·es jusqu’au bout de ce qu’il y avait à faire. Nous ne pourrons pas faire plus ». Alors, quand il est question d’avenir, Jean-Bernard Moles nourrit l’espoir de voir ses initiatives se développer dans d’autres ligues et d’autres fédérations.