Vieillir LGBTQI + : l’importance du lien intergénérationnel

Vieillir LGBTQI + : l’importance du lien intergénérationnel

Comment faire dialoguer des générations qu’a priori beaucoup oppose ? En entreprise, les points de divergences entre « juniors » et « seniors » sont nombreux. À l’occasion d’un dîner-débat têtu•connect, nous avons posé la question du lien entre les générations. Nous nous sommes également penchés sur la façon dont nos sociétés traitent les vulnérabilités, avec la présence du journaliste d’investigation Victor Castanet, auteur de deux livres : Les Foussoyeurs (Prix Albert-Londres 2022) et Les Ogres. 

Par Chloé Consigny

Des années durant, les personnes LGBTQI+ se sont d’abord posé la question de leur survie, notamment dans un contexte d’épidémie de sida. La question de la fin de vie était à cette époque difficilement imaginable. Aujourd’hui, on estime à un million de personnes le nombre de séniors LGBTQI+ vivant en France. Majoritairement sans enfants (à 90%), ces personnes vivent seules (65 %). Le troisième âge puis le grand âge sont pour ces personnes des périodes de grande vulnérabilité, au cours desquelles, il n’est pas rare qu’elles redeviennent invisibles. 

À l’origine de son livre Les Fossoyeurs, Victor Castanet a réalisé une enquête pour le quotidien Le Monde, intitulée « l’homosexualité interdite de séjour en Ephad ». Il explique : « Je me suis penché sur la place des personnes LGBT en Ephad. C’est un vrai sujet, car le personnel n’est pas formé et cela mène à des discriminations. Le résultat, c’est que, la plupart du temps, ces personnes se cachent. J’ai ainsi recueilli beaucoup de témoignages de personnes homosexuelles qui, en Ephad, n’osaient pas faire venir leur conjoint·e. Pour certaines, elles revivaient la violence vécue de l’école. C’est-à-dire la violence d’une collectivité qui n’accepte pas les différences », explique Victor Castanet.   

Cette première enquête lui a donné matière à aller plus loin. Trois années d’investigation ont ainsi été nécessaires à la sortie du livre Les Fossoyeurs qui rapporte des pratiques d’optimisation des coûts extrêmement brutales au sein du groupe Orpea aujourd’hui rebaptisé Emeis. « Pour maximiser les profits, le groupe réduisait les coûts sur l’hygiène et l’alimentation. Il y avait également des pratiques d’optimisation de la masse salariale chez Orpea qui ont abouti à des maltraitances », souligne Victor Castanet. 

L’enquête, aujourd’hui encore en cours, a donné lieu au placement en détention provisoire de deux dirigeants d’Orpea. Parallèlement, le secteur des Ephad a lentement débuté son introspection. Les choses évoluent doucement, notamment avec une liberté de circulation des personnes âgées désormais inscrite dans la loi. « On commence à prendre davantage en compte les besoins et les spécificités des résident·es. Je pense qu’il y aura des évolutions plus notables lorsque les grands groupes prendront également en considération l’orientation affective et les spécificités des minorités dans les Ephad », poursuit l’auteur.  

Safe place à tout âge

C’est pour donner leur véritable place aux personnes âgées minoritaires que Stéphane Sauvé, Fondateur et Délégué général de l’association Les Audacieux & Les Audacieuses, a imaginé la Maison de la Diversité. « Il s’agit d’un habitat participatif et inclusif qui s’adresse plutôt à des séniors isolés. Notre slogan, « être soi à tout âge » met en avant la particularité de notre maison qui est une safe place pour les personnes LGBT avec deux notions fortes : la sécurité et la liberté. Par ailleurs, la notion d’appartenance à un groupe permet une forte solidarité entre résident·es ». 

S’il existe une vulnérabilité des personnes LGBTQI+ liée à leur orientation sexuelle et/ou identité de genre, celle-ci est accentuée par le fait d’être senior ou junior. À ces deux périodes de la vie, la sécurité est donc essentielle. 

La Fondation Le Refuge s’emploie à créer des safe place pour les personnes LGBTQI+ âgées de 18 à 25 ans. « Nous intervenons dans des situations de rejet familial faisant suite au coming out de jeunes personnes queer. Ces situations, parfois d’une extrême violence peuvent nécessiter une mise à l’abri », explique Estelle Espanol, Directrice de l’action sociale de la Fondation Le Refuge, qui ajoute que « les personnes qui nous contactent peuvent se trouver en grande souffrance psychique. Elles ont besoin de compréhension et de sécurité ». Au sein de La Fondation Le Refuge, comme chez les Audacieuses & les Audacieux, le dialogue intergénérationnel reste essentiel. «  Nous nous employons à lutter contre les clichés. Par exemple, les personnes qui sont aujourd’hui en Ephad ont du mal à comprendre les mots queer ou encore ce qu’est un parcours de transition. Dans le même temps, les plus jeunes ignorent que les personnes en Ephad ont connu la pénalisation de l’homosexualité en France. L’important est de faire témoigner des personnes avec leurs parcours de vie. Cela permet de réveiller les consciences. », explique Stéphane Sauvé qui ajoute que « si le lien entre générations ne se décrète pas, il est possible de l’organiser ». 

Quelle place pour l’entreprise ? 

Au sein des entreprises, la question intergénérationnelle prend petit à petit sa place. Jennifer Bodjona, Change project Manager à la Société Générale, a co-créé l’ERG WAY (We Are Young) : un groupe ressources au sein de l’entreprise dédié aux jeunes. « La naissance de ce groupe est partie du constat que les jeunes n’étaient pas suffisamment écoutés au sein de l’organisation. Il existe tout un tas d’adjectifs que l’on accole aux jeunes. On les dit hédonistes, antisystème et on critique leur manque d’expérience. Or cette jeunesse constitue le futur de l’entreprise. Avec nos co fondatrices nous sommes partis du postulat qu’il était important de donner les moyens aux jeunes d’agir. C’est la raison pour laquelle nous avons créé WAY – We Are Young – pour permettre aux jeunes de porter leur voix sur des sujets stratégiques et structurants pour l’entreprise ». L’ERG s’est aussi entouré de personnes plus expérimentées. « À force d’échanger avec plusieurs séniors dans l’entreprise, un autre ERG s’est créé à destination des seniors », se félicite Jennifer Bodjona qui souligne que ce sujet doit être porté au plus haut niveau de l’organisation. « L’entreprise a un rôle essentiel à jouer : elle doit sensibiliser, former au leadership inclusif et mettre en lumière des profils que l’on entend encore trop rarement ». 

Petit à petit, les institutions sociales et les entreprises commencent à adapter leur fonctionnement pour engager un dialogue intergénérationnel et répondre aux besoins de toutes les générations.