Comment s’effectue une transition de genre du point de vue de l’administration française ? Pour têtu·connect, des personnes directement concernées racontent leur parcours et le rôle qu’a joué leur entreprise pour faciliter ou, au contraire, freiner leurs démarches.
Par Aimée Le Goff
Relevé d’impôts, carte vitale, papiers d’identité, compte bancaire, contrat d’assurance…Les documents et services à solliciter dans le cadre d’une transition administrative sont légion. Existe-t-il une « bonne manière » de procéder pour s’éviter des complications ? Comment la loi encadre-t-elle les démarches ? En France, plusieurs façons de faire sont envisageables.
Loïc Chave, juriste spécialiste des questions LGBTQI+, a travaillé deux ans pour le Défenseur des droits. Aujourd’hui responsable de l’Observatoire des vulnérabilités queers au sein de la Fondation Le Refuge (actionnaire de têtu•), il tient à rappeler : « une personne transgenre n’a aucune obligation d’effectuer une transition médicale ou administrative. Elle peut, si elle le souhaite, faire une demande de changement de prénom en mairie ou aller plus loin en faisant une demande de changement de mention du sexe devant le tribunal judiciaire ».
Procédures « longues et intrusives »
La première étape, dans le cas d’un choix de transition administrative, consiste donc à solliciter les services publics. Loïc Chave avertit : « pour un changement de mention de sexe à l’état civil, les procédures sont longues, parfois très intrusives. On assiste encore à des refus de changement de sexe sous prétexte que les personnes ne sont ‘‘pas assez féminines ou masculines’’ ». Depuis le vote, en 2016, de la loi de modernisation de la justice du XXIe, les tribunaux judiciaires n’ont plus le droit d’exiger des ordonnances de traitements médicaux ou des preuves d’opérations chirurgicales pour appuyer un dossier de changement de mention de sexe.
Le témoignage d’Ernest, 25 ans, apporte un éclairage sur la réalité parfois éloignée des textes de loi. « Entre le dépôt de dossier et la réponse du tribunal, la procédure a duré presque deux ans. On m’a dit que mon dossier serait traité plus rapidement si je fournissais une photo de plain-pied et une attestation de prise de testostérone, ce que j’ai fini par envoyer ». Autre cas de figure pour Yann, bientôt 30 ans, qui a choisi d’avancer dans son parcours de transition médicale avant de solliciter le tribunal judiciaire. « Le tribunal a accepté ma demande après trois mois, mais n’a pas signalé à la mairie de ma commune que mon acte de naissance devait être modifié. Durant quatre ans, j’ai reçu des courriers avec l’intitulé ‘‘Mademoiselle Yann’’ ». Pour Camille, membre du bureau de l’association Fransgenre, tout est une question de chance : « un même dossier peut passer sans souci dans une mairie, mais peut être refusé par le procureur sans raison spécifique ».
Le travail, nécessaire allié de la transition
D’autres procédures s’ajoutent à cette bataille administrative. Transports en commun, contrats d’assurance et de mutuelle, diplômes, permis de conduire, quittances de loyer à faire changer… constituent autant de potentiels « obstacles qui rallongent le parcours et alimentent les difficultés », d’après Loïc Chave. Concernant la sécurité sociale, l’Assurance maladie a pris le sujet en main et dispose, depuis 2024, d’un service dédié aux changements d’état civil pour les personnes trans. Joignable par mail ou par téléphone, ce service prend en charge les questions de gestion de dossier, de remboursement de frais de santé, d’indemnités journalières, de changement de carte vitale et de numéro de sécurité sociale.
Quid de la sphère professionnelle ? Les entreprises peuvent-elles faciliter les choses ? « Je recommande aux employeurs de ne pas attendre que la personne ait reçu son nouvel état civil pour agir, explique Loïc Chave. Une entreprise peut tout à fait accompagner ses salarié·es en modifiant les documents non officiels : badges, plannings, signatures de mail… Des résolutions peuvent être adoptées en interne ». Le titre de civilité « madame » ou « monsieur » n’a pas non plus de valeur légale et peut être modifié ou supprimé sur simple demande. Yann a par exemple bénéficié d’un soutien total de la part de sa direction : « Ma directrice avait organisé une réunion en interne pour communiquer sur le sujet en faisant savoir qu’elle ne laisserait passer aucune discrimination. J’avais mon emploi du temps et mon badge à mon nom, j’ai pu m’en servir comme preuves pour la mairie ».
Bonnes élèves, quelques grandes entreprises prennent à leur tour les devants pour faciliter les parcours de transition. Début 2024, la MAIF signait son accord Diversité, Équité et Inclusion comprenant la possibilité de prendre trois jours de congés dans le cadre d’une démarche de changement de genre. À l’international, le géant de l’informatique américain IBM propose un congé similaire de six jours, quand la banque australienne ANZ garantit un « congé d’affirmation de genre » de six semaines. En France, Société Générale, Engie ont réalisé des guides internes sur les identités de genre destinés à sensibiliser et accompagner les managers et collaborateurs·trices.
Arrêt, démission, reconversion
Dans d’autres cas, faire état de son identité de genre auprès de ses collègues ou de sa chefferie peut relever du combat quotidien. Après dix mois d’arrêt de travail, Edward, prothésiste dentaire, a démissionné faute d’accord avec le laboratoire privé qui l’employait. « J’avais des collègues ouvertement transphobes, il n’y avait aucune volonté de changement en interne. J’avais prévenu dès mon entretien d’embauche de ma transition médicale, mais quand, huit mois plus tard, j’ai fait part de mes dates d’opération, il n’y a eu aucun soutien ». Sa demande de rupture conventionnelle a été refusée. « Changer d’entreprise était la seule solution ».
Florie, 29 ans dont huit passés à l’usine, a quant à elle décidé de changer de voie après des discriminations subies sur son lieu de travail : un chef d’équipe a mis fin à son contrat un mois plus tôt sans motif valable, une boîte d’intérim lui a refusé l’accès aux vestiaires pour femmes. « Je ne travaille plus depuis fin octobre 2024, confie-t-elle. J’ai aussi été rejetée par ma famille après mon coming out. Je me sens totalement isolée mais je suis déterminée à me battre. Comme j’ai entendu que le secteur de l’informatique était plus ouvert, je me renseigne sur les formations à suivre pour devenir développeuse web ». « En cas de discrimination, il est possible de faire un rappel à la loi ou de saisir le Défenseur des droits », rappelle Loïc Chave.
Pour un changement d’état civil sans tribunal
Les choses pourraient encore bouger à l’avenir : le milieu associatif milite pour une déjudiciarisation des demandes de changement de mention de sexe à l’état civil. « En Belgique et en Espagne, on a fait évoluer la loi pour que les personnes trans n’aient plus à passer au tribunal, ce qui présente deux avantages : accélérer les procédures, mais surtout ne plus nous faire passer pour des personnes accusées », abonde Ernest. Florie, par exemple, ne déposera aucun dossier tant que la demande ne pourra être effectuée en mairie. « J’espère que ça changera d’ici un ou deux ans ».