« Sur un sujet tel que la transidentité, nous devons simplement faire ce qui est juste », Pascal Demurger, directeur général de la MAIF

« Sur un sujet tel que la transidentité, nous devons simplement faire ce qui est juste », Pascal Demurger, directeur général de la MAIF

En janvier 2024, la mutuelle d’assurances MAIF adoptait un accord d’entreprise, Diversité, Équité et Inclusion. Parmi les avancées de l’accord, de nouvelles autorisations d’absences rémunérées : un jour supplémentaire pour une démarche de Procréation médicale assistée et trois jours à destination des personnes engagées dans un parcours de transition. La MAIF devient ainsi l’une des rares entreprises françaises à proposer un congé transition de genre. Le point avec Pascal Demurger, directeur général de la MAIF. 

Par Chloé Consigny

Quelle a été la réflexion initiale à l’instauration de cet accord ? 

Nous avons réalisé une enquête auprès de nos 8 000 salarié·es afin de connaître leurs ressentis et attentes. S’il est apparu que 84 % de l’ensemble des sondé·es affirmaient avoir le sentiment de pouvoir être eux-mêmes dans l’entreprise, seule une petite majorité (55 %) des sondé.es s’identifiant comme transgenres et non-binaires disait pouvoir se sentir elle-même au sein de l’entreprise. Par ailleurs, les salarié·es nous ont dit que certains sujets étaient plus difficiles à aborder (état de santé, situation familiale, etc.). En lien avec la directrice des richesses humaines du groupe, nous avons compris qu’il était essentiel d’agir pour nos salarié·es. Nous avons donc co-construit un accord que nous avons ensuite négocié avec les organisations syndicales. 

D’autres entreprises et notamment des entreprises américaines qui opèrent en France ont fixé le congé transition de genre à dix jours. Pourquoi trois jours ? 

Je pense qu’il est bien difficile de fixer un nombre de jours qui soit conforme à la réalité de chacun et chacune. Chaque transition est un cas particulier. À mon sens, le nombre de jours n’est pas le seul élément important. Ce qui compte surtout, c’est le symbole. La transition de genre ne concerne qu’une infime partie des salarié·es. Finalement, le coût de cette mesure est très peu élevé pour une entreprise. Néanmoins, il est important que cet accord existe, car il envoie un signal à destination des personnes engagées dans une transition de genre : cette entreprise ne nous discrimine pas, nous y sommes tous et toutes les bienvenues. 

Quel a été l’accueil de cet accord ? À l’interne et à l’externe ? 

Maif est une entreprise dotée de valeurs humaines fortes. Nous sommes une entreprise à mission, avec pour raison d’être une attention sincère portée à l’autre, qu’il s’agisse de client·es ou de salarié·es. Nous avons donc pour mission de créer les conditions et l’environnement culturel propice à ce que chacun et chacune se sente libre. Jamais, en interne, je n’ai perçu de rejet envers les personnes LGBTQI +. L’accueil a donc été bon en interne. À l’externe, en revanche, les réactions ont été plus mitigées : nous avons eu des articles distants et nous avons également reçu des messages d’insultes. 

Y a-t-il un risque business dans la mise en place de cet accord ? 

Il y a toujours un risque business à se positionner en avance. Néanmoins, nous n’avons pas à nous positionner en fonction de l’opinion. Sur un sujet tel que la transidentité, nous devons simplement faire ce qui est juste. Par ailleurs, si risque business il y a, celui-ci est largement contrebalancé par l’augmentation de la performance de nos équipes. S’engager motive les équipes, développe le sentiment d’appartenance en interne et crée de la fierté. Maif doit avoir une contribution au bien commun. En tant que dirigeant, j’ai moi-même une responsabilité.

Ces accords sont-ils assortis de changements dans les systèmes d’information permettant un changement de prénom ? Qu’en est-il vis-à-vis de vos client·es ? 

Effectivement. Nous nous devons d’être irréprochables à l’interne. L’adaptation de nos systèmes d’information est en cours. Vis-à-vis de nos clients, en revanche, nous ne sommes pas encore en mesure de régler le problème. En effet, la réglementation stipule qu’un contrat doit être associé à une pièce d’identité. Lors d’une transition, le changement d’État civil peut être particulièrement long. Nous n’avons pas d’autre solution que d’attendre que le changement de genre à l’État civil soit réalisé. 

L’accord stipule également la possibilité de télétravailler une semaine par mois en cas d’inconfort menstruel. Quelle a été la réflexion à la mise en place de cette mesure ?  

Maif est aujourd’hui une entreprise reconnue pour son engagement envers les femmes. En 2023, Maif a pris la tête du classement mondial Forbes des meilleures entreprises pour les femmes. Nous avons mis en place une égalité stricte en matière de salaires et nous nous efforçons d’accompagner les moments de vie. L’objet même d’une politique en faveur de l’égalité hommes / femmes est de faire en sorte que les différences objectives que sont la grossesse ou encore l’endométriose ne créent pas une inégalité.  

Au-delà de la performance financière, quelle est selon vous la responsabilité d’une entreprise en 2024 ? 

Dès 2019, j’ai écrit un livre intitulé « L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus ». À mon sens, l’entreprise a une responsabilité sur l’ensemble de son écosystème. Elle est redevable vis-à-vis de la société. Toute entreprise a des impacts et nous devons faire en sorte que ceux-ci soient positifs. Cela se traduit à l’interne, en faisant en sorte que nos collaborateurs et collaboratrices puissent s’épanouir au quotidien. Mais également par l’emploi de personnes « cabossées par la vie », de jeunes sortis du système scolaire ou de personnes très éloignées de l’emploi. Toutes ces personnes font partie de la société et l’entreprise doit leur réserver une place. Cela se traduit également à l’externe à l’égard de nos client·es. Notre rôle est d’être présents lorsqu’un dommage advient en les indemnisant de façon juste. 

Avez-vous conscience que ces mesures sont plus difficiles à mettre en place au sein d’entreprises moins performantes financièrement ? 

J’ai conscience que toutes les entreprises n’ont pas le même niveau d’engagement  vis-à-vis de la société. Par ailleurs, la première responsabilité des dirigeant·es est la pérennité de l’entreprise. Souvent, les sujets sociétaux sont adressés dans un deuxième temps. Néanmoins, je suis convaincu que les valeurs humaines et sociétales d’une organisation participent à sa performance. Je reste convaincu que lorsque l’on se positionne avec sincérité, on se trompe rarement.