Silencieuses différences, rencontre avec Stéphanie Paix

Silencieuses différences, rencontre avec Stéphanie Paix

La venue annoncée de têtu· pour une interview l’a plongée dans « une profonde introspection ». Nommée fin 2022 à la tête de Natixis, acteur mondial des services financiers (Groupe BPCE), Stéphanie Paix revisite sa carrière sous l’angle de l’inclusion.

Par Chloé Consigny

Lorsqu’elle nous rejoint, elle sort de la salle des marchés. Elle concède que la diversité des équipes ne lui a « pas sauté aux yeux ». « Si la diversité d’origines est présente, notre salle de marché est majoritairement peuplée d’hommes ». Un constat qu’elle peine à modifier, tant les femmes restent sous-représentées dans les écoles d’ingénieurs. Elle note d’ailleurs que c’est un biais très français de ne recruter que des ingénieurs en salle de marché. « Aux États-Unis, il est possible d’avoir un diplôme en Arts et de travailler ensuite en finance ». À l’avenir, elle ne s’interdit pas d’aller piocher des talents aux parcours moins homogènes, consciente que pour « adresser des clients aux profils divers, il faut avoir en interne des équipes à l’image de la société ».

Rôles modèles

Stéphanie Paix intègre le secteur bancaire par opportunité davantage que par passion et rejoint d’abord l’inspection générale de la Banque Populaire. Elle enchaîne ensuite des choix de carrière « totalement orthogonaux ». En 2008, elle est la première femme à être nommée à la tête d’une Banque Populaire régionale, avant de devenir Présidente du Directoire de la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes. Dans un monde bancaire masculin, elle ne réalise que tardivement son statut de femme. « Je devais avoir 35 ans et j’étais en lice pour un poste face à un homme. J’ai alors senti que j’étais perçue comme une menace ». Quand des années plus tard, elle sera pressentie pour prendre les commandes de Natixis, elle réagira avec ses « biais de fille », arguant qu’elle n’est « pas assez compétente ». Elle explique : « les femmes ont beaucoup plus de mal que les hommes à faire état de leurs ambitions. Il faut qu’elles osent briguer les postes à responsabilité ». Elle comprend de fait l’importance d’être entourée de rôles modèles, capables de donner envie, parmi lesquels sa propre mère, dirigeante d’entreprise. Lorsqu’en 2010, elle s’engage avec Nicole Etchegoïnberry (dirigeante d’une banque régionale du Groupe BPCE) dans la création du réseau les « Elles de BPCE », elle se souvient avoir entendu une remarque qui paraît aujourd’hui datée : « ça y est, la réunion tupperware est terminée ? ».

Silencieuses différences

Si le sexisme tend à s’atténuer, la cohabitation de toutes les diversités reste un sujet majeur. Convaincue que le fait de « ne pas appartenir à une norme ne doit pas conduire à un rejet », elle s’empare des sujets Diversité & Inclusion. Pour ce faire, elle s’appuie sur son expérience personnelle. « Je n’ai connu que deux diversités : être une femme et être porteuse d’une maladie invisible. » Sa maladie, elle la vivra en silence, jusqu’à l’hospitalisation urgente et soudaine. Cette parenthèse aujourd’hui refermée, elle vit depuis cinq années la « seconde saison de sa vie » et s’oriente « sereinement vers la troisième diversité, celle liée à l’âge.» Elle ajoute « de ma maladie, je retiens cette différence silencieuse. Pour sortir de cette invisibilité, il faut créer les conditions propices à un échange, sur un sujet qui relève de l’intime.» La juxtaposition avec la visibilité LGBTQI+ en entreprise lui donne à réfléchir : « Je viens d’une génération qui a connu la pénalisation de l’homosexualité et les années sida. Aujourd’hui, l’homosexualité en entreprise reste un tabou. Ce n’est pas qu’une question de génération. ».

Parole libérée

Porté par l’ERG (Employee Resource Group) All Equals, le sujet des visibilités LGBTQI+ émerge doucement. Dernièrement, à la suite de propos homophobes rapportés en interne, le réseau a organisé un open talk, afin de relancer le dialogue . « Je pense que malheureusement, il faut en passer par là. Cette discussion montre que la parole est libérée. Elle est libérée dans tous les sens. Cette impression de résurgence de l’homophobie est aussi le signal qu’il y a aujourd’hui en entreprise davantage d’allié·es à même de dénoncer et de condamner ces pratiques ». Plus largement et dans une époque de plus en plus marquée par des conflits géopolitiques « nous avons envoyé un signal fort à l’adresse de tous les collaborateurs pour rappeler que l’entreprise est d’abord une communauté de cultures et de différences qui doivent travailler ensemble ».