Directeur Marketing de la Maison Guerlain, Johnny Ribeiro est également père de deux enfants nés par GPA.
Par Chloé Consigny
« Nous sommes une famille de quatre : nos deux enfants, mon mari et moi-même ». C’est en ces termes que Johnny Ribeiro, aujourd’hui Directeur Marketing de la Maison Guerlain, se présente à ses interlocuteurs. Il explique « 90 % des familles sont hétéroparentales. Si je ne fais pas part de ma diversité dès le début, il y a des malentendus dont la correction mènera à une gêne. Pourtant, c’est une réaction que je comprends : lorsqu’un homme parle de ses enfants, on présuppose son hétérosexualité. Je préfère donc prendre les devants ». Ses deux enfants sont aujourd’hui âgés de quatre et cinq ans. Tous deux sont nés par GPA dans le Nevada. C’était en 2018 et 2019. Une issue heureuse après un parcours de conception éprouvant. Le couple se projette dans une parentalité dès 2012 et se tourne d’abord vers l’adoption. « Nous avons vite compris que nous n’étions pas prioritaires. Pour réaliser une adoption dans un orphelinat à l’étranger, il fallait taire notre union. C’était impossible car celle-ci était inscrite sur notre état civil. L’unique solution pour nous était d’avoir recours à la GPA ». Après un échec au Canada, son époux et lui se tournent vers les Etats-Unis. Deux ans et demi s’écoulent avant la naissance de leur premier enfant. Une période émotionnellement très chargée. « La recherche d’une donneuse, la rencontre avec la femme porteuse, l’attente de ses correspondances sont autant de montagnes russes émotionnelles. Nous étions souvent à distance, aussi chaque examen médical, chaque échographie était pour nous une source intense d’inquiétude. Et dans ce contexte, certes peu ordinaire, un incroyable lien s’est créé avec la femme qui nous a permis de fonder une famille ».
L’entreprise en soutien
À cette période, il est Directeur de Kendo Brands Europe chez LVMH. Il choisit de ne pas opérer de changement majeur dans sa vie professionnelle. « Une GPA demande un investissement personnel extrêmement fort. J’ai donc décidé de ne pas me lancer tout de suite dans une nouvelle prise de poste », se souvient-il. Bien que basé à Paris, il s’organise afin de travailler depuis le bureau de San Francisco durant le mois qui précède chacune des naissances de ses enfants. « C’était un an avant la crise sanitaire. À cette époque, le télétravail était encore très peu développé et pourtant, ma mobilité n’a posé aucun problème. J’ai télétravaillé depuis les États-Unis lorsque c’était nécessaire. Cela implique de l’organisation et une certaine agilité pour respecter les deux time zones : de mon côté bien entendu car je devais être disponible pour Paris mais aussi de la part de mes équipes en France. En revanche, je n’ai jamais envisagé mettre ma vie professionnelle de côté », se souvient-il.
À l’annonce de sa parentalité à venir, il constate n’avoir reçu aucun frein au sein du groupe. « J’ai informé ma hiérarchie en expliquant mes nouvelles contraintes. Mon équipe savait que j’allais être disponible différemment pendant cette période. Tous se sont adaptés à mon nouvel emploi du temps qui était devenu par nécessité beaucoup plus flexible ». De retour à Paris, le quotidien s’organise. En 2018 et 2019, le congé paternité en France est de 14 jours. L’entreprise de son mari lui permet d’obtenir un congé de trois mois pour accueillir l’enfant.
Paradoxalement, les différents confinements ont aidé la famille à trouver son nouvel équilibre, à trois puis à quatre. « Après la crise sanitaire, nous étions prêts ». Ainsi, en juin 2021, Johnny Ribeiro accepte de relever un nouveau défi managérial. Il prend la tête de Make Up For Ever pour l’Amérique du Nord. Direction New York, donc pour lui et sa famille. « Vivre à NY a été un immense bonheur pour nous 4. La ville est si diverse, dans tous ses aspects, que notre « diversité » ne nous différenciait plus. Nous étions juste une famille parmi toutes les autres. NY est clairement beaucoup plus mature que la France à cet égard et je suis heureux que mes enfants y aient développé leurs premières réflexions. Quelle émotion lorsque j’ai constaté que, pour eux, la composition d’une structure familiale n’est pas un élément différenciant… juste une information ». À l’été 2023, tous rentrent à Paris. Johnny Ribeiro prend alors la Direction Marketing de la Maison Guerlain.
Précautions supplémentaires
Si son histoire n’a rien de commun, Johnny Ribeiro mesure sa chance : « notre projet de famille aurait été plus compliqué encore sans un entourage personnel et professionnel qui nous soutenait ». Sur son lieu de travail, il n’a jamais été confronté à de l’homophobie. Idem dans sa vie personnelle : « Je constate que les gens sont surtout curieux du parcours de GPA. J’explique la démarche chaque fois que nécessaire. S’ils sont étonnés, ils souhaitent avant tout bien faire et éviter les maladresses. » Le couple doit parfois répondre à des sujets très pratiques tels que la meilleure façon de célébrer la fête des Mères à l’école. « Les jeunes enfants sont sensibles à la routine et ont besoin de se conformer à une norme. Si notre famille peut sembler extraordinaire, j’ai à cœur de leur donner un quotidien le plus ordinaire possible ». Quatre années ont été nécessaires pour que leurs enfants obtiennent la nationalité française. Pour l’heure, chaque parent n’a la paternité que de l’un des deux enfants. « Nous prenons des précautions que les couples hétérosexuels ne prennent pas. Par exemple, nous nous faisons des autorisations de sortie du territoire lorsque nous sommes amenés à voyager. Nous savons que tant que les enfants ne sont pas inscrits sur notre livret de famille, si l’un de nous deux venait à disparaître, le second parent n’en aurait pas automatiquement la garde. Pourtant, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, nous avons beaucoup de chance et avons bénéficié des avancées obtenues par les familles homoparentales qui nous ont précédées. C’est pourquoi j’ai énormément de respect pour les couples pionniers qui ont eu recours à la GPA en France et ont fait évoluer les choses ».
« Avant j’acceptais, maintenant je comprends »
Au quotidien, il chapeaute désormais une équipe nombreuse. Sa parentalité l’a confortée dans l’importance qu’il accorde à la flexibilité de ses collaborateurs. « Je ne pense pas avoir un jour « tiqué » lorsqu’un membre de mon équipe m’annonçait qu’il/elle devait partir plus tôt pour récupérer son enfant. J’acceptais la situation, mais je crois que je ne comprenais pas réellement. Désormais, comme tous ceux devenus parents, je comprends ». Cette nécessaire flexibilité, il continue de la vivre au quotidien « Je voyage énormément et mes enfants comprennent que ma situation professionnelle me prend beaucoup de temps. Néanmoins, il y a des événements que je ne manquerai pour rien au monde. Par exemple, le spectacle de l’école. Quand bien même, le spectacle a lieu à 10 heures du matin, je suis présent ».