Autodidacte, coach et stratège, Marie Dasylva bouscule les codes. Sa mission : donner aux personnes minorisées des billes pour reprendre le pouvoir dans le monde du travail.
Par Fabiola Dor
À bientôt 40 ans, Marie Dasylva, coach et stratège spécialisée dans les discriminations au travail, impose ses idées et sa méthode ! Crâne rasé, grosses boucles d’oreilles, manteaux aux couleurs éclatantes : chaque détail est choisi comme une déclaration politique. “Porter une grosse veste jaune dans un espace public, c’est déjà quelque chose, sourit-elle. J’aime être aussi imposante qu’une tour Eiffel dans un espace donné.”
Ancienne manager dans la mode, elle a fait de l’apparence une arme. Son style est à la fois un pied de nez à la grossophobie et un outil d’affirmation de soi. “Que je l’accepte ou pas, ce corps prend plus de place que les autres”. Pour celle qui manie l’art de la flamboyance, être bien habillé le jour d’une négociation peut tout changer, surtout quand on vient pour reprendre le pouvoir. Elle aurait pu choisir les podiums et devenir styliste, mais elle a choisi de fouler une autre scène : le monde du travail. Un terrain de jeu où elle défend les personnes racisées contre les discriminations à coup de stratégies et punchlines bien senties. Surtout lorsqu’elle tacle Jean-mi (ndlr: expression populaire pour désigner l’homme blanc hétéro-cis) quand il incarne le sexisme et le racisme qui pourrissent l’ambiance de bureaux.
Des réseaux sociaux au coaching
Révélée avec ses “Jeudis Survie au taff” sur X (ex-Twitter), des anecdotes qui racontent des situations de discrimination vécue dans le cadre du travail, Marie Dasylva est devenue une figure incontournable de la lutte antiraciste en entreprise. À travers ces histoires, la coach a partagé avec ses plus de 30 000 abonné·es des stratégies d’autodéfense à mettre en place quand iels sont confronté·e·s à de tels comportements. “On ne peut pas parler du racisme au travail sans évoquer l’apport et l’engagement de Marie Dasylva”, souligne Carmen Diop, sociologue du travail et autrice de Déni, démenti et politiques de l’ignorance : Les femmes noires diplômées face au racisme en France.
Depuis la création de son agence Nkali Works (un mot igbo qui veut dire « se réapproprier sa narration »), en 2017, elle a accompagné près de 400 personnes et collaboré avec des institutions comme Amnesty International ou des syndicats comme la CGT. Tout-terrain, Marie est partout où son message peut se faire entendre : podcasts, festivals, conférences, interviews… Elle s’invite dans les espaces médiatiques et culturels pour mettre le racisme au travail sur le devant de la scène ! Son livre Survivre au taf, publié en janvier 2022, est l’aboutissement de cette démarche : un guide d’autodéfense contre le racisme, le sexisme, l’homophobie ou la grossophobie au travail, qu’elle compte comme une autre de ses fiertés. “Je l’ai écrit à bout de souffle, entre coaching et diagnostic de mon TDAH. Il fallait que ça sorte de Twitter pour exister concrètement”, confie-t-elle, fièrement.
Une approche intersectionnelle
La nécessité de son action est évidente. Ce type de statistique n’existe pas en France. Mais, à titre de comparaison, chez les jeunes femmes issues de minorités ethniques en Grande-Bretagne, le taux de discrimination a bondi de 44 % en 2022 à 61 % en 2024, selon une étude britannique de l’ONG Young Women’s Trust, qui accompagne les femmes racisées à lutter contre les obstacles liés aux discriminations. Les motifs sont multiples : âge, sexe, apparence, responsabilités familiales, santé mentale. Dans le détail, la discrimination raciale explose : chez les jeunes femmes noires, elle est passée de 31 % à 39 % et chez les jeunes femmes asiatiques, de 24 % à 31 %. Pour Marie, qui défend une approche intersectionnelle, impossible de dissocier ces oppressions. “Nos identités ne s’empilent pas, elles s’additionnent. Quand tu es à la fois racisée et LGBT, la violence est encore plus forte. Le racisme, c’est un exhausteur de toutes les oppressions.”
Une méthode unique
Sa méthode est fine, léchée, nourrie de son vécu mais aussi du travail d’expertes comme Carmen Diop ou Paya Ndiaye, formatrice et facilitatrice sur l’antiracisme. Avant de proposer une stratégie, première étape : créer une safe place, puis réfléchir aux bons leviers pour se défendre. “Le travail est un théâtre social, tout est une affaire de partition, et celle qu’on a le courage de jouer”, explique celle qui adore les histoires de David contre Goliath. “Même dans le métro, j’enlève mes écouteurs pour écouter les ragots de bureau.”
Ses prises de parole sont à son image : drôles, honnêtes et déconcertantes. “Je viens chercher ce qui est dans le ventre des gens”, précise Marie Dasylva. Sans diplôme universitaire, elle revendique de ne pas avoir été formatée par l’académie. “Je ne suis soluble dans aucun cadre, donc j’étais obligée de créer celui qui me correspond.” Et tant pis si ça ne plaît pas à tout le monde. Ces dernières années, elle a encaissé des backlash sur les réseaux sociaux. Là encore, l’autodidacte choisit l’humour pour répondre aux détracteurs. “Je leur envoie mon compte Paypal, et je me rappelle que si mon travail dérange, c’est que je suis sur la bonne voie.”
Radicalité et impact
Les “ouin-ouins” de l’oppresseur ? Marie s’en carre ! Aborder le racisme en entreprise n’est jamais simple. Voire très complexe. “Tout en restant droite dans ses bottes, elle confronte avec franchise, mais donne envie d’agir sans brusquer”, analyse sa collaboratrice Paya Ndiaye. Un sacré challenge sur un sujet qui crispe, tend ou agace. Pas le genre à s’encombrer des jus de cerveau et des conventions corporate, Marie fait ce qu’elle sait faire : former, et accepter de ne pas faire consensus. Elle ne bosse qu’avec des organisations prêtes à affronter les conversations difficiles. “Animer une semaine de sensibilisation pour une campagne de communication ne m’intéresse pas. Je veux travailler avec des gens qui font de vraies actions”, prévient-elle. Il faut être mûr pour l’inviter. En résumé, un coaching avec Marie, c’est introspection, formation et woman show. “Quand tu sors d’une séance avec elle, tu as des actions concrètes à mettre en place. Tu as beaucoup ri. Et parfois, tu pleures aussi”, confie Paya Ndiaye.
Sensibilité comme moteur
Derrière la coach charismatique et drôle, il y a une femme sensible, passionnée par les histoires humaines. Et quand elle n’est ni coach, ni maman de son fils Baba, qu’elle met en scène sur ses réseaux sociaux… La papesse de la flamboyance rêve de cours de chant : “Le Gospel me fascine. J’aime l’éloquence”, confie-t-elle. Inspirée par les actrices Viola Davis et Adèle Haenel ou l’autrice bell hooks, Marie aime les “bagarreuses”, celles qui se battent pour leur destin. Aujourd’hui, sa priorité est simple : se recentrer sur elle. Sa plus grande leçon : se rappeler que se protéger, se valoriser et se défendre est un acte politique autant que personnel. Si Marie Dasylva marque autant les esprits, c’est parce qu’elle incarne une certitude : on peut transformer l’adversité en force !