Santé mentale en entreprise : « lorsqu’il y a une gêne, le sujet devient inaudible », Jean Victor Blanc, médecin psychiatre

Santé mentale en entreprise : « lorsqu’il y a une gêne, le sujet devient inaudible », Jean Victor Blanc, médecin psychiatre

Médecin-psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP, Paris) et enseignant à Sorbonne Université, Jean Victor Blanc est spécialisé dans la prise en charge des nouvelles addictions et du trouble bipolaire. Il mène également un travail de pédagogie auprès du grand public afin de changer le regard porté sur la maladie mentale et d’améliorer l’inclusion des patients. Il est l’auteur de Pop & Psy (Éditions Plon, 2019) qui décode les troubles psychiques à l’aide de films, de séries et de déclarations de célébrités issues de la culture pop. Entretien.

Par Chloé Consigny

Les troubles mentaux restent tabous dans le monde de l’entreprise. Comment l’expliquez-vous ? 

Le manque de connaissance et le manque d’information sur les troubles mentaux induisent des réactions de rejet. Ainsi, l’hospitalisation par un psychiatre est toujours placée sous silence, car il y a un risque de discrimination très fort pour la personne malade. En entreprise, comme dans la vie courante, il n’est pas rare que des troubles soient détournés en insultes. On peut par exemple entendre « tu es autiste ou quoi ? » ou encore « je ne suis pas un alcolo ». Toutes ces phrases sont des micro-agressions du quotidien qui ajoutent à la honte et à la culpabilité que peuvent ressentir les personnes concernées. 

Les jeunes générations sont-elles plus sensibilisées que leurs aînées ? 

Tout à fait. Je constate qu’il existe un décalage générationnel fort. D’une génération à l’autre, la perception des tabous diffère. À l’instar du sujet de l’environnement, les 18-24 ans se sentent concernés et s’intéressent au sujet des troubles psychiques. Les plus âgés, en revanche, ne sont pas du tout à l’aise avec le sujet et préfèrent regarder ailleurs. En France, nos entreprises sont majoritairement dirigées par des personnes seniors et expérimentées. Cela explique notamment pourquoi la santé mentale est très peu abordée au sein de ces organisations. 

Les personnes LGBTQI + sont-elles plus exposées que les autres aux risques de santé mentale ? 

Comme toutes les personnes minorisées, oui. Il faut bien avoir à l’esprit que l’orientation affective est invisible. Ainsi, une personne LGBTQI + a elle-même la charge de révéler ou non sa diversité. Les personnes qui ne vont pas réussir à parler librement de leur orientation affective sur leur lieu de travail auront une moins bonne santé psychique que les autres, car, au quotidien, elles devront jouer un rôle. Si cette personne a en plus un trouble psychique, c’est un cercle vicieux. 

Quels sont les troubles les plus fréquents ?

Dans la population générale, les troubles les plus fréquents sont les troubles dépressifs, les troubles anxieux et les addictions. Dans le monde professionnel, il est avéré que certains troubles sont plus présents dans certains secteurs. Par exemple, les addictions se retrouvent souvent dans le secteur de l’hôtellerie restauration ou les arts et le spectacle. 

De quelles façons une entreprise peut-elle prendre soin de la santé mentale de ses collaborateurs ?

Pour prendre soin de ses salariés, il ne suffit pas de proposer un baby-foot dans la salle de repos. Il faut commencer par libérer la parole en mettant en place un climat de confiance et de sécurité. Il faut également mettre les managers en position de repérer certains signes ainsi que les limites de leurs collaborateurs. Bien sûr, il ne s’agit en aucun cas de placer le manager en position de soignant. Néanmoins, ils peuvent être ceux qui donnent l’alerte. Ensuite, il faut travailler autour des mots qui blessent et des micro-agressions du quotidien, en sensibilisant tous les collaborateurs. Je prends souvent l’exemple de la saison des galettes des Rois en entreprise qui, pour les personnes qui souffrent d’une addiction à l’alcool, est souvent un véritable calvaire. Une personne qui est dans un processus extrêmement courageux d’arrêt de l’alcool se retrouve tout à coup pointée du doigt par ses collègues, car elle refuse de boire de l’alcool. 

Que permet la pop culture ? 

La pop culture permet de décentrer le sujet. Durant de longues années, les références aux troubles mentaux dans les films ou les séries étaient extrêmement rares. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ces rôles modèles permettent de visibiliser l’existence des diversités. En entreprise, les salariés ont le même niveau de connaissance des maladies mentales que la population générale. C’est-à-dire un niveau très faible, voire inexistant. Grâce à la pop culture, il est possible de donner à voir des parcours inspirants portés par des héroïnes et des héros atteints de maladies mentales. En décentrant le sujet, on ouvre le dialogue. 

En France, y a-t-il eu un tournant de la prise en compte de la santé mentale en entreprise suite à l’affaire France Télécom – Orange ? (35 suicides au sein de l’entreprise en 2008 et 2009) 

L’affaire France Télécom a eu un très fort écho médiatique. Cela a permis de révéler le sujet de la souffrance au travail au grand jour. Néanmoins, l’effet n’a pas été totalement salutaire. Je constate en effet que les spécialistes ressources humaines ont aujourd’hui très peur d’aborder le sujet de la santé mentale. Pour eux, en parler c’est reconnaître une faute de l’entreprise. Lorsqu’il y a une gêne sur un sujet, le sujet devient inaudible.  

Pourtant, en tant que psychiatre, je constate que les troubles psychiques se déclenchent toujours à partir d’un faisceau d’éléments. Néanmoins, la vie professionnelle peut être l’élément déclencheur d’une maladie. Une personne bipolaire peut décompenser à la suite d’une charge de travail trop importante, par exemple. 

On parle de plus en plus de neuro-atypie ou de neuro divergence. Quel est le lien entre neurosciences et psychiatrie ? 

Les neurosciences sont un courant de la psychiatrie. C’est une manière intéressante de voir les choses. Cependant, les neurosciences vont lister des caractéristiques telles que HPI (Haut Potentiel intellectuel) ou encore TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Il s’agit là de caractéristiques et non de pathologies.

Pour aller plus loin : Pop & Psy, comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques. Jean Victor Blanc. Éditions Plon  

Jean Victor Blanc est également à l’initiative du Festival Pop & Psy qui se tiendra à Paris du 24 au 26 Novembre 2023. Entrée gratuite – Billetterie