En mai 2025, un rapport du Défenseur des droits détaillait les discriminations subies notamment par les femmes en matière d’accès aux soins. Comment se caractérisent-elles ? Quelles pistes pour une médecine plus inclusive ? Décryptage.
Par Aimée Le Goff
Dans le domaine de la santé, les biais de genre ont aussi la peau dure. Retards de diagnostic, minimisation de la douleur, atteintes au consentement, refus de prescription… C’est ce que pointe le dernier rapport du Défenseur des droits sur la prévention des discriminations dans les parcours de soin. Le compte-rendu livre une analyse détaillée des inégalités de traitement qui sévissent dans la sphère médicale, à l’encontre des personnes d’origine étrangère, des personnes en situation de handicap et des femmes.
Approche « séparatiste »
« Les stéréotypes sexistes ont un impact sur le diagnostic, la prise en charge et plus généralement le parcours de soins des femmes, en leur attribuant notamment une supposée tendance à exagérer ou simuler la douleur ou à moins bien la supporter », rapporte le Défenseur des droits. Citant une étude menée en 2024 dans deux hôpitaux en Israël et aux Etats-Unis, l’autorité administrative relève une « tendance des soignants à sous-évaluer la douleur des femmes par rapport aux hommes pour une pathologie identique, et une moindre probabilité pour les femmes de se voir prescrire un antalgique en cas de douleur ».
Comment l’expliquer ? D’après Elise Thiébaut, essayiste et autrice de Ceci est mon sang, « l’histoire de la médecine est structurée suivant ce que l’anthropologue Françoise Héritier définissait comme ‘‘la valence différentielle des sexes’’, c’est à dire que ce qui est identifié comme féminin possède une valeur inférieure que ce qui est identifié comme masculin, en particulier au sein des civilisations dites occidentales ». « Le corps masculin y est présenté comme le standard, le corps féminin étant sa variante un peu débile, agitée par des hormones incontrôlées, ajoute-t-elle. Il y a une approche séparatiste et fausse, avec de nombreux préjugés encore ancrés dans la pratique médicale ».
Unique prisme de la reproduction
Anaïs Vallaeys, interne de médecine générale en fin de cursus à Lyon, partage ce constat. « Les normes séparatistes, au niveau anatomique et biologique par exemple, sont toujours apprises aujourd’hui sans jamais être questionnées. La construction du genre n’est pas abordée dans la formation. On nous transmet une conception très binaire du corps de l’homme cisgenre ou de la femme cisgenre ».
Durant la formation, la santé de la femme serait aussi uniquement abordée via le prisme de la reproduction : « nous avons eu un cours sur le sujet, qui portait surtout sur la grossesse, la ménopause et la contraception, expose l’étudiante. Bien sûr, c’est intéressant et nous devons l’apprendre, mais je trouve dommage d’aborder la santé des femmes uniquement via ce prisme, parce qu’il existe bien des différences entre hommes et femmes concernant certaines pathologies, et nous ne questionnons que très peu les mécanismes à l’œuvre en amont, susceptibles de les expliquer ».
A titre d’exemple, dans les pays industrialisés, 70 à 80% des personnes atteintes de maladies auto-immunes sont des femmes. L’Organisation mondiale de la santé relève par ailleurs que la dépression est 50% plus courante chez la femme que chez l’homme. Autre exemple récemment documenté : le retard de diagnostic d’infarctus du myocarde chez les femmes, inégalité pointée du doigt début 2025 par l’Académie de médecine : « il y a une différence de symptômes à connaître, souligne Anaïs Vallaeys. Les femmes peuvent avoir plutôt des douleurs digestives, quand les hommes présentent surtout des douleurs thoraciques ou des douleurs au bras, symptômes que nous apprenons en majorité ».
Timide éclosion du congé menstruel
En matière de santé au travail, les femmes et les hommes ne sont pas non plus à pied d’égalité. D’après l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), les maladies professionnelles progressent deux fois plus rapidement pour les femmes que pour les hommes depuis 2001, tous secteurs d’activité confondus. D’où la nécessité, pour Florence Chappert, responsable de la mission Egalité intégrée de l’Agence, « d’adapter l’organisation du travail et la prévention aux postes des femmes et des hommes ». Une préconisation appuyée par Patrice Adam, professeur de droit à l’Université de Lorraine, également cité par l’Anact : « il faut que les employeurs adoptent une politique genrée de prévention, en plus du rôle que le droit a à jouer ».
Ces dernières années, les débats politiques en matière de santé des femmes au travail ont surtout porté sur le congé menstruel, mis en place par quelques collectivités, dont Saint-Ouen (93) et Villeurbanne (69). Elise Thiébaut y voit « une réelle avancée, qui devrait être généralisée ». « Mettre la santé, au sens où l’OMS la définit – à savoir un état de bien-être et pas seulement l’absence de maladie – au centre de nos vies, est un impératif social et écologique ».
Nouvelles recommandations pour les personnes transgenres
L’autrice estime que tout reste à faire pour adopter une approche féministe au sein de la sphère médicale. A commencer par le « respect du consentement dans tous les actes médicaux, de l’examen au partage du diagnostic ». « Les femmes, dans le cadre médical, sont souvent traitées en mineures à qui il faudrait tout expliquer, et à qui on fait souvent la morale, alors même que les réponses médicales à nombre de leurs pathologies chroniques (endométriose, SOPK, migraines…) sont mal comprises et mal accompagnées, psychologisées ou, au contraire, dramatisées et pathologisées ».
Militer pour une médecine inclusive passe aussi par la lutte contre les LGBT-phobies. En juillet, la Haute autorité de la santé (HAS) a publié ses nouvelles recommandations pour la prise en charge des adultes en transition de genre. L’organisme public ouvre l’accès aux actes médicaux d’affirmation de genre (hormones, opérations, soins annexes) en plaçant comme seuls critères « les besoins exprimés par la personne concernée, une information complète et une décision libre et éclairée ». Anaïs Perrin-Prevelle, directrice de l’association OUTrans, salue une avancée significative : « Cela marque un tournant majeur dans l’approche de la prise en charge des transidentités. Cette nouvelle recommandation intègre ces évolutions et s’intéresse au parcours de la personne trans pour l’accompagner de manière adaptée ». L’activiste émet toutefois un point de vigilance concernant la formation des professionnel·les de santé : « beaucoup de personnes trans sont confrontées à des médecins qui refusent de les prendre en charge sous prétexte qu’ils ne sont pas formés. Mais qu’appelle-t-on un médecin formé ? A partir du moment où ces recommandations sont publiées, elles peuvent être incluses dans la formation des médecins ». A l’avenir, de potentiels refus de soin sont donc à surveiller.