Pourquoi la génération Z s’affirme-t-elle plus LGBTQI+ que les précédentes ?

<strong>Pourquoi la génération Z s’affirme-t-elle plus LGBTQI+ que les précédentes ?</strong>

Au Royaume-Uni, un rapport sociologique publié en octobre par l’association Stonewall indique que la génération Z s’identifie beaucoup plus comme LGBTQI+, en comparaison aux générations qui la précèdent. Un phénomène qui dépasse les frontières britanniques et qui s’explique par des facteurs multiples, selon les sociologues du genre Gabrielle Richard et Arnaud Alessandrin.

Par Aimée LeGoff

Les chiffres sont marquants. En octobre 2022, l’organisation britannique de défense des droits LGBTQI+ Stonewall publie son rapport sociologique, élaboré à partir des données de la société de sondages Ipsos. Au sein de la génération Z (née entre 1997 et 2010), 71% des personnes interviewées s’identifient comme hétérosexuelles, contre 82% des millenials – ou génération Y – et 91% des baby-boomers. Les jeunes britanniques seraient-ils plus disposé·es à affirmer une identité de genre et une orientation sexuelle en marge des normes ? « Ces chiffres ne sont pas étonnants, estime Arnaud Alessandrin, sociologue du genre et auteur de Déprivilégier le genre. Nous observons ce phénomène dans d’autres pays comme l’Allemagne, l’Australie, le Canada ou les États-Unis, où des recherches démontrent une augmentation des personnes se disant non hétérosexuelles, et une augmentation de l’affirmation de la non-binarité, qui est aussi une dimension très générationnelle. En France, depuis un an, les jeunes peuvent plus facilement s’affirmer transgenres à l’école (suite à la diffusion de la circulaire de l’Éducation nationale sur la transidentité, diffusée fin 2021, ndlr) ».

Plus de pédagogie sur les réseaux sociaux

Pour Gabrielle Richard, formatrice en milieu scolaire, sociologue du genre et autrice de Hétéro, l’école ?, plusieurs facteurs expliquent ces données. « D’abord, il est important de dire qu’on est tributaire de la manière dont les identités sont considérées, rappelle-t-elle. Il y a longtemps eu une criminalisation et une pathologisation des personnes LGBTQI+. Aujourd’hui, nous sommes face à un phénomène de démocratisation de notions relatives au genre et à la sexualité, notamment par le biais des réseaux sociaux ». Sur Instagram comme sur TikTok, de nombreux comptes qui se veulent pédagogiques tendent à démystifier certains concepts d’identité de genre. « Des informations qui sont éminemment complexes pour bien des adultes sont rendues plus digestes pour les jeunes, du fait de leur consultation de tels comptes ». Pour Arnaud Alessandrin, ces chiffres sont « les effets marqués d’une médiatisation et d’une possibilité juridique d’affirmer son identité. Les réseaux sociaux permettent aux plus jeunes de se raconter et d’affirmer leur propre identification. C’est un storytelling plus large que la case de binarité « homme ou femme » à cocher, qu’on retrouve sur de plus vieux sites ».

Une hausse de la visibilité plutôt qu’un effet d’influence

Cette idée de se défaire des étiquettes binaires est mise en avant par le rapport de Stonewall, qui démontre que les réponses diffèrent nettement selon la tournure de la question posée. Les chiffres varient ainsi de façon significative lorsqu’au lieu de devoir cocher les cases « hétéro », « gay » ou « lesbienne », les personnes interrogées peuvent choisir entre plusieurs affirmations pour définir leur orientation sexuelle : « exclusivement attiré·e par les personnes du même sexe » ; « surtout attiré·e par les personnes du même sexe » ; « autant attiré·e par les deux », etc. Dans ce cas, 53% des répondant·es de la génération Z affirment avoir une attirance sexuelle « exclusivement pour les personnes du sexe opposé », contre 61% pour la génération Y et 77% chez les baby-boomers.

« On gagne à avoir une lecture sociologique de ces données, dans la mesure où l’alternative est de considérer qu’il s’agit d’un simple effet de mode chez les plus jeunes, qui se laisseraient influencer ou seraient victimes d’un certain prosélytisme, explique Gabrielle Richard. En réalité, ces taux s’expliquent de façon tout à fait rationnelle ». Une affirmation que confirme Arnaud Alessandrin : « rien n’indique qu’il s’agit d’un effet d’influence. Cette idée n’a aucune valeur, ni psychologique ni scientifique. Elle ne tient pas la route ».

Un « phénomène double » à l’adolescence

Paradoxalement, si les plus jeunes s’affirment davantage comme appartenant à la communauté LGBTQI+, en comparaison aux générations précédentes, les lgbt-phobies persistent en milieu scolaire. « Le phénomène est double, explique Gabrielle Richard. Il y a encore un décalage entre cette multiplicité des identités des jeunes et le fait que la popularité adolescente soit étroitement liée à l’idée de conformité sur le plan du genre et de la sexualité. Encore aujourd’hui, les jeunes les plus populaires sont celles et ceux qui se conforment le plus aux attentes qui les ciblent sur la base de leur genre, incluant la présomption d’hétérosexualité ». Nous assistons donc à un décalage entre la façon dont les plus jeunes s’emparent du sujet et la manière avec laquelle ils se comportent entre pairs.

Nouer le dialogue intergénérationnel

Se penser et vivre ouvertement en tant que personne LGBTQI+ se fait en tout cas plus tôt qu’avant. « Je travaille auprès de jeunes queers depuis une bonne dizaine d’années, précise la sociologue. Il y a 15 ans, je rencontrais des jeunes qui me disaient «  j’ai 17 ans et je viens d’apprendre le mot  ‘’lesbienne” » . Comment peut-on se penser lesbienne si on ne connaît même pas le mot, ou si l’on ne connaît que des injures ? » Aujourd’hui, la formatrice dit entendre beaucoup plus de jeunes maniant les subtilités relatives au genre et à la sexualité, « de façon plus habile, d’ailleurs, que certain·es adultes ». 

Comment, dès lors, nouer le dialogue intergénérationnel ? « Souvent, les adultes se gardent bien de verbaliser leurs attentes, remarque Gabrielle Richard. Une partie importante de mon travail en formation consiste à faire comprendre que les dynamiques d’homophobie ou de transphobie ne se jouent pas qu’entre jeunes. Les adultes aussi ont leurs propres conceptions des normes eu égard au genre et aux sexualités, qui peuvent avoir un impact sur leurs pratiques ou leurs comportements auprès des jeunes ».