Pour une approche intersectionnelle de la santé des personnes LGBTQI+ 

<strong>Pour une approche intersectionnelle de la santé des personnes LGBTQI+ </strong>

En juin 2023, la Société Française de Santé Publique (réseau de professionnels de santé) publiera une revue scientifique sur la thématique de la santé des personnes LGBTQI+. Qu’en est-il ? Comment les personnes LGBTQI+ sont-elles prises en charge ? Quelles problématiques méritent d’être visibilisées ? François Berdougo, Délégué général de la Société Française de Santé Publique (depuis 2019) et Elise Marsicano, sociologue à l’Université de Strasbourg (Gabriel Girard est le 3ème coordinateur de la revue, chapeautée par un comité scientifique) nous éclairent sur le sujet de la santé des minorités sexuelles, sexuées et de genre.

Par Léa Taïeb 

Pourquoi aborder la thématique de la santé des populations LGBTQI+ aujourd’hui ? 

Le constat est simple : sur la santé des minorités sexuelles, sexuées et de genre, peu de discours et d’articles sont produits. “Aujourd’hui, la santé des populations LGBTQI+ se résume à la santé sexuelle des gays”, observe Elise Marsicano, sociologue à l’Université de Strasbourg. Et de poursuivre : “c’est bien de s’intéresser à la santé sexuelle. Mais ce n’est pas du tout représentatif de la réalité des personnes concernées. Il y a beaucoup d’autres problématiques à étudier, comme la santé mentale, la santé reproductive (notamment l’accès à la PMA), la consommation d’alcool ou de tabac, le dépistage des cancers”. D’après de nombreuses recherches menées en particulier à l’étranger, les personnes LGBTQI+ sont plus touchées par un certain nombre de problématiques de santé sans que la prise en charge ne soit adaptée. 

Aussi, la communauté scientifique a tendance à associer une problématique de santé à un groupe spécifique. Les hommes gays sont liés à la problématique de la santé sexuelle, du VIH et des IST (infections sexuellement transmissibles). Les femmes lesbiennes sont quant à elles cantonnées à la santé reproductive. Les personnes trans sont résumées à leur parcours de transition. Les enjeux de vie des personnes intersexes ont émergé plus récemment et s’articulent surtout autour de la question des interventions chirurgicales précoces et de leurs retentissements dans la vie des personnes. Quant aux personnes non binaires ou bisexuelles, elles ne sont pas tellement prises en compte. “Ce numéro de revue a pour objectif de rendre visibles les problématiques de santé de ces groupes dans l’espace considéré comme légitime de la santé publique et de contribuer à y apporter des réponses”, résume François Berdougo, Délégué général de la Société Française de Santé Publique (SFSP). 

Comment mieux représenter les problématiques de santé des populations LGBTQI+ ?

D’ordinaire, ce type de revue scientifique mobilise essentiellement des chercheurs et des chercheuses. Pour amener d’autres problématiques sur le devant de la scène, l’équipe de coordination de la revue est allée“démarcher” des professionnel·les et des associations de santé (qui travaillent au quotidien avec des personnes LGBTQI+) en France, en Belgique, en Suisse et au Canada pour qu’ils diffusent leur travail. “Nous avons ensuite accompagné ces personnes dans l’écriture de leurs articles pour que leurs études ou retours d’expérience puissent voir le jour”, précise Elise Marsicano. Dans ce processus éditorial, “nous avons cherché à donner de la visibilité à une diversité de populations, pas seulement blanches, pas seulement en bonne santé et concernant plusieurs problématiques de santé”, ajoute François Berdougo. Et de préciser : “il s’agit d’une approche très intersectionnelle de la santé”. 

Mais, même dans cette production scientifique, certaines thématiques manquent à l’appel :  aucun article n’a été soumis sur les questions d’alcool, de tabac, de drogues (exceptée la question du chemsex), de handicap ou de famille. Un seul article abordera la question du vieillissement, “alors que c’est une question majeure”. “Même les articles s’intéressant aux personnes étrangères ou issues des migrations seront peu nombreux – mais passionnants !”, remarque le Délégué général de la SPSP.

Quelles sont les problématiques de santé abordées dans la revue et qui méritent plus de visibilité ? 

“Même si cette revue comporte des angles morts, elle s’ouvre à de nouvelles thématiques comme la santé des personnes non binaires ou celle des personnes intersexes”,  remarque la sociologue. Et de compléter : “je pense qu’il y a quelques années, la question de la non binarité n’aurait pas été abordée”. Dans cette revue, il est aussi question de mettre à jour la question de la santé mentale : comment prendre en charge la sur-suicidalité des personnes LGBTQI+ ? Le 190, un centre de santé sexuelle à Paris dresse un bilan de ses douze premières années d’existence. Comment améliorer son accompagnement ? Comment gérer la prévention ? Le dépistage ? La Clinique mauve (un dispositif basé à Montréal) partage son expérience et ses différentes offres de santé à destination de migrants LGBTQI+. “Ce numéro de revue contribue à faire un pas sur le chemin que beaucoup de nos collègues et camarades impliqués dans « la santé LGBTQI » tracent”, rappelle François Berdougo.

Qu’est-ce que vous attendez de cette revue ? Quel pourrait en être l’impact ? 

“Dans un premier temps, la revue sert à faire exister dans l’espace public de la santé publique, de façon concentrée, en un volume d’une trentaine d’articles, la diversité des questions de santé des minorités sexuelles, sexuées et de genre”, informe François Berdougo. Et de poursuivre : “ces questions sont des questions qui nécessitent que l’on s’y confronte, que l’on mette en place une politique de santé structurée autour de ces populations peu prises en compte aujourd’hui”. 

La revue a vocation à influencer les organismes institutionnels (en charge de la recherche, des politiques publiques et des programmes de santé), les pratiques des décideurs gouvernementaux comme associatifs, à impulser une communauté d’actions pour que les populations LGBTQI+ puissent bénéficier de réponses adaptées à leurs besoins de santé. “Puisqu’il n’existe pas encore de prise en compte spécifique de ces besoins sur le plan institutionnel”, précise le Délégué général de la SPSP. 

Dans un deuxième temps, l’équipe de coordination de la revue espère contribuer à la structuration ou au renforcement de réseaux d’acteurs engagés sur ces questions de santé, dans la recherche, dans les politiques publiques, dans les interventions auprès des populations. La formation des professionnel·les et futur·es professionnel·les de la santé et du travail social est également un enjeu majeur si l’on souhaite améliorer la prise en compte de ces questions. “En l’absence de stratégies ou de politiques publiques structurées, le soutien d’acteurs privés pourra être essentiel pour faire exister toutes ces initiatives”, estime François Berdugo.

En savoir plus : Société française de santé publique