Ni hétéros, ni homos : pourquoi les bisexuel·les dérangent ? 

Ni hétéros, ni homos : pourquoi les bisexuel·les dérangent ? 

En entreprise, comme dans la vie de tous les jours, le B de LGBT est très rarement abordé. Et pour cause : au regard d’une partie des homosexuel·les comme des heterosexuel·les, les bisexuel·les n’existeraient pas. Pourtant, selon une enquête de l’Ined, (Institut national des études démographiques), entre 2015 et 2023, le nombre de jeunes adultes âgés de 20 à 29 ans et s’identifiant comme bisexuel·les ou pansexuel·les a été multiplié par six. Ils et elles sont donc bien présent·es dans la société, notamment en entreprise où il n’est pas toujours facile de dire qui l’on est. 

Par Chloé Consigny

S’il n’est pas simple de dire que l’on est lesbienne ou homosexuel sur son lieu de travail, il semble moins évident encore pour une personne de dire qu’elle est bisexuelle. Pourquoi ? Tout simplement parce que la bisexualité est un sujet très peu abordé – et lorsqu’il l’est, il n’échappe pas aux clichés et idées reçues. Au global, la population générale estime que « les bisexuel·les n’existent pas ». Camille Teste, autrice d’Embrasser la bisexualité  aux éditions Les Renversantes explique : « les personnes bisexuelles sont inclassables et souffrent de discriminations tant de la part de personnes queer que de personnes hétérosexuelles. Au sein de la communauté LGBTQI +, par exemple, beaucoup de bies se sentent illégitimes et s’invisibilisent. Dans les milieux hétérosexuels, une personne bisexuelle est perçue comme instable, voire comme une psychopathe ». 

Une femme sur cinq

Les études concernant spécifiquement les personnes bisexuelles restent rares. Au cours de l’année 2024, seuls 46 cas de biphobies ont été rapportés à SOS Homophobie, signe que ces violences sont rarement suivies de signalements. Dans le détail,  48 % des violences biphobes se manifestent par du rejet et de l’ignorance, des insultes dans 20 % des cas et du harcèlement dans 17 %. Journaliste et producteur du podcast Dramathis, Mathis Grosos constate que la bisexualité est souvent considérée comme un non-sujet : « Je me souviens avoir un jour proposé à la rédaction dans laquelle je travaillais un podcast sur les bisexuel·les. On m’a alors répondu que c’était un sujet beaucoup trop niche », se souvient-il. Selon Camille Teste, les bisexuel·les représenteraient la moitié des membres de la communauté LGBTQI+ et près de 10 % des personnes âgées de moins de 30 ans en France. L’autrice militante Florali Resa explique par ailleurs que les femmes bies sont significativement plus nombreuses que les lesbiennes. L’enquête de l’Institut national d’études démographiques (INED) donne un ordre de grandeur : en 2025 et dans la population des 20 – 29 ans, une jeune femme sur cinq ne s’identifie pas comme hétérosexuelle. 

Inclassables donc nié·es 

Les discriminations dont souffrent les personnes bisexuelles trouvent notamment une explication dans le caractère inclassable de ces personnes. Ils et elles questionnent les normes, qu’elles soient hétérosexuelles ou LGT. « Dans les années 70 et lors des premières Marches, les luttes bisexuelles émergent beaucoup moins que les luttes homosexuelles », explique Camille Teste qui poursuit « Les bisexuel·les ont toujours été perçu comme les passagers clandestins des luttes LGBTQI+ ». De fait, ce n’est qu’en l’an 2000 que le juriste américain Kenji Yoshino publie The epistemic contract of bisexual erasure, qui définit pour la première fois les mécanismes d’ occultation de la bisexualité. Aujourd’hui, les prises de parole se font plus nombreuses, largement portées par les réseaux sociaux. Les séries mettent de plus en plus en scène des personnages bisexuels. Sauf que, là encore, les représentations sont biaisées. « Dans les séries, les personnages bisexuels sont souvent assimilés à des prédateurs, voire à des tueurs… par exemple dans la série Killing Eve », analyse MathisGrosos. 

Invisibilisation sur le lieu de travail  

Les discriminations que subissent les personnes bies sont réelles et ne sont pas sans incidence sur leur santé mentale. Elles souffriraient ainsi davantage de dépression que les gays et les lesbiennes*.  « Je me souviens avoir fait un jour mon coming out sur mon lieu de travail. C’était durant l’été. J’étais animateur dans un camp de vacances. Je me suis confié à une animatrice hétérosexuelle. La suite du camp a été un enfer, elle me faisait sans cesse des blagues homophobes, sous couvert que nous partagions un secret », se souvient Mathis Grosos. Pour cesser les agissements de sa collègue, Mathis a décidé de lui parler frontalement. « Je l’ai pris à part, je lui ai expliqué que ce n’était pas OK et qu’elle ne pouvait pas se permettre ce genre de remarques ». 

Tout se passe comme-ci, ce qui est inimaginable vis-à-vis des personnes homosexuelles devenait acceptable avec les personnes bisexuelles, au prétexte que « à un moment on va bien finir par choisir », ironise Mathis Grosos. « C’est la phrase que les personnes bisexuelles entendent très souvent, comme-ci à un moment ou un autre il faudrait se ranger dans une case ». En entreprise, le coming out bisexuel reste complexe car rarement pris au sérieux. Pour la personne concernée, il peut être particulièrement fragilisant. « Il faut bien avoir à l’esprit qu’il faut en permanence refaire son coming out bisexuel. Par exemple, dès que je date une nouvelle personne, je dois réexpliquer ma bisexualité », détaille Camille Teste. C’est sans doute cette complexité qui enjoint les personnes concernées au silence. Le coming out bisexuel requiert une écoute réelle de la personne qui le reçoit. « Si vous pensez que vous n’avez pas de bisexuel·les dans vos collègues, c’est parce qu’ils et elles ne sont suffisamment en confiance pour vous parler de leur identité », conclut Camille Teste. 

Pour aller plus loin : 

Enquête ENVIE de l’INED « Homo, bi et non-binaires : quand les jeunes questionnent l’hétérosexualité », Population & Sociétés, 2025 

Embrasser la bisexualité, Camille Teste, éditions Les Renversantes, novembre 2025

* Architecture de la biphobie, par Floralie Resa, janvier 2025