Il y a cinq ans, Marion Tuduri, 45 ans, médecin pénitentiaire, urgentiste et spécialiste de la douleur, a décidé de s’engager dans une transition de genre. Comment a-t-elle annoncé sa transidentité à ses collègues, à ses patient.e.s ? Comment a-t-elle vécu cette période charnière dans son milieu professionnel ? Marion Tuduri nous partage son expérience de femme trans à l’hôpital.
Par Léa Taïeb
En 2017, Marion Tuduri a décidé de “changer de corps mais pas de vie professionnelle”. “J’étais installée à Roanne, je travaillais à l’hôpital depuis une vingtaine d’années dans un établissement pénitentiaire et au sein des Sapeurs Pompiers. Je n’avais aucune raison de changer. Mes compétences restaient les mêmes. C’était aux autres de s’adapter, de faire évoluer leur regard”, estime-t-elle. Malgré ce “postulat de base”, cette femme médecin a été “obligée” d’annoncer à ses différents environnements professionnels, à ses collègues et à ses patient.e.s sa transition de genre. “Contrairement à une orientation sexuelle que l’on peut cacher, la transition est visible que l’on soit en privé ou en public. En plus de cela, la transition prend, en général, plusieurs années”, explique-t-elle.
Compter sur des soutiens
Marion Tuduri (alors Bruno) s’est d’abord confiée à ses collègues les plus proches. “J’avais besoin de pouvoir compter sur des soutiens, des personnes qui pourraient m’aider en cas de problème avec ma hiérarchie ou avec mes collègues », se souvient-elle. Avant d’annoncer sa transidentité, elle redoute les réactions de ses pair.e.s et se prépare même au harcèlement physique et moral. “Je lisais des témoignages d’autres personnes trans qui vivaient un véritable enfer au travail, qui finissaient par démissionner ou par être viré.e.s. Comme c’est le cas pour d’autres, j’avais peur que l’on me rejette”.
Pour “se blinder” face aux potentielles réactions, Marion Tuduri prévient ses supérieurs, le directeur de l’hôpital, le directeur de la prison et le directeur des Sapeurs Pompiers de la Loire. “Je leur ai dit texto : j’ai envie que ma transition se passe bien pour moi comme pour tout le monde. Je n’hésiterai pas à saisir la loi si l’on porte atteinte à ma personne, ma famille, mes biens”, résume-t-elle. En face, les personnes sont compréhensives et bienveillantes. Le directeur de l’hôpital lui demande même en quoi il peut lui être utile. Selon Marion Tuduri, l’hôpital n’est pas une entreprise comme les autres. “Si le boulot est fait, l’institution n’a aucune raison d’aller contre votre décision”, traduit-elle.
45 minutes de discours
Un mois plus tard, elle décide de réunir ses collègues des Urgences pour leur annoncer quelque chose. Comme elle reste assez évasive, au sein du service, on s’imagine alors tout et n’importe quoi. “J’étais stressée parce que je ne savais pas du tout ce qui allait se passer”, décrit-elle. Dans un long discours de 45 minutes environ, elle revient sur son “trouble” qui se manifeste depuis l’enfance, son côté travesti, ses questionnements sur son “éventuelle pathologie psychiatrique”, sa décision celle de devenir de plus en plus Marion et de moins en moins Bruno. “Je vais avoir des seins, un sexe féminin, mais mon cerveau ne changera pas, ma personnalité ne changera pas”, ajoute-t-elle pour rassurer. Suite à cette prise de parole, une cinquantaine de personnes l’applaudissent, on la félicite, “les plus bienveillant.e.s” lui posent même la question : comment doit-on t’appeler maintenant ?
Malgré le fait que certain.e.s collègues se soient détourné.e.s, Marion Tuduri retient surtout qu’elle n’a pas subi de préjudice moral ou physique. “C’est peut-être lié au fait que dans le milieu médical, il y a de plus en plus de femmes. Les femmes sont peut-être plus empathiques sur la question de la transidentité”, suggère-t-elle.
“Il y avait de la bienveillance réelle comme feinte”
Et comment a-t-elle géré la situation avec ses patient.e.s ? Au centre de la douleur, elle soigne des habitué.e.s depuis longtemps. À un moment, en fin de consultation, elle leur a dit : “la prochaine fois que je vous verrai, je vous parlerai de quelque chose”. Suite à quoi, la majorité lui répliquait : “j’espère que vous n’allez pas partir docteur”. “Ce qui montre que ces personnes appréciaient mon travail”, souligne-t-elle. Et d’ajouter : “la fois suivante, je leur annonçais ma décision. J’adaptais ma façon de parler selon le profil”. Les personnes âgées tout comme les hommes qui semblaient machos avaient droit à un discours plus pédagogique… Seuls une femme âgée et un jeune homme ont choisi de changer de médecin. Certains patients douloureux chroniques lui ont demandé si elle n’avait pas trop souffert après sa vaginoplastie et deux mois d’arrêt. “Il y avait de la bienveillance réelle, mais, parfois feinte”, commente-t-elle.
« Aujourd’hui, c’est Marion pour tout le monde »
En revenant sur cet épisode, elle déclare avoir eu de la chance. “Quand j’ai fait mon coming-out, la question de la transidentité commençait à émerger dans les médias, on commençait à en parler de façon plus ou moins fine dans des émissions télé, dans des articles sur Internet”, rapporte-t-elle. Et de poursuivre : “si j’avais fait mon coming-out dix ans plus tôt, je pense que j’aurais vécu un enfer”.
Et qu’en est-il aujourd’hui, trois ans après la fin de sa transition ? “C’est Marion pour tout le monde”, répond-elle. Certaines personnes se trompent encore. Il y a celles qui ne font pas exprès et, plus rarement, celles qui mégenrent de façon volontaire. “Peu importe, je ne m’offusque pas, j’essaie de prendre les choses avec humour et distance », explique-t-elle. Le téléphone reste sa seule véritable angoisse. “Ma voix me trahit et rend mon identité de genre moins claire”, confie-t-elle.