Depuis leur rencontre il y a près de vingt ans, Frédéric Biousse et Guillaume Foucher ont mené différentes vies professionnelles. Des vies guidées par une entraide sans faille. Le couple est aujourd’hui à la tête de ce qui ressemble beaucoup à un groupe hôtelier. Une collection de demeures exceptionnelles pensées comme de véritables maisons de famille. Ils y apportent leur signature singulière, atypique et exigeante.
Par Chloé Consigny
C’est depuis l’Italie qu’ils nous accordent une interview. En juin 2023, Guillaume et Foucher et Frédéric Biousse ouvriront leur onzième établissement. « Pieve Aldina » est une maison de maître du 17e siècle, située sur les hauteurs de l’un des plus beaux vallons du Chianti. À équidistance de Sienne et de Florence précisément, au cœur des vignes et des champs d’Olivier. « Nous avions visité cette maison il y a quatre ans. Nous l’avons revisitée après la crise sanitaire et nous sommes retombés amoureux », explique Guillaume.
Retour à la terre
Dans la stratégie entrepreneuriale de Guillaume et Frédéric, il est avant tout question d’amour. Tout commence en 2015, lorsqu’ils cherchent à acquérir une résidence dans le Luberon. Parisiens d’adoption, ils évoluent dans les secteurs de la mode et de l’art. Guillaume est historien de l’Art, ex-École du Louvre et spécialiste du 17e siècle, à la tête de La Galerie Particulière à Paris et Bruxelles. De son côté, Frédéric s’est donné un défi de taille : en 2007, il acquiert le groupe SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot) avec pour ambition de réveiller la belle endormie. Si le succès est au rendez-vous, l’envie de prendre le large persiste. « La mode et le monde de l’Art sont des métiers qui développent beaucoup l’égo. À un moment, nous avons choisi de revenir sur des choses plus tangibles et d’évoluer au sein d’univers que nous ne maîtrisons pas », se souvient Frédéric. Tous deux issus de familles d’agriculteurs, ils rêvent de projets ancrés dans la terre. Frédéric reprend le chemin de l’école et valide un diplôme d’œnologie.
Onze coups de foudre
Cette année-là, ils tombent amoureux du Domaine de Fontenille, grande bastide du Luberon, tout en sachant que le lieu est beaucoup trop grand pour eux seuls. Ensemble, ils s’attaquent d’abord au vignoble. Après leur passage, la production passe de 4 000 à 300 000 bouteilles annuelles et leur vin cumule les distinctions. Vient ensuite la rénovation de la Bastide à l’abandon, puis l’ouverture au public. « Habiter ce domaine à deux n’avait aucun sens. Nous avons donc décidé de créer l’hôtel de nos rêves, celui dans lequel nous aimerions séjourner », se souvient Frédéric. S’en suivra une longue série de coups de foudre. Dix au total après Fontenille, auquel il faut ajouter une quinzaine de restaurants. Après six propriétés en France, ils prennent la direction de Minorque où ils tombent amoureux « du plus beau jardin de Minorque ». Alors que l’île est sèche dès le mois de mai, le bassin de rétention du 18ème siècle permet d’avoir un jardin luxuriant toute l’année. Ils s’emploient alors à rénover le palais situé au cœur du jardin. Après Santa Ponsa, ils tombent de nouveau amoureux et acquièrent Torre Vella toujours à Minorque. Puis vient la Toscane et à nouveau la France avec le Domaine de Chalamon à Saint-Rémy-de-Provence.
« Si c’est beau, ça marchera »
A chaque fois, ils s’engagent dans de lourds projets de rénovations, avec pour particularité d’être propriétaires des murs. Une pratique très rare dans l’hôtellerie où la règle est de séparer la propriété de la gestion. D’ici quatre à cinq ans, l’ambition est d’enrichir la Collection d’une quinzaine d’emplacements supplémentaires en Europe. « Un peu à la manière des gentlemen anglais, qui au 18e siècle partaient durant une année parfaire leurs humanités en faisant le tour de l’Europe, nous avons pour projet de proposer un tour d’Europe au travers de notre Collection », explique Guillaume. Un parti pris qui fonctionne d’ores et déjà : la clientèle des établissements de la Collection est à moitié composée de fidèles, alors que dans l’hôtellerie traditionnelle, seuls 8 % des clients sont fidèles à une marque. Dans un contexte macro-économique incertain, les deux entrepreneurs continuent à attirer les investisseurs, tout en conservant leur liberté de ton. « Nous nous sommes vu proposer des projets très moches, mais très rentables. Pour nous, c’est hors de question. Nous refusons le cynisme des affaires et nous restons convaincus que si c’est beau, alors ça marchera. Les clients doivent sentir que nous sommes les premiers collectionneurs des lieux que nous proposons », explique Frédéric. Autre spécificité, les tarifs pratiqués. « Contrairement aux grands groupes qui segmentent leurs prix en fonction des marques, nous veillons à étendre la gamme de prix le plus possible, afin qu’il y ait de la place pour l’ultra-luxe, mais également pour les plus petits budgets », détaille Guillaume.
« Si vous n’aimez pas Françoise Hardy, ne venez pas ! »
Pour chaque maison de la Collection, ils appliquent la même méthode. Ils commencent par les extérieurs et plantent de grands arbres puis s’attaquent au bâti. Pas question de gommer les aspérités du lieu. « On reste en couple avec quelqu’un qui nous énerve. Jamais avec quelqu’un de lisse », constate Frédéric. Le nid d’hirondelle qui a élu domicile dans la grande salle de la Pieve Aldina restera donc en place « et si salissure il y a, nous nettoierons », s’amuse Frédéric. Pas question non plus de faire appel à un·e professionnel·le de la décoration. Chaque espace, chaque chambre est pensé et décoré par le couple qui appose sa patte au travers d’œuvres sélectionnées par Guillaume. « Pour l’ouverture d’un hôtel, il y a 6000 lignes de commandes à réaliser, depuis le linge de maison à la vaisselle. Cela prend du temps, mais si nous souhaitons apposer notre signature, c’est la seule solution », constate Guillaume. Rien n’échappe donc à l’œil des deux passionnés, du détail de la playlist, à l’intérieur des armoires. « Je conçois les playlists pour chaque hôtel. Si vous n’aimez pas Françoise Hardy, Barbara et Etienne Daho, ne venez pas ! », ironise-t-il, avant d’ajouter, « À Primard (ancienne demeure de Catherine Deneuve), le papier peint de la grande salle est une réplique exacte du papier peint de l’intérieur du meuble de la cuisine qui était là avant notre arrivée. Je suis le seul à le savoir, mais pour moi, c’est important ».
Inclusion à tous les étages
Ils ont un regard sur tout mais encouragent leurs équipes à exprimer leurs différences au sein d’un groupe qui emploie désormais 700 personnes, dont une majorité de CDI. « À l’accueil de Primard, les réceptionnistes portent des bottes en caoutchouc. Nous sommes un établissement haut de gamme, mais nous restons pragmatiques et il n’est pas question de bétonner les allées d’un parc ! De même, il n’a jamais été question de demander au personnel de cacher des tatouages et s’il arrive qu’un plateau tombe, il suffit de sourire et de ramasser », conclut Frédéric.