Drôle, décalé et féru de politique, Le Tréma – de son vrai nom Maël Coutand – détourne l’ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response) pour aborder avec humour et douceur des sujets sérieux comme la politique, le climat ou l’hétéronormativité.
Par Fabiola Dor
Est-ce que les hétérosexuel·les vont bien ? Maël Coutand, alias Le Tréma, 37 ans, créateur de contenus engagé a décidé de mener l’enquête sur Instagram, son terrain de jeu favori. Avec ses deux comptes (le perso et celui de son concept), le vidéaste incarne deux personnages, mais porte une seule voix. Celle d’un trublion politique, à la fois drôle et lucide, une sorte de « woke bisounours » qui veut dépoussiérer la politique et les sujets sociétaux.
Sur son compte perso, @le_trema (125 000 abonné·es), le blond aux cheveux mi-longs s’attaque aux normes sociales. Depuis fin mars, il signe une série qui démystifie l’hétéronormativité en tant que système d’oppression politique. Au cœur de sa réflexion : l’idée que l’hétérosexualité n’a rien de “naturel” ni d’universel. Cette remise en question vient des travaux de Monique Wittig, autrice française féministe lesbienne, qui a théorisé le fameux “contrat social hétérosexuel”.
Avec @asmr_politics, son second profil, ce professionnel de la com réussit un pari fou : mixer ASMR (cette technique censée déclencher une sensation de bien-être via des stimuli sonores) et actualités politiques. Sur le papier, ça semble improbable. Sauf que la mayonnaise prend très bien : 114000 abonné·es, des millions de vues, et une communauté qui en redemande. Le principe : il chuchote l’actu comme on lirait une histoire au coin du feu, tout en tournant en dérision les figures politiques. Poutou, Mélenchon, Macron… Tout le monde y passe.
Ce féru de politique a passé plus de dix ans entre la communication, le plaidoyer et l’associatif. Le Tréma a bossé pour Surfrider Foundation Europe, la Fédération de protection de l’enfance, puis la Fondation pour la Nature et l’Homme (ex-Fondation Hulot) en 2017. En 2020, il devient directeur de la communication à la mairie du 12e arrondissement de Paris”.
Du burn-out au succès
“Tout ça démarre de manière assez improbable”, confie Le Tréma avec une grande humilité. Tout part d’un burn-out. Après deux années passées à travailler dans une collectivité, il est lessivé. « Je me retrouve dans un environnement hostile, assez toxique », raconte celui qui, à l’époque, est encore en poste. Pour tenir le coup, il entame une thérapie… et découvre l’ASMR, ces vidéos de chuchotements censées apaiser l’anxiété. C’est le déclic : et si on parlait de politique autrement ?
Le basculement. Novembre 2020, troisième confinement. Il tombe sur une interview de Ségolène Royal, « qui raconte des bêtises chez Bourdin », ironise-t-il. Pour s’amuser, il la double en ASMR. Le ton est taquin, la forme décalée. Les retours sont immédiats. Un mois plus tard, il récidive et fait chuchoter Jean-Luc Mélenchon, grande gueule politique connue pour ses sorties de route. La vidéo devient virale. En 48 heures top chrono, son compte Instagram explose : plus de 40 000 abonné·es.
« Un vrai vertige. C’était ouf, mais aussi déstabilisant : beaucoup de messages positifs… et pas mal de trolls à gérer », se remémore-t-il.
Mais qu’est-ce qui plaît autant dans ses contenus ? C’est avant tout sa capacité à créer des espaces de discussions “safes”, où chacun peut s’exprimer en commentaires, le tout avec des images très drôles. « Mon objectif, c’est de provoquer des conversations, loin des débats agressifs qu’on voit souvent, sans viser un genre ou un groupe en particulier », explique le vidéaste. « Même si ça a l’air simple et artisanal, c’est un vrai travail de création », précise-t-il.
Éveiller les consciences
Une recette magique, presque évidente et le début d’une nouvelle vie. Très vite, le fondateur d’@asmr_politics enchaîne les collabs avec des personnalités politiques et reçoit même une invitation sur le plateau de C à Vous. « Quand Anne-Élisabeth Lemoine m’a DM pour me dire qu’elle adorait mes vidéos, j’ai compris qu’il se passait un truc », reconnaît-il. Malgré cette grande visibilité et de belles collaborations avec Libération, Reporterre ou Vert, il ne vit pas encore entièrement de son activité de créateur de contenus. Il réfléchit à une stratégie de diversification. En parallèle de sa vie instagram, il reste consultant en communication et plaidoyer pour des structures comme La France s’engage, la Ligue contre le cancer ou encore La Poste.
Côté création de contenus, Maël garde la même ambition : éveiller les consciences d’une communauté qu’il juge « pas très politisée ». Il en prend conscience pendant les législatives de 2024. Très actif contre l’extrême droite sur les réseaux, il glisse un jour dans une story qu’il est à gauche. Résultat : 600 désabonnements en 24 heures. « C’est surprenant, surtout quand on suit mon contenu régulièrement… », avoue-t-il encore.
Quand il ne chuchote pas dans un micro ou ne peaufine pas un script, ce trentenaire fan de randonnée – qui adore aussi la salle de sport – est bénévole chez SOS Amitié depuis deux ans. Il rappelle à son bon souvenir un partenariat avec Amnesty International, l’ONG de défense des droits humains. « Même étudiant, j’étais déjà très investi dans différentes assos », observe-t-il. Président de la junior-entreprise, bénévole au Festival Zero Waste, puis à la tête de la Maison du Zéro Déchet… L’engagement fait clairement partie de son ADN.
Sa prochaine étape, c’est peut-être renouer avec son rêve d’enfant : devenir comédien. Fan de Lou Trotignon, humoriste trans non-binaire, il scrute avec attention l’univers du stand-up queer. « J’adore analyser leur écriture. Ce sont de vraies bonnes blagues, sans être niches ». Un nouveau virage à prendre ?