« L’inclusivité de mon entreprise a été un critère de choix fondamental »

« L’inclusivité de mon entreprise a été un critère de choix fondamental »

A 26 ans, Hakim Saadani affiche déjà, sur son CV, un sacré parcours professionnel. Diplômé de Centrale Paris en 2017, le jeune homme a acquis une première expérience en tant qu’analyste-stratégiste chez AXA entre juin 2018 et février 2021. Depuis, il a rejoint le cabinet de conseil en stratégie Oliver Wyman où il officie au poste de consultant. Un employeur qui a signé la Charte de l’Autre Cercle et dont les efforts pour garantir le bien-être de son personnel LGBT+ ont séduit ce candidat de la génération Y. Explications.

Par Stéphanie Gatignol

Dans quelles proportions la politique d’Oliver Wyman vis-à-vis de ses collaborateurs LGBT+ a-t-elle été un facteur d’attractivité ?

Quand je cherche à intégrer une entreprise, je sélectionne d’abord mes recruteurs potentiels en fonction de mon parcours et de mes aspirations professionnelles. L’environnement de travail n’est pas mon premier critère de sélection, mais il demeure essentiel. Le milieu des cabinets de conseil est exigeant, il implique une lourde charge de travail. Il me semble donc fondamental de pouvoir être soi-même et de ne pas avoir à se demander si l’on va être jugé pour ce que l’on est. Et ce confort conditionne, naturellement, les performances.

Comment avez-vous repéré votre actuel employeur ?

Oliver Wyman intervient régulièrement à Centrale. Etudiant, je savais déjà que l’inclusion et la diversité y étaient des sujets très importants et j’avais gardé cette notion en tête. Grâce aux évènements que le cabinet organisait dans le cadre de mon école d’ingénieurs, j’avais, par ailleurs, eu l’occasion de rencontrer plusieurs collaborateurs du cabinet et j’ai pu me faire ma propre idée du niveau d’engagement de l’entreprise. Aujourd’hui, la majorité des entreprises se proclament pro diversité, elles affichent ces valeurs sur leurs sites Web, elles exhibent des  drapeaux arc-en-ciel le jour de la Gay Pride et il n’est pas toujours facile de jauger la part de vérité et la part de com’. Obtenir le feedback terrain des anciens ou des collaborateurs permet de distinguer le vrai du faux, de savoir si ces entreprises font de l’habillage ou si elles mènent une réelle politique inclusive.

Y êtes-vous complètement « out » ?

Oui, je m’assumais à Centrale – où tout s’est très bien passé en dehors des habituelles petites moqueries que l’on rencontre un peu partout – et j’ai continué à m’assumer en entreprise. Je l’ai fait dès mon premier job, mais il m’a fallu quelques mois pour ça. Au départ, j’éprouve toujours un peu de stress. Je me dis : « je suis est en période d’essai et je ne connais pas encore très bien la culture entreprise, je ne vais pas trop me mouiller, je ne suis pas à l’abri de tomber sur un manager un peu homophobe qui me note mal… ». C’est triste, mais c’est la réalité. Il y a toujours un temps de latence où l’on se pose des questions.

Le monde des cabinets de conseil est-il globalement inclusif ?

Plutôt oui, car il se compose de beaucoup de grosses entités américaines pour lesquelles la diversité est très importante. D’autre part, les profils qui évoluent dans ce genre de cabinets sont généralement issus d’écoles ou de formations où la question de l’inclusion est régulièrement abordée. Je remarque, néanmoins, qu’il peut subsister un gap générationnel entre les collaborateurs. Chez les plus jeunes consultants, l’identité sexuelle n’est plus un sujet – ce qui est très encourageant pour l’avenir – mais cette évolution n’est pas le cas de tout le monde. Du coup, la situation peut être un peu déstabilisante, parce que vous vous demandez forcément dans quelle mesure le manager et l’associé qui travaillent  sur votre projet sont à l’aise avec la question. Ce qui est rassurant chez Oliver Wyman, c’est que ces collaborateurs-là sont nombreux à être très engagés sur le terrain de l’inclusion et de diversité.

D’où l’importance de former à l’inclusion toutes les strates de la hiérarchie ?

Tout à fait. Le cabinet a d’ailleurs, établi de nombreuses actions de sensibilisation qui vont en ce sens. Il a mis en place des formations, des séances de « reverse mentoring » durant lesquelles un collaborateur LBGT+ vient partager l’expérience de son parcours professionnel et des difficultés qu’il a pu y rencontrer du fait de son identité, etc.  Un « festival de l’inclusion » a eu lieu fin septembre…  Quand on voit que le collectif GLOW Paris, créé en 2012, compte désormais plusieurs allié.es et collaborateurs non LGBTQ+, il me semble que ces différentes initiatives ont déjà porté leurs fruits.

Pensez-vous qu’il soit plus facile d’orienter ses recherches vers une entreprise inclusive dans des secteurs d’activité comme le vôtre ? 

Oui, notamment grâce aux solides réseaux qu’offrent les cabinets de conseil et qui permettent de récolter facilement des retours d’employés en poste ou d’anciens. Mais, j’aimerais souligner que certaines entreprises peuvent se montrer très inclusives sans nécessairement l’afficher. Lors de mon passage chez AXA, j’ai trouvé les gens tolérants, ouverts, et j’en retiens une très bonne expérience. Pourtant, quand j’entendais le nom de cet assureur, il m’apparaissait un peu « vieille France » et ne me faisait pas forcément penser à l’inclusion. Idem pour les secteurs de la banque ou la finance que l’on n’associe pas d’emblée à ce terme, mais qui réservent parfois de bonnes surprises.

Seriez-vous prêt à faire des concessions sur le montant de votre salaire, voire sur l’intérêt d’un poste, pour privilégier un contexte inclusif ?

Très bonne question… et je crois que la réponse n’est pas figée dans le marbre, il me semble qu’elle dépendra des étapes de ma vie et de l’état d’esprit dans lequel je me trouverai. Aujourd’hui, la qualité de mon environnement de travail est très importante et je suis capable de faire des compromis pour la conserver. Mais peut-être que, dans trois ans, je connaîtrai une énorme poussée d’ambition et que l’argent deviendra moteur… Pour autant, il y a un curseur, une limite de tolérance. Je peux concevoir d’évoluer dans un cadre un peu « tradi », mais pas m’imaginer chez un employeur qui n’est pas LGBT + friendly du tout.

Qu’est ce qu’un employeur peut gagner à inclure les personnes LGBT+ ? Ou perdre à ne pas le faire ?

C’est un moyen pour lui d’attirer la plus grande diversité des talents. Nous ne sommes pas tous pareils, nous avons des parcours, des identités différentes et, au jour le jour, cette pluralité enrichit les collaborations. Il y a chez les LGBT+ des qualités qui peuvent profiter à l’ensemble du personnel, une certaine ouverture d’esprit. Sans prétention et sans tomber dans des généralités, ces personnes me semblent aptes à insuffler des qualités managériales plus participatives, plus collaboratives, et ainsi contribuer à faire émerger un sens du collectif encore plus fort.