Le racisme, grand oublié des politiques D&I

Le racisme, grand oublié des politiques D&I

En 2025, la consultation citoyenne lancée par make.org sur l’inclusion au travail se clôture. Sur les 2 278 propositions, moins de 10 suggestions mentionnent le racisme, la diversité culturelle ou ethnique. Il s’agit là des projets les plus controversés. Le racisme semble, aujourd’hui encore, le grand impensé des politiques D&I.

Par Apolline Baleine

Camille travaille dans un groupe de retail international. D’origine asiatique, elle a reçu de nombreuses remarques racistes de la part de sa clientèle au cours de ses 6 années passées en boutique. Lors de sa première affectation en tant que vendeuse dans un quartier huppé de Paris, les commentaires pleuvent : « Vous avez forcément des origines » ; « Je parle japonais » ; ou encore « Konnichiwa ! » De même que son rôle au sein du magasin est parfois stéréotypé; certain·es client·es la pensant couturière. Lorsqu’elle devient manager, les remarques racistes se teintent de sexisme : « Je veux parler à un français » ; « Je veux parler à un homme ». Dans cet environnement, Camille peut compter sur son équipe  : « Mes allié·es, ce sont mes collègues racisé·es. Je leur raconte, nous nous scandalisons ou nous en rions ensemble. Ça soulage un peu. »

Aujourd’hui, Camille occupe le poste de responsable développement durable de ce même groupe international de distribution. Elle participe activement à construire la politique antiraciste interne, avec l’envie forte d’inciter salarié·es et dirigeant·es à s’emparer de cette cause.

Le coût du racisme

Le racisme s’inscrit dans les 26 critères de discrimination recensés par la loi. À ce titre, les propos racistes, sexistes ou homophobes sont répréhensibles civilement et pénalement : la personne autrice encourt jusqu’à 3 ans de prison et 45 000€ d’amende. Il en va de même pour la discrimination à l’embauche, le manque d’accompagnement dans la carrière, etc.

Pour Clémence Flaux, avocate et formatrice, insister sur cet aspect en formation est essentiel : «  ce n’est pas une opinion ou un débat. C’est un cadre légal à respecter. »

Non traitées, ces discriminations ont un impact direct sur le bien-être des personnes concernées. Ce constat, c’est Marie Dasylva qui le fait. Coach et stratégiste sur les questions de discrimination au travail, elle a accompagné plus de 400 personnes depuis la création de son agence Nkaliworks il y a 8 ans. De cette expérience, elle retire une conviction : « La discriminination est un projet de mort sur des personnes données. Elle affecte l’espérance de vie … et l’espérance tout court. » 

Autre exemple. Jade Tonga, freelance, est la seule personne non-blanche du collectif auquel elle appartient. Une position qui alimente une forme d’hypervigilance quant à sa capacité à être vocale sur certains sujets, parfois doublée de solitude – comme le jour où une personne a appuyé l’existence du racisme anti-blanc.

Lever le tabou : un pré-requis pour passer à l’action

Consultante en DEI depuis quatre ans, Alexia Sena a fait du sujet son fer de lance. Lorsqu’elle évoque le dernier événement auquel elle a assisté – centré sur l’inclusion –,elle déplore : « Sur 200 ateliers donnés, aucun ne portait sur le racisme ». 

Pour Alexia Sena, ce constat reflète une tendance plus globale : « la société est aveugle et sourde à ces questions. » Néanmoins, « le racisme est un phénomène structurel. Il se retrouve dans toutes les sphères de la société, dont le travail » explique Solange Umuhoza, chargée d’étude chez BePax, association belge spécialisée dans l’éducation antiraciste depuis 2013. Pour la spécialiste, adopter une approche systémique permet de mieux comprendre comment certaines remarques perçues comme anodines peuvent « contribuer à la perpétuation des stéréotypes et représentations des personnes racisées ».

Pour Marie Dasylva, la solution est claire : « Il faut se donner les moyens de répondre à l’urgence de ces enjeux de manière radicale. » Et pour elle, cette radicalité passe notamment par les mots. En guise d’exemple, elle mentionne la politique finlandaise qui utilise la formule : « éradiquer le sans-abrisme » d’ici 2027. Une déclaration sans équivoque, qui permet de prendre des mesures à la hauteur de l’enjeu. Aujourd’hui, Marie Dasylva enjoint les entreprises à s’inspirer de cette radicalité afin d’agir sur les causes profondes de la discrimination. L’experte propose par exemple de réaliser un diagnostic interne en se posant les vraies questions, à savoir : Faisons-nous ce qu’il faut ? En faisons-nous suffisamment ?

Tolérance zéro 

Responsable des Ressources Humaines dans la startup française Bene, Bono Christelle Vaugelade-Kalipé est animée par la volonté de porter ces sujets en interne. Celle-ci partage : « feel safe fait partie de nos valeurs piliers ». Très concrètement, l’entreprise a recours aux scorecards pour identifier les besoins de recrutement pour chaque poste en amont. Cela lui permet ensuite d’évaluer l’ensemble des candidatures sur les mêmes critères. Le plus important étant de systématiser le passage à l’action dans les moments difficiles. « C’est la manière dont on répond qui fait le ciment de la culture d’entreprise. Il ne faut rien laisser passer » martèle Christelle Vaugelade-Kalipé.

Clémence Flaux,  confirme : « l’intransigeance crée la confiance et encourage les signalements individuels ».  Selon le rapport annuel d’activité 2024 du Défenseur des droits, un tiers des victimes de discrimination renonce à témoigner – persuadées pour 43% que « cela ne changera rien ».

Il en va de même pour les sujets LGBTQI + où, selon l’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité 2023 du Ministère de l’Intérieur, peu de victimes portent plainte. (4% pour les injures et 6% pour le harcèlement moral.)

Dans l’entreprise où travaille Camille, chacun et chacune « signe un code de conduite qui interdit les comportements discriminants » lors de l’onboarding. « Nous avons une procédure de signalement et de prise en charge des discriminations. Si les propos sont haineux, cela peut aller jusqu’au licenciement. » 

En parallèle, il existe également des systèmes de soutien alternatifs. « Les managers sollicitent les RH. Les vendeur·ses se tournent vers moi pour se confier ou chercher conseil, même si je n’ai aucun pouvoir décisionnel RH » précise Camille dont l’expérience et la prise de position sur le sujet l’ont désigné comme personne ressource. Un rôle pivot qu’elle apprécie d’autant plus par son caractère informel.

Malgré tout, mesurer les avancées reste difficile. Ainsi, Alexia Sena déplore : « souvent, cela coince au moment de partager à l’externe ses initiatives ». Ce phénomène – appelé diversity hushing en anglais – consiste à taire ses actions en faveur de la DEI pour éviter les critiques ou le retour de bâton, donnant l’impression que rien ne bouge. Une pratique qui s’intensifie depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche et expose encore plus les personnes minorisées aux discriminations.

Quoiqu’il en soit, prendre en compte la multiplicité des identités individuelles (de genre, d’origines, etc.) permet de mieux accompagner le collectif au quotidien. 

Et pour ce faire, une seule solution : « mettre les pieds dans le plat et en parler avec les principaux et principales intéressé·es. », insiste Jade Tonga. Une manière de « mettre la marge au centre » conclut Marie Dasylva en citant bell hooks. Car plus les personnes marginalisées sont intégrées, plus l’environnement global est safe pour l’ensemble du collectif.