« Le manque de représentation a été un premier blocage », Nadim Bel Lallahom, président de Diversidays

« Le manque de représentation a été un premier blocage », Nadim Bel Lallahom, président de Diversidays

Depuis le mois de janvier, Nadim Bel Lallahom est à la tête de Diversidays, association nationale d’égalité des chances au service de l’inclusion numérique. La diversité, pour lui, c’est aussi celle des rôles modèles qu’il faut rendre visibles, pour montrer que tout le monde « peut être libre d’être soi ».

Par Aimée Le Goff 

Il multiplie les casquettes et les talents. À 29 ans, Nadim Bel Lallahom est fraîchement nommé président de Diversidays, association proposant des programmes d’accompagnement à de nombreux publics pour une plus grande inclusion dans les métiers du numérique. « Notre objectif est de prouver que le numérique peut être un ascenseur social, notamment pour les personnes invisibilisées, ou représentantes d’une diversité plurielle. Nous voulons dénicher de nouveaux entrepreneurs sociaux numériques ». Un leitmotiv ? Donner les outils nécessaires pour que chacun·e prenne à son tour sa place dans le monde de la Tech, en pleine révolution. « Les fondateurs du numérique aujourd’hui ne sont pas représentatifs de notre société ».

« Assez tôt, j’ai senti que l’on m’apposait des labels »

Voilà cinq ans que Nadim compte parmi les fidèles membres de l’association, tour à tour bénévole, trésorier puis président. « Nous avons un grand rôle d’accompagnement et de sensibilisation à jouer. Au vu de mon parcours, Diversidays, pour moi, c’était une évidence ». Plus jeune, Nadim grandit dans un quartier populaire du Val-de-Marne. « J’ai grandi avec une identité qui a été comme un long questionnement, à la fois sur mon identité sociale, culturelle ou amoureuse. Assez tôt, j’ai senti que l’on m’apposait des labels. Je subissais mon homosexualité, le fait d’être né dans une famille franco-tunisienne, binationale, dans un quartier populaire. Je ne rentrais pas dans des cases. Je n’avais pas la main sur mon identité ». À l’époque, ces questionnements génèrent solitude, harcèlement et autres violences. « C’est ce qui a constitué la source de mon engagement ».

Égalité des chances contre mépris de classe

Le lycée qu’il intègre est en ZEP (Zone d’éducation prioritaire, aujourd’hui REP, ndlr) et figure parmi les plus mal classés du département. Il est inscrit au dispositif des Conventions Éducation prioritaire, lancé par Science Po pour ouvrir une voie d’accès aux élèves issus de milieux populaires. À cette période, Nadim découvre l’association Ambition Campus, qui offre la possibilité aux lycéen·es de préparer les concours d’entrée aux IEP. « Ça a été mon premier lien avec le principe d’égalité des chances ». Il intègre le programme en terminale. « Nous étions accompagnés par plusieurs mentors. On avait beaucoup de préparation à l’oral, des exercices journalistiques, un accompagnement le samedi… ». Le cursus n’est « pas de tout repos » mais en vaut la chandelle : Nadim réussit ses concours et intègre Sciences Po Paris. Il souhaite y étudier la communication, qu’il envisage comme « un pont entre plusieurs mondes socio-culturels ». À son arrivée, il affronte les remarques teintées de mépris de classe. « Chez Ambition Campus, on venait des mêmes milieux. L’étiquette ZEP nous a été collée dès la première année. Par pure ignorance, on m’a dit que j’avais volé ma place ».

« Il faut accepter de s’exposer pour que d’autres se sentent moins seul·es »

Pour faire face à ces propos, l’étudiant accepte de prendre le temps de la pédagogie. « Tout le monde ne veut pas forcément répondre de façon constructive à ces remarques car c’est épuisant, concède-t-il. Moi, je me suis senti capable de jouer ce rôle de médiateur. Il faut parfois accepter de s’exposer pour que d’autres se sentent moins seul·es ». Durant ses études, il retourne chez Ambition Campus, en tant que mentor cette fois-ci. Il y restera huit ans. Les étudiant·es qu’il encadre doivent s’emparer d’un sujet d’actualité pour préparer le concours. Parmi les centaines de lycéen·es qu’il rencontre, une seule étudiante se penche sur le numérique, avec un sujet pointu lié au lancement d’un médicament connecté. « Peu de personnes issues des quartiers populaires s’intéressaient à des sujets numériques, qui à l’époque étaient pourtant en train de se décupler. Les entreprises ne les ciblaient pas ». 

Au ministère, un coming out forcé

C’est ce constat qui orientera les choix de Nadim vers les métiers du numérique. Le jeune homme fait aujourd’hui partie des personnes pour qui contenir un CV en une page peut relever du challenge. Après une première expérience difficile en agence de publicité, il se tourne vers l’UX design, spécialité centrée sur l’amélioration de l’expérience utilisateur. Grand féru d’athlétisme, il officie pour Decathlon et se réjouit d’œuvrer pour une entreprise ayant à cœur « de faire du sport un facteur d’inclusion sociale ».

Avant d’arriver à ce poste, Nadim a connu les LGBT-phobies au travail, à l’occasion d’un passage…en ministère. « Je n’avais pas forcément choisi d’être out au travail, mais un jour, à la sortie d’un déjeuner, j’ai assisté à une discussion choquante et discriminante entre mes collègues. Je suis intervenu en disant que j’étais homosexuel. On m’a répondu que cela ne regardait que moi. J’ai vécu cet échange comme un coming out forcé. Avant cela, je n’ai jamais connu d’homophobie aussi peu dissimulée dans le monde professionnel. J’ai décidé de quitter précipitamment ce cher ministère, et de ne pas me confronter à ces personnes ».

Besoin criant de rôles modèles

Pragmatique, Nadim Bel Lallahom refuse les détours pour conter son histoire : « Mon premier blocage, ça a été le manque de représentations. Je n’ai pas grandi avec des rôles modèles homosexuels ou arabes. C’est important d’avoir ces modèles d’inspiration. En tout cas, c’est difficile de se construire sans ».

À côté de Diversidays, Nadim est bénévole chez Les Nouvelles Voix, une fondation européenne pour le climat pour laquelle il déniche des porte-parole, « afin de diversifier les figures médiatiques de l’écologie ». Une idée qui s’inscrit « dans la continuité de Diversidays, mais sur la question écologique ». Début 2023, il est aussi sélectionné pour participer au Transatlantic leader program du German Marshall Fund, un programme visant à réunir des leaders européens et américains sur les thématiques d’inclusion. « L’entreprise est un environnement au même titre que la vie privée, la vie de famille ou l’école. Nous pouvons faire évoluer cet environnement en montrant que la transidentité, l’homosexualité ne sont ni des choix, ni des sujets minoritaires ou éphémères ».