Sur le chemin de la parentalité, les femmes lesbiennes sont peu nombreuses à prendre la parole. Avec son album jeunesse « La conception de Léo avec la PMA », Sylvie Li dévoile son histoire. Celle d’une femme lesbienne née dans une famille chinoise et conservatrice qui réalise son parcours de PMA en Belgique et en France.
Par Chloé Consigny
Elle cite volontiers Simone Veil pour rappeler que « la loi ne fait pas tout ». Adoptée en 2021, la quatrième loi de bioéthique élargit l’assistance médicale à la procréation (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Si l’avancée légale est réelle, l’avancée sociétale est encore en cours d’écriture. « Quoi que dise la loi, deux femmes lesbiennes sur le chemin de la parentalité se heurtent à des avocats, des notaires, des médecins, des officiers d’État civils qui ont une certaine idée de la famille », constate Sylvie Li. Lors de son parcours de PMA, initié avant la loi 2021 et réalisé pour partie en Belgique, Sylvie Li a été confrontée à cette « certaine idée de la famille ». Elle explique : « je vivais très mal mon statut de patiente clandestine. A l’occasion d’une échographie réalisée en France, en amont de l’insémination en Belgique, un médecin m’a mise en confiance. Sous l’effet de la blouse blanche, je lui ai expliqué les raisons de cet examen. Il m’a alors fermement indiqué que « je n’avais pas le droit » », explique-t-elle.
« Les enfants d’Arc-en-ciel font le SAV de la loi »
Une lesbophobie ordinaire qui n’a pas disparu avec l’adoption de la loi. Pour elle, « l’amour crée la famille, tandis que la loi la légitime ». Si elle se réjouit de l’adoption de la loi, elle déplore sa méconnaissance. « Rares sont les couples lesbiens qui savent que cette loi permet de réaliser une reconnaissance conjointe anticipée. C’est pourtant une avancée de taille. Si j’étais décédée avant que l’adoption plénière de notre enfant ne soit réalisée par mon épouse, c’est ma mère qui aurait eu la garde de mon enfant ». Et d’ajouter « Il y a beaucoup de pédagogie à faire pour expliquer cette loi. Finalement, ce sont nos enfants qui en font le Service après-vente ». Quitte à réaliser le SAV, Sylvie Li décide de s’y consacrer largement. Ingénieure IT au sein du groupe Valeo, elle décide de passer à 80 %. Si du côté de son entreprise, elle ne perçoit pas de lesbophobie à l’annonce de sa grossesse, les interrogations de ses collègues la laissent dubitative. « Là encore, il y a du chemin à faire. Dans l’esprit collectif, femme lesbienne est synonyme de femme stérile ». Elle choisit de se libérer du temps pour poursuivre les engagements qui lui tiennent à cœur. Un engagement associatif, auprès de l’association Les Enfants d’Arc en Ciel qui accompagne les parents LGBTQI+ dans leur projet parental et au sein de l’Association des jeunes chinois de France, mais également son travail d’autrice.
Une famille chinoise sans nems ni sushis
Car Sylvie Li a choisi de mettre son histoire en images et en mots, dans un ouvrage baptisé « La conception de Léo avec la PMA ». Un album jeunesse autoédité qui s’appuie sur son vécu et relate l’histoire d’une parentalité clandestine qui oblige un couple de femmes à prendre la route de la Belgique. « Quand j’y repense, j’ai quand même dû quitter mon pays pour concevoir mon enfant. Entre les années 1980 et l’adoption de la loi, chaque année, ce sont environ 2400 femmes qui sont parties clandestinement de France pour concevoir leur enfant. Un chiffre qui est d’ailleurs sans doute sous-estimé. En clair, a minima, près de 50 000 personnes sont aujourd’hui concernées ». C’est lorsque son enfant âgé de trois ans commence à appeler ses parents « Papa » et « Maman », qu’elle se rend compte de la nécessité de raconter son histoire. « J’ai compris qu’il exprimait son besoin de se conformer à une norme ». Au rayon des livres pour enfants, elle peine à trouver des livres qui expliquent la PMA. Encore plus rares sont ceux qui traitent du voyage clandestin des mères. Enfin, ceux qui mettent en avant des couples de femmes asiatiques sont inexistants. Son livre est fidèle à son histoire : les deux mamans sont des femmes asiatiques. A l’annonce de la grossesse à leur famille, elles partagent un repas chinois authentique, « sans nems ni sushis, les deux clichés qui représentent la cuisine asiatique en France ». Les dessins suggèrent l’acte médical et chaque planche – ultra figurative – donne à voir la réalité du parcours des deux mamans. « Lorsque j’ai montré la couverture du livre à mon fils, il m’a tout de suite dit : « mais c’est moi ! » Pour moi, c’était gagné ».
Ne jamais « perdre la face »
Pourtant, dans son éducation, Sylvie Li avait été surtout programmée pour la discrétion. Fille d’un couple de chinois arrivés en France clandestinement, elle est élevée dans la culture du secret, celle où les choses se disent très rarement et à huis clos. « C’est un concept très asiatique, celui de ne jamais perdre la face. Pour ma mère, savoir qu’elle avait une fille lesbienne, c’était perdre la face ». Lorsqu’elle se livre à sa sœur et lui dévoile son orientation affective, celle-ci explose en sanglots. « Quant à mon frère, il m’explique que s’il était parent, il détesterait avoir une fille comme moi. J’ai beaucoup souffert de lesbophobie étant jeune », se souvient-elle. Elle se fait outter par sa mère auprès de son père. Il changera de regard sur sa fille lorsque l’un de ses collègues fera état du suicide de sa fille après l’avoir renié en raison de son homosexualité. Elle se dit aujourd’hui « très fière du chemin parcouru par mes parents. Ils ont cheminé vers la déconstruction de leur vision hétéronormée. Il faut bien avoir à l’esprit qu’une famille exilée apporte avec elle un patrimoine culturel qu’elle fige. Mes parents perpétuent ainsi des traditions » séculaires, explique-t-elle. A la naissance de son enfant, elle envoie un faire-part de naissance à l’ensemble de sa famille vivant en Chine. « C’était pour moi une affirmation volontaire. L’arrivée d’un enfant est un événement important et que l’on ne peut pas nier ».