La visibilité des femmes LBTQI + en entreprise

La visibilité des femmes LBTQI + en entreprise

Comment se construit-on au travail lorsque l’on est une femme LBTQI+ ? A l’occasion du dîner débat du 21 avril 2022, têtu·connect a réuni trois femmes. Trois lesbiennes de trois générations différentes qui sont aujourd’hui actives au sein des réseaux LGBT + et allié·e·s de leurs entreprises. Elles reviennent sur leurs parcours, les difficultés rencontrées et leurs raisons d’espérer.

Par Chloé Consigny

Le parcours professionnel de Frédérique-Marie Lamouret, aujourd’hui rédactrice en chef et Directrice déléguée de l’information régionale chez France.tv commence en 1985. C’est cette année-là qu’elle fait son entrée dans le monde du travail. « S’il fallait résumer ma carrière en quelques mots, je dirai qu’avant d’être une lesbienne, je me suis surtout employée à « être un homme comme tout le monde ». Mon arrivée dans le monde professionnel a été brutale. Très vite, j’ai compris qu’il m’était impossible de ne pas aligner qui j’étais avec la personne que je montrais ». Elle choisit donc d’être out au risque de déranger la norme. « Mon coming out n’a pas tout réglé. En m’affichant telle que j’étais, j’ai essuyé des quolibets. Mais je suis parvenue à déporter le sujet. Avec le recul, je pense que ce qui m’a sauvé c’est de ne pas considérer que je me battais contre un système, mais que je menais mes propres batailles, les unes après les autres », se souvient-elle. 

« Être un homme comme tout le monde »

Quid des lesbiennes nées dans les années 1980 et qui sont entrées dans le monde du travail dans les années 2000 ? Pour Aurore Carlo, aujourd’hui Head of Business Operations, Publicis Sapient, le chemin n’a pas été évident. « J’ai commencé ma carrière dans un cabinet d’audit. C’était à l’époque un milieu très masculin. Il n’y avait autour de moi aucune lesbienne visible. Lorsque j’ai commencé ma carrière, j’étais en couple avec une femme depuis deux ans. Pourtant, j’étais au placard, dans la sphère professionnelle, comme dans la sphère familiale. J’ai choisi de m’adapter et de me fondre dans le moule. Je portais des costumes pantalons gris », se souvient-elle. Elle évolue professionnellement et, après l’audit et la finance, elle rejoint une entreprise spécialisée dans le digital. A nouveau, exister en tant que lesbienne est loin d’être une évidence « Ce milieu était également très masculin. Mon premier sujet a donc été d’abord de parvenir à exister en tant que femme ». 

La culture d’entreprise anglo-saxonne, plus inclusive ?

Le chemin semble, en revanche, plus simple pour la génération des femmes lesbiennes aujourd’hui âgées d’une trentaine d’années, a l’instar de Caroline Destombes, Clients Solution Manager, Meta. « Je parle peut-être depuis mon microcosme de la Tech, mais je constate qu’il est très facile désormais de s’afficher en tant que lesbienne dans l’entreprise. Chez Meta, dès mon onboarding, on m’a proposé de rejoindre une communauté. Il m’était donc très facile de m’afficher lesbienne dès mon arrivée dans l’entreprise », explique-t-elle, avant d’ajouter : « cependant, j’ai eu d’autres expériences professionnelles auparavant où c’était bien moins évident. Je pense qu’il faut distinguer les entreprises anglo-saxonnes où les sujets de l’inclusion et de la diversité sont pris en compte, des entreprises françaises qui restent bien moins avancées sur ces sujets. »

De Gazon maudit à la Vie d’Adèle

Une facilité à être out que Caroline explique notamment par l’évolution des représentations lesbiennes dans la société : « J’ai grandi avec autour de moi beaucoup de représentations lesbiennes, a l’instar du film La vie d’Adèle ou encore d’événements tels que la Manif pour tous. Je dirai que j’ai grandi dans une période où le sujet était adressé », poursuit-elle. Aurore Carlo et Frédérique-Marie Lamouret ont pour leur part eu pour seule représentation le film Gazon maudit. Une autre époque durant laquelle les lesbiennes étaient largement invisibilisées. « Dans les années 2000, j’étais complètement au placard. Il me semblait impossible d’aborder ce sujet au sein de l’entreprise. La norme était hétérosexuelle », précise Aurore Carlo. Son cheminement personnel l’amène, un temps, à rejoindre cette norme. « Je me suis mariée avec l’homme dont j’étais amoureuse et je suis devenue ce que l’on attendait de moi en tant que femme. J’ai eu des enfants. C’était beaucoup plus simple d’être en couple avec un homme car il n’y avait rien à cacher, si ce n’est une partie de moi », explique-t-elle.

De l’importance des rôles modèles 

Pour Frédérique-Marie, comme pour Aurore, la présence de rôles modèles a marqué un tournant dans la visibilité des femmes lesbiennes au sein des entreprises. « Grâce à une politique volontariste au sein de France.tv, les femmes ont peu à peu gagné en responsabilités au sein de l’organisation. J’ai compris que, même avec des femmes imparfaites, il est important d’avoir des rôles modèles. C’est absolument essentiel pour se construire », souligne Frédérique-Marie Lamouret. Pour son coming-out, en 2018, Aurore Carlo a vu les choses en grand. « J’en avais marre de me cacher. J’ai donc cofondé le réseau LGBTQI+ et allié·e·s au sein de mon entreprise et j’ai invité 500 personnes », se souvient-elle.  

Un acte politique 

En s’affichant telle qu’elle est, Aurore Carlo a eu conscience de l’impact de sa prise de position. « D’un point de vue politique, il me semblait essentiel de sortir de la sphère privée. Ce n’était pas simple à faire, mais c’était nécessaire. Nous avons besoin de rôles modèles dans l’entreprise. Les femmes lesbiennes doivent savoir qu’elles ont le droit d’être out. » Des propos largement partagés par Frédérique-Marie Lamouret : « L’homosexualité ne relève pas uniquement de la sphère privée. Vivre out, c’est refuser la norme. A l’inverse, maintenir la discrétion, c’est maintenir le système patriarcal tel qu’il est. Être lesbienne, ce n’est pas seulement être une femme, c’est aussi remettre en cause certains fondements de la société ».