« La beauté dépasse les genres », Nicolas Hieronimus, directeur général de L’Oréal

« La beauté dépasse les genres », Nicolas Hieronimus, directeur général de L’Oréal

En interne, il est considéré comme un génie du marketing. En mai 2021, soit 34 années après avoir rejoint le groupe L’Oréal, il accède au titre suprême : celui de directeur général du leader mondial des cosmétiques. Pour tetu·connect, Nicolas Hieronimus livre son analyse d’un secteur en constante mutation et dont la performance dépend de cette capacité à « saisir ce qui commence ».

Par Chloé Consigny

Clichy. Rue Martre. Un matin de juillet, Nicolas Hieronimus nous invite à prendre place dans l’immense canapé blanc de son bureau. Entre nous, une table basse sur laquelle trône un très imposant ouvrage dédié à la maison Yves Saint-Laurent dont L’Oréal a repris le volet beauté en 2008. Il est d’abord question des stéréotypes de la beauté au sein d’un groupe qui s’est construit par acquisitions successives. La dernière en date, Aesop. Une marque de luxe qui propose des produits non genrés. Faut-il y voir une révolution chez L’Oréal ? « La beauté a toujours dépassé les genres. Depuis l’Antiquité, le maquillage, l’ornement, la coiffure ont toujours été très peu genrés. Ce n’est finalement que bien plus tard que s’est opérée une bifurcation entre hommes et femmes », explique-t-il. Dans ses précédentes fonctions, il a lui-même contribué à faire bouger les lignes, lorsqu’après avoir lancé la marque Fructis en 1996, il imagine une campagne mettant en scène un groupe de jeunes reflétant plusieurs diversités. De même, lorsqu’il s’attaque à la gamme L’Oréal Men Expert, il opte pour un packaging orange et gris, « loin des traditionnels bleus marine et noirs, jusqu’alors réservés aux hommes ». 

« Saisir ce qui commence » 

Avec chaque année 6,5 milliards de produits sortant de ses usines, L’Oréal a le pouvoir de faire la norme. Un pouvoir que le directeur général entend exercer en conscience : « En tant que quatrième investisseur publicitaire mondial, notre rôle est d’utiliser notre communication pour promouvoir la diversité de genre, d’âge, de body shape et c’est un rôle qui me tient particulièrement à cœur. Oui, la société évolue et notre rôle en tant que leader mondial de la beauté est non seulement de l’accompagner, mais aussi de l’anticiper. Cela fait partie de l’identité fondatrice de L’Oréal de « saisir ce qui commence ». La génération Z est aujourd’hui plus fluide et nous sommes là pour les servir et leur offrir le meilleur de la beauté. ». Pour répondre aux nouvelles attentes, le groupe dispose d’un arsenal de 36 marques. De quoi adresser toutes les diversités. Les marques les plus pointues dans leur communication s’investissent pour des causes. C’est le cas notamment de Nyx Professional Makeup – dont l’un·e des égéries est Bilal Hassani – et qui s’engage au travers de la campagne de sensibilisation « Proud Allies For All ». D’autres égéries telles qu’Aya Nakamura, Anwar Haddid ou encore Lil Nas X ont récemment fait leur apparition dans les campagnes. 

Une diversité interne au service de la créativité 

Sous sa présidence, le Comex majoritairement blanc et européen s’internationalise un peu, tandis que les femmes, qui représentent 60 % des effectifs du groupe, constituent 50 % du board. Lorsqu’on lui oppose qu’en 115 années, jamais le groupe n’a été dirigé par une femme, il précise que chez L’Oréal, le leadership est incarné par des femmes, à commencer par Barbara Lavernos, Directrice Générale Adjointe, en charge de la Recherche, de l’Innovation et de la Technologie de L’Oréal, avant d’ajouter : « Je ne suis que le 6e dirigeant de L’Oréal, et pour l’instant, il n’y a pas eu de femme à la tête de L’Oréal. Mais il y en aura une un jour. L’Oréal est une société qui s’est construite sur la méritocratie. Une femme sera nommée parce que c’est la plus compétente, pas parce qu’elle est une femme. » Signe que la magie L’Oréal opère plus que jamais, le groupe qui compte 88 000 salarié·es reçoit 1,3 million de CV chaque année. Aux côtés des traditionnels diplômés de grandes écoles travaillent désormais des talents bruts, parfois repérés sur les réseaux sociaux. En 2022 en France, L’Oréal a opéré 1900 recrutements, dont 20% issus des quartiers prioritaires de la ville. Comment faire travailler ensemble des univers divers ? « C’est un point d’actualité », répond le directeur général. « Avec les événements que nous connaissons actuellement en France, les entreprises ont un rôle d’intégrateur à jouer. Je suis profondément convaincu que dans ce monde qui est malheureusement de plus en plus divisé et de plus en plus antagoniste, seules la cohabitation et l’acceptation des différences peuvent nous permettre d’avancer. »

Safe Space dans 150 pays

Ainsi, Nicolas Hieronimus déteste cette notion de « moule » que l’on accole souvent aux talents qui opèrent au sein des grands groupes. « Nous sommes une boite qui vit de la créativité. Je pense que la créativité vient de la différence, de la confrontation d’idées et des perspectives différentes sur un même sujet », explique-t-il. Le groupe qui est aujourd’hui présent dans 150 bureaux veut être un safe space pour l’ensemble de ses employé·es et notamment dans les pays les plus hostiles aux personnes LGBTQI +. « Si nous ne pouvons pas aller au-delà de la loi, nous pouvons faire en sorte que nos bureaux soient des safe space pour toutes et pour tous ». En France, L’Oréal a largement célébré le mois des fiertés, avec des fêtes, des portraits de collaborateurs et collaboratrices affichés au siège et  des stabilos rainbow distribués. Via son ERG  « Out at L’Oréal », le groupe a investi depuis 2017 la Marche des fiertés. « Nous nous mobilisons pour la Pride parce que c’est un combat qui n’est pas fini. On parle de pays lointains mais même en France cela reste un sujet. Par exemple, au sortir de la Marche des fiertés, un de nos collaborateurs s’est fait malmener dans le métro en raison du drapeau arc-en-ciel qu’il arborait. Cela m’a profondément choqué. Notre rôle est d’être à ses côtés. Nous lui avons apporté un soutien psychologique », conclut Nicolas Hieronimus. Cent quinze années après sa création, le groupe L’Oréal – porté par son CEO – entend ressentir le monde tel qu’il est.