Former à la diversité : l’enseignement supérieur français à la traîne 

Former à la diversité : l’enseignement supérieur français à la traîne 

Malgré la mise en place de cours dédiés à la diversité et à l’inclusion dans certaines grandes écoles, la sensibilisation des étudiant·es à ces questions reste très limitée dans l’enseignement supérieur français. Décryptage.

Par Aimée Le Goff 

Passage obligatoire vers plus d’équité en entreprise, les cours dédiés à la diversité et à l’inclusion se font rares dans l’enseignement supérieur français, contrairement aux universités américaines et canadiennes où ces modules de formation sont inscrits au tronc commun, quelle que soit la matière étudiée. En France, les formations D&I sont la plupart du temps noyées dans des thématiques plus vastes. Par exemple, une petite prise de parole à l’occasion de la semaine du développement durable. Si les étudiants et étudiantes sont tous formés au E de RSE, l’aspect sociétal est significativement écarté des programmes. 

Former le corps enseignant

Une absence qui n’est pas nécessairement liée à un rejet de ces sujets, mais davantage à une méconnaissance. Le corps enseignant est peu, voire pas du tout formé à ces sujets. C’est ce que constate Pascal Tisserant, enseignant-chercheur en psychologie organisationnelle et vice-président de l’EDI (Égalité – Diversité – Inclusion) à l’Université de Lorraine, qui concède des « trous dans la raquette » en matière de formation D&I au sein des Universités. « Le chantier est loin d’être terminé. Certaines universités se contentent du minimum. Toutes les filières ne bénéficient pas forcément de ces cours, et nous ne recevons pas non plus d’injonctions ministérielles sur ces sujets. Le ministère s’est surtout emparé des sujets sur les violences sexuelles et sexistes ». Pour apporter un cadre spécifique, le chercheur préconise la mise en place d’un·e référent·e uniquement dédié aux questions D&I. À l’Université de Lorraine, la section EDI impose un module obligatoire de deux heures à tous les néo-entrants, incluant un kit de prévention des discriminations. « S’il y a bien un lieu où on parler de diversité, c’est bien l’université, vu la multiplicité des profils accueillis », appuie Pascal Tisserant.

Cours non obligatoires

Certaines écoles de commerce fournissent par ailleurs des efforts pour former à la diversité dans leur cursus, à l’instar du campus Audencia de Nantes. « Il y a quelques années, nous avons introduit une séance sur la diversité et l’inclusion dans nos cours de gestion de ressources humaines. Aujourd’hui nous avons deux modules de 24 heures et de 16 heures », indique Christine Naschberger, enseignante-chercheuse en ressources humaines chez Audencia. Au programme : brainstorming, cours sur le leadership et le management inclusif, présentation d’outils contre le harcèlement et les discriminations, analyse des formes d’agressions… « Je fais intervenir des professionnel·les et j’aborde aussi l’approche des allié·es et la parentalité LGBTQI+ ».

« En plus de journées de sensibilisation, nous avons des cours ‘‘Diversité et Inclusion’’ pour tous les niveaux, avec des formats de 18 ou 36 heures, expose de son côté Marcelle Laliberté, Chief diversity officer chez HEC Paris. L’inclusion est abordée selon une approche systémique. En fin de cours, les étudiant·es font leurs recommandations sur des cas pratiques avec nos entreprises partenaires ». Des initiatives à saluer, mais avec un bémol de taille : les cours restent électifs dans la plupart des cas, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas obligatoires et sont donc majoritairement suivis par des personnes déjà sensibilisées au sujet. À l’Université Paris Dauphine, le master 1 « Management des ressources humaines » comporte au second semestre un cours à l’intitulé fourre-tout, « Éthique, Responsabilité sociale et Développement durable », lui aussi optionnel. Difficile, dans ce contexte, de doter l’ensemble des étudiant·es d’un socle commun de connaissance. 

Méconnaissance dans les milieux favorisés

À l’ESSEC, une Fresque de la Diversité a été instaurée il y a deux ans, avec l’obligation d’y participer pour les étudiant·es de tous niveaux et de toutes filières, dès l’entrée en école. S’ajoutent des cours obligatoires intitulés « Diversity and Inclusion in the work place ». « Chez les élèves avec un profil favorisé, qui ont l’habitude d’évoluer dans des milieux finalement assez peu divers, il y a une réelle méconnaissance du sujet », reconnaît Anne-Claire Pache, Directrice de la Stratégie et de l’Engagement sociétal de l’ESSEC.

Julien Auffret, étudiant en double master « Data Science & Business Analytics » à l’ESSEC et à Centrale Supélec, a participé à la Fresque de la Diversité. Dans l’école d’ingénieurs publique par laquelle il est passé avant ce double cursus, il a constaté un manque total de sensibilisation. « Il n’y avait rien, aucun cours, résume-t-il. J’ai eu le déclic lors d’un stage en entreprise, qui avait organisé une semaine dédiée à la diversité, mais pas du tout durant mes études d’ingénieur. Les sujets de diversité étaient un peu évoqués par les étudiant·es dans les discussions, mais nous n’avions aucun espace pour en parler. Récemment, j’ai su qu’une plateforme de signalement de violences sexistes et sexuelles avait été mise en place ». D’après l’expérience de Sophia Belghiti-Mahut, enseignante-chercheuse en ressources humaines à l’université Paul Valéry de Montpellier, également membre du groupe Genre et Diversité de l’AGRH, il y aurait une plus grande conscience sur les sujets de diversité et d’inclusion dans les filières dédiées aux sciences humaines et sociales. « On met l’humain au centre, contrairement à d’autres filières qui abordent les ‘’sciences dures’’ ». Un constat que nuance Pascal Tisserant en donnant l’exemple de « trois écoles d’ingénieur·es à l’Université de Lorraine, qui bénéficient de cours obligatoires sur le management inclusif et la D&I ».