La féminisation des comités de direction semble bien engagée au sein du SBF 120, indice boursier regroupant les 120 plus grandes entreprises cotées à Paris. À première vue, les résultats affichés par les entreprises sont conformes aux objectifs fixés par la loi Rixain, qui impose une représentation équilibrée des femmes dans les instances dirigeantes. Mais en y regardant de plus près, la réalité est moins reluisante : les progrès sont souvent superficiels, et de nombreux indicateurs restent dans le rouge.
Par Chloé Consigny
C’est empirique. Lorsque le législateur s’empare du sujet de la parité, les progrès sont réels. En France, la loi Copé-Zimmermann a été promulguée en 2011. Elle impose un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration. Quatorze années plus tard, les femmes occupent 43,6 % des sièges des conseils d’administration des grandes entreprises, contre 8 % des sièges en 2006. Une loi assortie de sanctions fortes : le non-respect de la proportion de 40 % de femmes entraîne la suspension du versement des jetons de présence, ne pouvant être rétablis qu’une fois la composition du conseil devenue régulière.
Après les conseils d’administration, le législateur s’est emparé des comités exécutifs. La loi Rixain, adoptée le 24 décembre 2021, vise à accélérer l’égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes dans les grandes entreprises françaises. Elle impose des quotas progressifs pour la représentation des femmes dans les postes de direction et les instances dirigeantes : 30 % d’ici 2026 et 40 % d’ici 2029, sous peine de pénalité financière.
À la veille du premier palier, les entreprises du SBF 120 (CAC Large 60 + CAC Mid 60) affichent des résultats encourageants. En mars 2024, selon une étude menée par le cabinet Heidrick & Struggles, 47 % des entreprises du SBF 120 avaient atteint l’objectif intermédiaire de 30 % (contre 17 % en 2019). À la même période, 16 % d’entre elles étaient en avance et avaient atteint le seuil de 40 % de femmes membres du comité exécutif.
Les fonctions régaliennes restent chasse gardée des hommes
Cependant, dans le détail, la situation n’est peut-être pas autant maîtrisée qu’elle ne paraît. « Pour atteindre les objectifs de représentation au sein du Comex, la méthode utilisée par les grandes entreprises a été de faire monter des femmes sur des postes fonctionnels, tels que les ressources humaines, la RSE, ou encore la communication », explique Hervé Borensztejn, associé et responsable des activités de conseil en leadership en France, au sein du cabinet Heidrick & Struggles. Les postes opérationnels (directeur financier, directeur commercial, directeur de business unit…) pour leur part, restent à la main des hommes. « On n’a jamais vu une directrice RSE accéder au poste de directeur général. En revanche, il n’est pas rare qu’un directeur financier devienne directeur général », poursuit le spécialiste en recrutement.
Ainsi, même au sein des entreprises qui se targuent d’aller au-delà des exigences de la loi en matière de parité, le directeur financier reste un homme. 25 % à 30 % des directeurs généraux de grands groupes sont auparavant passés par la direction financière. Aucun, en revanche, n’était auparavant directeur RSE ou directeur de la communication, des fonctions pour lesquelles les femmes sont surreprésentées.
Pire, « À l’heure où l’engagement sociétal des entreprises et leur politique RSE sont de plus en plus contestés, les directions RSE pourraient, à terme, être reléguées hors du Comex, fragilisant ainsi la mise en œuvre des ambitions portées par la loi Rixain », explique Emma Burrows, associée et responsable des activités de recrutement de DRH pour l’Europe et l’Afrique, au sein du cabinet Heidrick & Struggles.
Un sujet de performance
Au-delà du cadre législatif, le sujet de la féminisation des instances de direction est aussi un sujet de performance. Publiée en février 2025, une étude de Skema Business School sur l’impact de la mixité dans les entreprises du CAC 40 révèle que les entreprises avec une féminisation plus élevée affichent une rentabilité opérationnelle moyenne de 22,80 %, contre 10,99 % pour celles qui comptent peu de femmes au sein de leurs fonctions cadres. Malgré ces éléments chiffrés, des disparités demeurent. Toujours selon l’étude de Skema Business School, les femmes ne représentent encore que 6,25 % des 80 postes de président ou directeur général des entreprises du CAC40, et une entreprise, EssilorLuxottica, ne compte aucune femme dans son Comex.
De l’impact de la dirigeante
Cette surreprésentation des hommes dans les fonctions opérationnelles est le fait d’un vivier de talents moins important, mais aussi d’une absence d’anticipation de la part des entreprises. « La clé, c’est d’identifier en amont deux à trois talents à fort potentiel et de les accompagner dans leur montée en compétence », explique le responsable D&I d’une grande entreprise internationale. Cela suppose de mettre en place des plans d’évolution clairs, des trajectoires individualisées, et surtout, une véritable politique de succession au sein de l’entreprise. « Ce type de démarche ne porte ses fruits qu’avec du temps et une vision à long terme. Il faut donc s’engager à recruter à parfaite parité, dès les niveaux N-1, N-2 et N-3, pour élargir le vivier et préparer l’avenir », poursuit-il.
Fun fact : les trois quarts des entreprises qui ont déjà atteint les objectifs de féminisation de leur Comex sont dirigées par des femmes. « On constate qu’au sein de ces entreprises, il existe une volonté de féminisation beaucoup plus affirmée », souligne Hervé Borensztejn. Ainsi, parmi les treize entreprises du SBF 120 qui ont une femme à leur tête, les trois quarts ont déjà atteint l’objectif de 30 % et un peu moins de la moitié l’objectif de 40 %. Les meilleures élèves en la matière sont Eramet, Eutelsat, FDJ United, Engie, Sodexo et Carmila, suivis de près par Amundi Asset Management, Orange et Viridien.