Réalisatrice, autrice, chroniqueuse, Marie De Brauer épand son humour acerbe au micro de France Inter depuis plus d’un an. A l’approche des premières dates de son spectacle de stand-up, En rodage, elle revient sur le combat qu’elle mène contre la grossophobie à grands coups de blagues et d’autodérision.
Par Aimée Le Goff
A l’antenne, quand elle passe au vitriol les absurdités de l’actu, Marie de Brauer n’hésite pas à s’éclabousser un peu au passage. Ses chroniques, diffusées sur l’émission Zoom Zoom Zen de France Inter depuis un an, sont l’occasion de dérouler punchlines bien pensées et auto-dérision au carré : « perdre du poids à 18 ans, c’était dans la ligne des centres d’intérêt sur mon CV ». Cerise sur le gâteau : en interview, l’humoriste au style trash parfaitement maîtrisé est aussi franche et drôle qu’à la radio.
Du journalisme au stand-up
Depuis le début de sa carrière, Marie de Brauer s’empare publiquement du sujet de la grossophobie. En 2020, elle réalise un documentaire, La Grosse vie de Marie, diffusé sur France TV Slash, puis écrit une BD, Ne pas couler, publiée en 2023, dans une volonté fédératrice. « C’était intense de recevoir des messages de lecteurs et surtout de lectrices qui ont eu le même parcours. C’était limite crève-coeur de voir qu’on a tous·tes les mêmes histoires, avec les fringues, les camarades de classes, les amours, les parents… ». Pour la famille, bourgeoise, dans laquelle Marie de Brauer grandit, l’élégance est affaire de minceur. Un mode de pensée bien ancré dans les années 90, époque de son enfance, « période terrible pour le corps de toute femme, au vu des injonctions à la maigreur autant qu’à l’hyperconsommation, d’après la stand-uppeuse. Ça a dû en rendre plus d’une zinzin ».
Elle ajoute : « sur le moment, je ne me suis pas rendu compte qu’être gros·se était un problème pour ma famille. C’est en discutant plus tard, avec des cousines et des gens d’autres milieux, que j’ai réalisé à quel point le poids était une obsession ». Elle passe son bac l’année du mariage pour tous, période qui voit éclore de nombreux débats de société. « La grossophobie n’en était pas un », précise-t-elle. Elle poursuit des études de journalisme avant de penser à écrire des blagues. « Mes deux frères sont comédiens. Moi, je voulais faire un ‘‘métier sérieux’’». Elle prend une claque en réalisant le caractère systémique des discriminations, grossophobie incluse. En 2020, son documentaire dresse le portrait du quotidien de personnes grosses, le sien y compris. « J’avais 25 ans, c’était le tout début de mon travail de journaliste, et c’était vraiment cool de parler sur Slash dans un format qui ne soit pas traditionnel. Et puis j’ai commencé le stand-up il y a deux ans et demi. En montant sur scène, j’ai attrapé le virus. Je ne voulais plus faire que ça ».
Thérapie et auto-persuasion
En l’écoutant, Marie de Brauer donne l’impression d’un parcours linéaire, toujours sur les rails… « C’est vrai, j’ai toujours su ce que je ferai l’année suivante. J’ai toujours eu envie de bosser. Le journalisme comme l’humour, c’est très épanouissant ». L’acceptation de son corps est un autre chemin. A l’âge adulte, il se fait étape par étape à l’aide d’une thérapie de plusieurs années. « J’ai commencé à décentrer cette obsession de ma vie, et j’ai eu la chance de réussir à me convaincre que même si je ne voulais pas de ce corps, ça ne devait pas m’empêcher de faire les choses. J’ai fait semblant que tout se passait bien, pour ne pas me cacher ».
Au travail, la journaliste pense n’avoir jamais subi de discrimination. « J’ai eu de la chance parce que justement, j’ai rapidement fait de ce sujet mon travail. Bien sûr, il y a peut-être des stages qui me sont passés sous le nez…En tout cas, je ne l’ai jamais ressenti, ou alors, je ne m’en suis pas rendu compte ».
Afflux de haine numérique
Cumulant près de 200 000 followers sur Instagram, Marie de Brauer conserve ses deux sujets de prédilection : la grossophobie et le célibat à la trentaine, décortiqué dans sa nouvelle BD qui parle de cul, sortie en 2025. Son panthéon abrite l’humoriste américaine Amy Schumer, qui se décrit « trop grosse pour Hollywood » mais aussi Nikki Glaser et son style « très trash, très cul ». Chez Marie de Brauer, la patte est aussi empreinte d’une vulgarité choisie, totalement assumée. Symptôme d’une pensée grossophobe tenace, son style brut et sa notoriété croissante génèrent de nombreux commentaires haineux sur les réseaux sociaux. « Depuis mon arrivée sur France Inter, c’est horrible. Il n’y a pas une seule de mes chroniques qui passe sans qu’un commentaire sur mon poids ne soit posté. Peu importe le sujet que j’évoque, c’est l’attaque directe ». A ce sujet, elle se désole d’un retour en arrière. « J’ai l’impression d’une nouvelle scission et en même temps, il y a quelques avancées. Sur TikTok, le harcèlement en ligne sur le corps n’est plus du tout cool ».
Le danger des campagnes anti-obésité
L’autrice s’inquiète aussi de l’essor des médicaments anti-obésité, et des campagnes de communication qui vont avec. « Aujourd’hui, on ne dit plus à une personne grosse de faire du sport et de mieux manger. On va lui conseiller de prendre ce médoc à 300 balles par mois, alors qu’on n’a pas de recul. C’est alarmant, parce qu’on voit des médias reprendre des études sur la discrimination au travail disant que 70% des femmes obèses ne trouvent pas de travail. Mais ce n’est pas parce qu’elles sont obèses qu’elles ne trouvent pas d’emploi, c’est parce que l’employeur est grossophobe ». Elle poursuit : « les mots ont un sens, si on vient jouer sur les angoisses des gens pour trouver du travail, alors oui, ils finiront pas se la payer, la piqûre à 300 euros ».
Son avenir à elle, Marie de Brauer le voit toujours dans l’humour. « Je n’ai pas particulièrement envie de m’éloigner du sujet de la grossophobie, même si je trouve déjà bien de pouvoir parler de tout et de rien en étant une personne grosse. C’est déjà un peu militant, ce qui est quand même fou ». Dans une belle lancée, la stand-uppeuse se concentre sur son spectacle, en envisage peut-être un deuxième. « A partir du moment où j’assouvis ma curiosité, je me vois bien continuer. C’est bizarre de dire ça avec le stand up, qui consiste à se raconter soi. C’est complètement égotique comme métier. En même temps, c’est ce que je sais faire de mieux ». Son spectacle En rodage, dont la première date est annoncée le 31 octobre à la Scène Barbès, à Paris, affiche complet. Si l’humour est une arme, gageons que Marie de Brauer garde avec elle un sacré stock de munitions.