Entrepreneuse multi-casquettes, réalisatrice soucieuse de valoriser le regard féminin, Eve Simonet a fondé la plateforme de streaming féministe on.suzane et l’association de soutien aux mères en post partum, Club Poussette. Portrait d’une autodidacte à la créativité florissante.
Par Aimée Le Goff
Eve Simonet n’a jamais été aussi bien servie que par elle-même. La voici, allure vive et voix enthousiaste, pour détailler les coulisses de ses plus gros projets, tous nés de son expérience personnelle. Son documentaire sur l’accouchement et le post partum est sorti en janvier 2022. Son association Club Poussette, fondée la même année, compte 700 bénévoles et une communauté Whatsapp très active pour soutenir des femmes de 180 villes du monde durant les trois premières années de leur maternité. Sa plateforme de streaming féministe, on.suzane, valorise les films mettant en avant des représentations queer et féminines habituellement absentes du paysage audiovisuel.
Une première vie de fuite
« Quand je lance quelque chose, ça vient toujours d’un constat vécu personnellement, expose la dirigeante. Mon fils avait un an quand j’ai créé le Club Poussette. Je me sentais très isolée, j’avais l’impression d’être un vrai zombie. J’ai eu l’idée de connecter des personnes qui vivent les mêmes choses au même moment, dans un espace non mixte, pour pouvoir lâcher prise ». Sa nouvelle vie de mère, l’entrepreneuse l’oppose franchement aux années qui l’ont précédée. Une première vie « de fuite et de voyages », selon ses mots.
Eve n’a pas 14 ans lorsqu’elle quitte le foyer familial, soucieuse de fuir l’environnement qui la tient en souffrance. Hébergée chez son oncle à Paris, elle passe son bac et décolle pour l’Australie à 18 ans. S’ensuivent des années de nomadisme et de débrouille dans de multiples pays. Un début de vie singulier et formateur que la réalisatrice explique par un « instinct de survie énorme », une « pulsion de vie » nécessaire pour laisser derrière elle les violences subies durant l’enfance dont l’inceste, qu’elle mentionnera plus tard sur ses réseaux. « Je me suis dit que ce que je vivais n’était pas normal. Ce refus de souffrir m’a toujours poussée à fuir les situations qui ne me convenaient pas. Je crois qu’il y a ça, dans ma personnalité : une volonté de me sauver moi-même ».
Éveil féministe progressif
Petite, elle se souvient être « allergique aux injustices » et crier au scandale le jour où la cantine ne répartit pas les repas pour tous·tes les élèves. « Ca venait d’un véritable sentiment de peur ». En évoquant son histoire familiale, elle loue la personnalité de sa mère, une femme aux prises avec l’alcoolisme mais « libre, malgré tout ». « Elle travaillait dans la musique et tentait de vivre de sa passion. Elle m’a toujours laissée m’exprimer. Pour ça, je la remercierai toute ma vie ». Pour comprendre les tourments de sa mère, c’est le féminisme qui s’avère plus tard éclairant.
Son fils a un an lorsque ce « premier gros réveil » se produit. La lecture de Liv Stromquist puis de Monique Wittig, Bell Hooks, Gloria Steinem, qu’elle dévore, lui offrent un regard nouveau sur les systèmes d’oppression et le milieu sexiste qu’elle a fui. « Il y a eu plusieurs étapes dans mon réveil féministe, associées à plusieurs émotions dont la colère, détaille-t-elle. Mais cela restait une forme de féminisme hétéronormé. J’étais dans une relation hétérosexuelle que je ne questionnais pas. Plus j’ai avancé, plus l’idée de société hétéronormée est devenue un sujet à mes yeux ». Ces prises de conscience la guident vers de nouvelles lectures d’autrices lesbiennes, puis vers une remise en question de son orientation affective. « Il y a eu un pas de plus. J’ai réalisé que j’étais lesbienne, moi aussi. Je me suis enfin autorisée à exprimer cet amour-là ».
Agir pour les droits des mères
En décembre 2023, Eve Simonet fait son coming out sur sa page Instagram. « Depuis le début, c’est un compte de militantisme. J’y ai raconté mon post-partum, j’ai publié les documents relatant l’inceste que j’ai subi… Je me suis dit que j’étais assez forte pour assumer une éventuelle vague de haine, j’étais pleinement consciente de ce que je faisais ». Les jours qui suivent, la militante perd quelques centaines d’abonné·es mais ne reçoit aucun message de haine. « J’ai été agréablement surprise, confie-t-elle. En revanche, j’ai reçu des messages de femmes qui m’expliquaient qu’elles étaient déçues de mon coming out parce qu’elles cherchaient du contenu sur la maternité sur mon compte. Comme si mon homosexualité annulait ma parentalité ».Sur la maternité, pourtant, Eve Simonet a encore beaucoup à dire. Déçue des inégalités de traitement dont elle a fait l’objet à son retour de congé maternité, elle a quitté l’agence d’événementiel qui l’employait pour se tourner vers l’entrepreneuriat. « Ça fait un petit bout de temps que j’essaie de me battre pour les droits des mères. Depuis soixante ans, on revendique toujours les mêmes choses, ce qui est un peu triste : l’égalité avec les coparents, un congé parental bien rémunéré, ne plus porter toute la charge mentale du couple et de la famille… La liste est longue ». Le Club Poussette, qui rassemble aujourd’hui 20 000 membres, en témoigne.
Rendre visibles toutes les représentations
Sur le sujet, on.suzane a diffusé le documentaire d’Eve sur l’accouchement et le post-partum. Un contenu ajouté au volet « parentalité » de la plateforme, qui compte désormais neuf salarié·es. Accessibles par abonnement, les documentaires proposés sont classés dans les thématiques « corps », « condition féminine/masculine » ou encore « relations ». « L’objet de notre travail, c’est de varier les représentations dans notre vie, affirme la fondatrice. Ce qui nous est proposé depuis notre adolescence est issu de perceptions biaisées et hétéronormées. Si on n’a pas de recul ou de connaissances, on pense que c’est la seule réalité ».
L’année 2024 s’annonce fructueuse pour contrer ce phénomène. En avril, on.suzane diffusera une nouvelle série baptisée Out, pour aborder l’identité sexuelle, avec un épisode dédié à une communauté différente. Son premier épisode sera consacré aux amours lesbiens.