"Etre out au travail n'est pas un frein, bien au contraire!"

Depuis 2020 l’Autre Cercle met à l’honneur une nouvelle catégorie de rôles modèles : les premiers emplois, c’est-à-dire les personnes tout juste arrivées sur le marché du travail. Mathieu Azar, 24 ans, diplômé en 2021, Account Manager chez Google a été désigné rôle modèle premier emploi en 2021. Retour sur son parcours, sur la genèse de son engagement.

Par Léa Taïeb

Mathieu Azar a grandi au Mans. Il évolue dans un environnement scolaire hétéronormé et poursuit ses études dans un lycée privé catholique. “L’année de la loi sur le mariage pour tous, l’intégralité de ma classe ou presque se déplaçait jusqu’à Paris pour aller manifester contre”, explique-t-il. Dans ce contexte, comment se chercher, se découvrir, s’assumer ? En allant vivre ailleurs, pense-t-il. Pendant l’année de terminale, il organise son départ, il s’imagine à l’étranger et postule pour un double diplôme Sciences Po et Columbia University. Il est pris. 

En 2014, il quitte le domicile familial et intègre Sciences Po Paris à Reims. Sur le campus, nationalités et cultures se mêlent les unes aux autres. “J’ai pu apprendre à me connaître dans un cadre bienveillant, ouvert. C’était libérateur de pouvoir aller au bout de ce cheminement personnel”, se rappelle Mathieu Azar. C’est l’année de son émancipation, l’année de son coming-out aussi. À ce moment-là, il considère son homosexualité comme un sujet personnel, quelque chose qu’il n’a encore pas envie d’extérioriser. 

New York : la ville pour être qui l’on est 

Après deux ans à Reims, il s’installe à New York pour aller étudier à Columbia, l’une des plus prestigieuses universités du monde. “Mais aussi, la première université à avoir participé à la création d’une association LGBT aux États-Unis”, précise-t-il. Un monde s’ouvre à lui. “À New York, on se balade librement peu importe son style, sa coiffure, son attitude, chacun peut être qui il est”, s’enthousiasme l’ex-étudiant. 

Très vite, il découvre à quel point le monde étudiant et le monde du travail sont liés. 

Il participe notamment à des événements mettant en relation des candidat.e.s LGBTQI+ et des entreprises engagées sur les sujets d’inclusion et de diversité. Grâce au Centre Carrière de Columbia, il a également pu bénéficier de conseils sur comment écrire son CV. “C’est important pour une personne LGBTQI+ de savoir si on peut décrire son engagement dans une association LGBTQI+ ou si on peut être ouvertement “out” sur son CV”, explique-t-il. 

En master, il retrouve la France et découvre HEC, le campus, les mentalités, le cadre isolé. “J’avais plus de mal à m’assumer publiquement, l’environnement ne le permettait pas tellement”, estime-t-il. Et d’ajouter : “même si les choses ont évolué depuis, en soirée, ce n’était pas évident d’embrasser une personne du même genre”. 

L’orientation sexuelle, un non-sujet pour certaines entreprises

Pendant son parcours universitaire, il effectue plusieurs stages dans des entreprises, à l’époque, peu concernées par l’inclusion des diversités. “Dans ces organisations, l’orientation sexuelle n’était pas un sujet et aucune personne n’était chargée de ces questions”, rapporte Mathieu Azar. Précisons qu’à la fin des années 2010, les sujets de diversité et d’inclusion étaient particulièrement discutés dans les entreprises. Elles étaient alors incitées par le label diversité de l’AFNOR (Association française de normalisation) et la Charte d’Engagement LGBT+ de l’Autre Cercle à prendre des mesures. 

Pour s’intégrer, le jeune stagiaire préfère dissimuler son homosexualité à la majorité de ses collègues. “Et je n’étais pas seul dans cette situation. Beaucoup d’étudiant.e.s en stage dans des entreprises peu inclusives évitent de faire leur coming-out pour préserver leur avenir”, remarque-t-il. Et de compléter : “ On ne sait pas ce qui peut se passer, on ne connaît pas les codes, pas la culture, pas les employé.e.s”. 

Après ces expériences professionnelles, l’étudiant en dernière année de master ressent une urgence, celle de s’engager pour créer des ponts entre les associations étudiantes et les entreprises impliquées. Il rejoint le Caélif (collectif des associations LGBTQI+ d’Île-de-France) et avec une autre étudiante, ils créent le pôle corporate. “On a réalisé que beaucoup d’entreprises cherchaient à communiquer sur leurs valeurs LGBTQI+ sans que leurs initiatives soient perçues comme du pinkwashing”, décrit-il. Mathieu Azar s’est inspiré de ses observations aux États-Unis pour organiser des événements “emploi” pour que les entreprises partagent leurs bonnes pratiques, pour que les rôles modèles puissent témoigner des efforts mis en place, pour que les étudiant.e.s puissent challenger les responsables RH. 

Une entreprise inclusive, une entreprise qui recrute 

En parallèle de cette activité associative, le presque jeune diplômé commence à chercher son premier CDI. “En plus du critère du poste, du secteur d’activité de l’entreprise, je voulais absolument faire partie d’un environnement ouvertement pro-inclusion et diversité, et donc LGBTQI+-friendly”, confie le jeune homme. 

Dans ses recherches, il prête une attention particulière à la communication de son potentiel employeur. Après être tombé sur une offre de Google, il découvre que le groupe encourage ses salarié.e.s à rejoindre des ERG (Employee Resource Groups) dont l’un d’eux est consacré aux membres de la communauté LGBTQI+ et aux allié.e.s. “J’ai aussi appris que cette entreprise avait signé la Charte de l’Autre Cercle [en octobre 2020] pour lutter contre les discriminations et qu’elle organisait régulièrement des événements pour rendre visibles les minorités”, précise Mathieu. Mais qu’est-ce qui a vraiment distingué Google des autres entreprises ? “Au moment des entretiens, j’ai réalisé à quel point l’inclusion faisait partie de la culture du groupe. Toutes les personnes que j’ai croisées pendant mon processus de recrutement étaient sensibilisées et capables de citer les mesures mises en place par Google pour progresser en matière de diversité et d’inclusion”, décrit-il. 

En janvier 2021, il rejoint Google et vit ses premiers jours en télétravail. “Même dans ce contexte, on peut être bien accueillis”, assure le jeune recrue. Il a pu faire connaissance avec plusieurs personnes de son équipe en prenant un café (virtuel) de trente minutes, un rituel dans cette entreprise. “Les valeurs de diversité, de bienveillance sont présentes au quotidien. Par exemple, lors de sessions de formation, on peut se présenter en donnant son prénom et le pronom qui peut nous désigner. Et on utilise des termes neutres”, précise-t-il. 

Fidèle à ses engagements, Mathieu a décidé de rejoindre Pride, l’ERG de Google. Dans ce cadre, il a “éduqué” son équipe à la réalité de la communauté LGBTQI+ et a rappelé la nécessité d’avoir cette conversation. “J’ai le sentiment que tout le monde s’implique pour que l’environnement soit le plus bienveillant possible”, observe-t-il. 

Et comment lui est venue l’envie d’incarner cette nouvelle génération de rôles modèles ? Depuis ses activités au sein du Caélif, Mathieu était resté proche de l’Autre Cercle. C’est l’association qui lui a proposé de se présenter. “J’ai accepté parce qu’il manque des personnes auxquelles on peut s’identifier en tant qu’étudiant.e”, explique-t-il. Et de préciser : “j’ai envie de montrer à des étudiant.e.s qui sont dans la situation dans laquelle j’étais que l’on peut être “out” au travail et que ce n’est pas un frein, au contraire. Chez Google, mon engagement, ma contribution aux valeurs de l’entreprise sont bien perçus, c’est même porteur sur le plan professionnel”.