Enfants de LGBT + : ils font bouger les lignes en entreprise

Enfants de LGBT + : ils font bouger les lignes en entreprise

Combien la France compte-t-elle d’enfants issus de familles homoparentales ? La question fait débat. Lors d’une étude publiée en septembre 2019, l’INSEE affirmait qu’ils étaient 31 000, dont 26 000 mineurs, à vivre avec un couple de même sexe, quand l’Association des Parents Gays et Lesbiens (APGL) avançait le chiffre d’au moins… 200 000 individus ! Derrière ce grand écart et ces batailles de statistiques, une réalité : ces personnes existent et, quel que soit leur nombre, elles font partie du paysage de l’entreprise.

Par Stéphanie Gatignol

Dans chaque open-space gravitent trois générations qui comptent potentiellement des LGBT+ dans leur cercle familial. Des grands-parents exhibent fièrement la photo d’un petit-fils né de deux mamans ; des parents offrent un pot pour le mariage de leur fils gay ; d’autres n’osent rien dire… Et puis il y a tous les « petits nouveaux », susceptibles d’évoquer sans détour le foyer arc-en-ciel dans lequel ils ont fait leurs premières dents et leur crise d’ado. Têtu Connect qui souhaitait les entendre, a interrogé Marie-Anaëlle, Kolia et Maël. La première est récemment entrée dans la vie active ; les deux autres sont encore étudiants. Tous se sont exprimés sur la façon dont ils parlent de leurs proches. Avec cet enjeu en ligne de mire : l’entreprise peut-elle tirer profit de leur expérience de vie ?  

Ma famille arc en ciel

Marie-Anaëlle, 24 ans, en avait sept lorsque ses parents lui ont annoncé qu’ils se séparaient et que sa Maman quittait son Papa pour une autre femme. Elle et son frère ont, alors, déménagé pour aller habiter chez Martine et Barbara. Cette configuration, la jeune femme dit l’avoir toujours bien assumée etmême« envisagée comme un élément positif et différenciant. Quand j’en parlais, j’attirais l’attention. ». A l’aise avec le sujet, Marie-Anaëlle a continué sur cette lancée lorsqu’elle a décroché un job il y a un an. Acheteuse chez le fabricant de puces ST Microelectronics, elle ne fait pas mystère du contexte dans lequel elle a grandi. « Ce n’est pas la première chose que je dis quand je me présente, mais, très vite, je parle naturellement de ma mère et de sa femme ou j’emploie le pronom elles. » Certains de ses interlocuteurs saisissent le sens de ce « elles » ; d’autres, pas, « mais je ne me demande pas si je dois préciser ou pas et, ça, c’est un choix.» L’information doit pouvoir s’inscrire naturellement dans la conversation. Aussi naturellement qu’elle a vécu entre sa mère et sa belle-mère…  

Jusqu’ici, jouer cartes sur table ne l’a exposée à aucune hostilité. Sa situation a même pu lui valoir une « discrimination positive », estime-t-elle tout en précisant : « mais je n’en parle pas à tout le monde.» Kolia, née par PMA, ne cache pas qu’il lui a fallu beaucoup plus de temps pour évoquer ses deux mères. Agée de 21 ans, cette étudiante en philosophie ne s’en est vraiment ouverte qu’au lycée et s’agace de certaines réactions un brin… surjouées. « On me disait : « ah, mais c’est trooppp bien, c’est trop géniaalll ! Alors qu’il n’y a pas non plus de quoi en faire tout un plat !»

Les entreprises qui s’engagent en faveur de l’inclusion et de la diversité sont plus attractives pour ces jeunes talents.

Des passerelles entre deux mondes

Quand elle est bienveillante, la curiosité offre à ces juniors de partager leur quotidien et de montrer qu’il est tout à fait « normal ». Etudiant en informatique, Maël a eu une histoire assez comparable à celle de Marie-Anaëlle. Sauf que, dans son cas, c’est son Papa qui est parti avec un autre homme. Souvent, ceux qu’il côtoie n’ont jamais croisé de profil comme le sien. « Ils réalisent qu’il n’y a pas vraiment de différence dans l’éducation que l’on peut recevoir au sein d’un couple homo ou hétéro. Et cela banalise un peu les choses. » Marie-Anaëlle abonde dans son sens. « Les gens ne connaissent pas la vie des familles homoparentales. Nous permettons la rencontre de deux mondes. »  Du haut de ses 24 ans, elle savoure déjà une petite victoire. Au cœur d’un stage en 2019, elle a parlé des siens en toute simplicité lors d’un repas. Trois jours plus tard, une collègue a confié qu’elle aussi vivait avec une femme. Employée depuis six ans, elle n’avait encore jamais abordé le sujet… Kolia, elle, a trouvé un autre moyen de faire bouger les lignes. Cette ancienne Khâgneuse vient de publier Gosses d’homos chez Max Milo, un livre d’entretiens pour lequel elle a recueilli 18 témoignages d’enfants ou d’adultes qui ont aussi grandi entre deux mères : sa façon de contribuer à familiariser le grand public avec leur réalité souvent méconnue ou fantasmée.

Inclusivité = attractivité

A l’image de ce trio, d’autres jeunes pousses pourront, par leur seule spontanéité, devenir des points d’appui pour les politiques d’inclusion. Quant aux entreprises qui s’engagent sur ce chemin, elles sont, d’évidence, plus attractives aux yeux de ces diplômé(e)s. Surtout quand l’éventuelle LGBTphobie d’un employeur est, comme pour Kolia, une source d’« angoisse permanente ». La brillante élève, que son cursus destine à la fonction publique, aurait aimé pouvoir « privilégier un lieu de travail ou de production queer-friendly ». Maël, qui s’est lancé dans un master en développement de logiciels, considère aussi comme un « plus » un environnement inclusif. « Si une entreprise a fait un pas vers moi, même de façon inconsciente, je serai tenté d’en faire un vers elle. »

Marie-Anaëlle n’a pas pris cette dimension en considération dans sa recherche d’emploi. Lorsqu’elle a décroché son premier job en mars 2020 en pleine crise sanitaire, elle n’a visé que son indépendance et n’a « pas chipoté ». Mais, un an plus tard, en bonne voie pour signer un CDI, elle commence à se renseigner sur la politique diversité de sa boîte, sans la trouver vraiment… « à la hauteur ». Se sent-elle, pour autant, capable d’aller secouer le cocotier ? « Pas trop », glisse-t-elle, mais si elle se contente d’user de son sourire et de sa simplicité pour jouer les courroies de transmission, peut-être passera-t-elle, un jour, à la vitesse supérieure. En l’aidant à endosser un rôle moteur, son entreprise ne fera pas seulement preuve de tolérance et d’empathie envers ses collaborateurs LGBT+ : elle s’offrira aussi une longueur d’avance dans la course aux talents. 

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