Portrait - Loin d’être une rêveuse, Élisabeth Laville est la fondatrice d’Utopies, l’une des premières agences françaises dédiées au développement durable. Femme d’action et de convictions, elle est convaincue que les entreprises peuvent changer le monde… à condition toutefois de s’en donner les moyens !
Par Fabiola Dor
Son franc-parler détonne. “Quand on est lesbienne, ce n’est pas compliqué de faire un pas de côté : vous êtes déjà là où on ne vous attend pas”, lance-t-elle comme une évidence. Elle, c’est Élisabeth Laville, fondatrice et dirigeante d’Utopies, l’une des premières agences de conseil en développement durable en France. Les étiquettes ne l’intéressent pas. Son homosexualité n’est ni un tabou, ni un sujet central. “Ce n’est pas la première chose que je dis, mais j’en parle sans aucun problème si cela apporte de la valeur à mon message”, explique-t-elle avec pragmatisme.
Une folle envie de changer le monde
Débordante d’énergie et engagée, voilà plus de plus de trois décennies que cette fervente défenseuse de l’environnement de 58 ans promeut une vision plus responsable de l’entreprise. Et ce, de façon très concrète. Diplômée d’HEC en 1988, elle commence sa carrière au planning stratégique d’une agence de publicité. Là déjà, elle se passionne pour l’idée que les entreprises et les marques peuvent “changer le monde”.
Son déclic ? Dans un magazine alternatif américain, elle entend parler des entreprises qui participent au Sommet de la Terre de Rio au Brésil, la première conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, en 1992. De là, elle forge une analogie qui guidera l’ensemble de ses actions : “L’entreprise combine deux leviers puissants : l’argent et la créativité humaine. Donc autant les utiliser pour résoudre les problèmes de notre temps”. Elle décide d’en faire son métier, et fonde ainsi Utopies en 1993 avec son ancienne compagne, spécialiste des ressources humaines.
Ce qui commence comme une association devient, au fil des ans, un acteur de référence au service de centaines de grands comptes comme Nature et Découvertes, Danone, ou encore des marques de luxe comme Chloé. Son entreprise emploie 60 salarié·es et réalise 7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023.
Un pari réussi. Distingué Best Workplace for Women 2023 par le cabinet Great Place To Work, la même année, Utopies signe la Charte en faveur de l’emploi des plus de 50 ans. Créatrice de synergies, l’entrepreneure collabore aussi avec des acteurs du changement comme Singa, sur l’inclusion des réfugiés en entreprise ou anime le mouvement “la Défense Can B”, un collectif d’entreprises engagées sur le territoire. Pionnière du mouvement B Corp en France, Utopies a été la première entreprise certifiée en 2014 et a accompagné son développement jusqu’à la création de B Lab France en 2019.
Quand elle a une idée en tête, rien ne l’arrête. “C’est une dynamite toujours en exploration”, sourit Anne Thévenet, rencontrée en agence de pub et devenue sa meilleure amie. Et de se remémorer : “Quand elle a commencé à me parler de ses projets, je ne comprenais pas trop”. Sa consoeur, elle, choisit la voie des grands groupes et devient créatrice de concepts chez Danone.
Se réinventer
À l’époque, l’environnement n’est pas « sexy ». C’est même un non-sujet. Le monde des affaires préfère parler de « citoyenneté des entreprises », se souvient cette avant-gardiste. Trente ans plus tard, les émissions mondiales de CO₂ ont bondi de plus de 6%, les réfugiés climatiques se comptent déjà en dizaines de millions, et le niveau de la mer pourrait bien, comme l’annoncent les scientifiques, augmenter de 30 centimètres d’ici à 2050.
Le plus récent coup de maître d’Élisabeth Laville : la fusion avec Alternego, cabinet spécialisé dans la conduite du changement en 2025. L’objectif est de monter d’un cran dans la transformation des organisations. Ce rapprochement illustre sa capacité à se réinventer, à provoquer le changement, et surtout à fédérer les bonnes personnes autour d’elle. Grosse bosseuse, un brin control freak. Elle n’est pas une micro-manageuse, mais ses équipes rapportent qu’il faut mériter sa confiance. “Si on fait ses preuves, elle donne vite carte blanche”, assure Cécile Le Pan de Ligny, directrice associée Marketing & New Business chez Utopies.
Hyper-optimiste, elle déborde d’idées : éducation, alimentation, entrepreneuriat social, innovation durable… La patronne, qui navigue entre Paris et Marseille, s’intéresse à tout ce qui peut faire levier pour bâtir une société plus juste. “Le vrai défi, c’est de capter les meilleures idées et de les réaliser vite et bien”, souligne sa collaboratrice, à ses côtés depuis huit ans.
Élisabeth Laville est une cheffe de file. Mais pas du genre à chercher la lumière à tout prix. “Ce n’est pas une quête de réussite personnelle, c’est une vraie capacité à se battre pour ses convictions, et à donner envie aux autres de le faire aussi”, insiste Cécile Le Pan de Ligny.
Chevalier de la Légion d’Honneur en 2008, Prix Veuve Clicquot de la Femme d’Affaires la même année, autrice de plusieurs ouvrages, administratrice chez Nature & Découvertes et Rabot Dutilleul, et de plusieurs ONG ou fondations environnementales (dont Unis-Cités, B Lab France, ou la Fondation Tour du Valat) elle coche toutes les cases de la business woman « successful ». Mais elle garde une posture humble et lucide : “Mon boulot est très important, parfois éreintant, mais ce n’est pas toute ma vie.”
Admirative d’Anita Roddick, la fondatrice de The Body Shop, elle croit avant tout au principe philosophique de l’élan vital. Drôle, sportive, surfeuse toujours prête à embrasser la vague, mère d’une jeune fille de 19 ans, qu’elle a eue avec son meilleur ami – elle refuse toute posture sacrificielle. “Il faut s’engager comme la poule dans l’œuf, pas comme le cochon dans le jambon”, aime-t-elle répéter. Traduction : prendre du recul pour durer dans le temps et ne pas y laisser sa peau.
Utopiste, elle abuse des citations. Elle puise sa force dans l’histoire, les anthropologues et les penseurs de la complexité. Grande lectrice et amatrice de philosophie, elle cite Gandhi, Luther King, Anatole France… “C’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore.” Pour elle, le salut de l’humanité réside dans la culture. Son mantra : “Regarder ce qui marche, s’entourer de gens qui donnent de l’énergie, s’efforcer de voir les opportunités dans la difficulté.” Son but ultime : “Chercher cet accord avec soi-même, dans la lumière comme dans l’ombre.” C’est là qu’elle trouve la véritable essence de son engagement.