DOSSIER INTERSECTIONNALITÉ 3/3 Combattre les discriminations en entreprise : « Il faut éviter d’avoir des angles morts »

DOSSIER INTERSECTIONNALITÉ 3/3 Combattre les discriminations en entreprise : « Il faut éviter d’avoir des angles morts »

TÊTU Connect consacre un dossier à l’intersectionnalité. Pour clôturer cette enquête : quels sont les leviers à disposition des entreprises et organisations, qui permettent de lutter contre les discriminations croisées ?

Par Alexandra Tizio

Pour favoriser l’inclusion des personnes aux identités plurielles, les entreprises ont un rôle essentiel à jouer. Mais alors, quelles réponses apporter pour faire face aux discriminations croisées, dans une société où la notion d’intersectionnalité reste floue pour certains, voire inconnue d’une large partie de la population ? Selon un sondage de l’Ifop pour L’Express, publié le 3 mars 2021, « l’intersectionnalité des luttes » fait partie des expressions les moins maîtrisées par les Français. Seuls 9% des sondé·e·s sont capables d’expliquer ce que cela signifie. Dans le webinar de TÊTU Connect intitulé “Une discrimination peut en cacher une autre”, Maya Hagege, déléguée générale de l’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD), remarque que « peu d’entreprises se sont emparées de la question de l’intersectionnalité, qui est plutôt, pour l’instant, une thématique d’études en sociologie ou en sciences politique ». Toutefois, « beaucoup d’entreprises se demandent comment faire pour mettre en place des actions sans fonctionner par catégorie, afin de toucher toutes les personnes de l’organisation. Parfois, elles s’adressent à des femmes de plus de 45 ans, avec Force Femmes, (association qui œuvre en faveur du retour à l’emploi des femmes plus de 45 ans, NDLR), par exemple. Ou à des hommes réfugiés de moins de 25 ans, pour répondre à un enjeu spécifique. Ce n’est pas exactement la même approche que d’essayer de toucher les femmes noires ou les hommes handicapés de plus de 50 ans, mais les entreprises veulent bien faire », salue-t-elle. Aussi, Maya Hagege estime que pour mettre en place des systèmes de mentorat pertinents et donner envie aux salariés d’y participer, il faut caractériser les dispositifs – pour les femmes de 25 à 35 ans, par exemple. « Quand on est une entreprise, il faut réussir à toucher et mobiliser les gens. Et on atteint les gens en les ciblant », explique-t-elle.Chloé Torcol, chargée de la mobilisation au sein de l’AFMD, souligne que, si « le genre est potentiellement un critère de discrimination, les femmes blanches peuvent avoir une position d’avance par rapport aux femmes racisées ». Partant de ce constat, « quand on lutte contre les discriminations, il faut aller chercher les expériences spécifiques pour éviter d’avoir des angles morts dans nos approches ». 

Quand on est une entreprise, il faut réussir à toucher et mobiliser les gens. Et on atteint les gens en les ciblant.

Les rôles des managers et directions générales

Les managers sont les premiers garants de la qualité de vie au travail. « Ce sont eux qui sont censés appliquer le Code du travail », précise Maya Hagege, qui a identifié quatre rôles-clés associés aux managers : la vigilance à toutes les situations, l’exemplarité, la pédagogie (à l’occasion de réunions d’équipes, par exemple) et la sanction. Pour apprendre aux managers à analyser les situations, des formations et des guides sont à leur disposition. Chloé Torcol met l’accent sur les formations autour des stéréotypes et des biais cognitifs. « Souvent, on n’arrive pas à nommer une situation comme raciste ou homophobe, observe-t-elle. Ainsi, on a du mal à identifier une discrimination qui croise deux ou plusieurs motifs de discrimination ». Pour sensibiliser les entreprises, l’AFMD a créé un kit d’inclusion des personnes LGBT+ au travail. Cet outil explique les différentes identités de genre, comment accompagner une personne trans dans son parcours, ou encore ce que prévoit le cadre légal. « Les acteurs associatifs sont là, les outils existent. Si les dirigeant·es se font porte-paroles de ces sujets-là, on a beaucoup plus de facilité après, à descendre au niveau managérial », fait valoir Chloé Torcol. Et d’ajouter : « Il faut qu’on arrive à embarquer tout le monde, au plus on sensibilise de collaborateurs et collaboratrices, au mieux ce sera. Et c’est dommage de s’arrêter au niveau managérial, même si c’est déjà ambitieux. »

Sensibilisation du personnel

Selon le deuxième baromètre Ifop sur l’inclusion des personnes LGBT+ au travail pour l’association L’Autre Cercle, dévoilé le 12 février 2020, les attentes des salarié·e·s concerné·e·s sont une meilleure communication de l’entreprise (64%), des sensibilisations de l’ensemble du personnel (62%), des prises de parole régulières des directions générales (50%), et la présence d’une personne référente pour la diversité et la lutte contre les discriminations intégrant également les questions LGBT+ (48%). Caroline Courtin, responsable Diversité, Égalité et Inclusion chez BNP Paribas, assure que l’entreprise « communique de manière très régulière auprès de l’ensemble de ses collaborateurs sur ses engagements en faveur de la non-discrimination et de la diversité (diffusion des accords d’entreprise, information sur les canaux d’alerte internes, etc.) ». Par ailleurs, « le groupe veille à la bonne information des collaborateurs sur les actions menées et les résultats qu’elles produisent ». Ces communications internes abordent plusieurs thématiques telles que l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou encore l’appartenance religieuse.

Il faut qu’on arrive à embarquer tout le monde, au plus on sensibilise de collaborateurs et collaboratrices, au mieux ce sera. Et c’est dommage de s’arrêter au niveau managérial, même si c’est déjà ambitieux.

Synergies entre les réseaux de collaborateurs

Chloé Torcol encourage les rencontres entre les différents réseaux internes de collaborateurs. « Ça permet de se retrouver sur des expériences communes, d’avancer, de réseauter », estime-t-elle. Chez BNP Paribas, le réseau PRIDE créé en France en 2015, s’engage à organiser des événements avec les autres groupes de l’entreprise. À noter qu’il en existe six en France : Ability, qui s’adresse aux collaborateurs touchés de près ou de loin par le handicap ; Afrinity, pour partager ses affinités avec le continent africain ; All Abroad, dédié aux collaborateurs internationaux pour favoriser leur intégration ; Happy Men Share More, pour les hommes engagés en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ; BNP Paribas Mixicity, qui s’engage dans la promotion de l’égalité professionnelle ; et enfin WeGenerations, pour renforcer les échanges entre jeunes et seniors. « À chaque conférence, on essaie d’inviter d’autres réseaux. On se dit qu’on aura beaucoup plus d’idées et de richesse dans les échanges en les incluant », explique Guillaume Semene, Events Manager et Coordinateur de PRIDE. Depuis plusieurs années, le réseau BNP Paribas PRIDE cultive une approche intersectionnelle, bien que le terme soit employé depuis environ un an. « On a organisé notre première conférence sur le thème de l’intersectionnalité en septembre 2020 », rapporte Guillaume Semene. Et de préciser : « Tu peux être noir·e et LGBT+, et ainsi être victime de racisme et/ou de LGBTphobie ; être lesbienne et donc subir une double voire triple discrimination. L’idée est de montrer que pour rendre un milieu de travail plus inclusif, il faut traiter la diversité dans son ensemble, et ne pas s’arrêter à certaines cases. » Et l’enjeu est de taille : « Faire en sorte que le milieu de travail soit un safe place pour tout le monde et que chacun puisse être libre d’être soi-même. »