Les professionnel·les de santé ont encore des progrès à faire dans la prise en charge des personnes LGBTQI+. Si l’accès au soin demeure difficile, teinté de discriminations, de nouvelles pratiques émergent.
Par Aimée Le Goff
Le mois dernier, têtu·connect se penchait sur les discriminations à l’encontre des femmes en matière d’accès aux soins. En mai 2025, un rapport de la Défenseure des droits pointe aussi de multiples manquements à l’encontre des personnes LGBTQI+ dans la sphère médicale. A titre d’exemple, les personnes transgenres et les personnes vivant avec le VIH restent encore confrontées à de multiples inégalités de traitement.
Le venin tenace de la sérophobie
Ces discriminations prennent encore aujourd’hui des formes multiples. Face à ce fléau, l’association de lutte contre le VIH Aides a organisé en 2024, avec des partenaires tels que Sidaction et Les Petits bonheurs, les Etats Généraux du VIH, première édition depuis 20 ans. « La sérophobie en milieu médical est le sujet qui est le plus revenu, confie Camille Spire, présidente de Aides. Nous savons par exemple que les femmes porteuses du virus sont très peu prises en compte et invisibilisées dans les traitements, qui sont d’ailleurs souvent les mêmes pour les hommes et les femmes. Si l’on regarde les études sur les femmes vivant avec le VIH, c’est bien simple : il n’y en a pas ».
L’association pointe des discriminations prenant différentes formes, allant du manque de discrétion au refus de soin, en passant par la violation du secret médical. Dans son rapport de mai 2025, la Défenseure des droits relève de son côté que les situations portées à sa connaissance montrent « que les personnes LGBTI + et que les personnes vivant avec le VIH sont particulièrement exposées dans les soins à des atteintes à leur vie privée ». D’autres cas de figure sont mentionnés par Aides, tels que l’utilisation d’équipement inadapté : tenues de protection exagérées, emploi de gants inutiles… D’où la création, en 2021, d’une campagne de sensibilisation baptisée « Le VIH n’empêche pas de vivre, les préjugés oui » et dont une partie portait sur le volet médical. « Ces attitudes sont irrationnelles et dangereuses en termes de santé publique, commente Camille Spire. La peur du jugement et la stigmatisation repoussent l’idée du dépistage. Pendant ce temps, le virus peut être transmis ».
Transidentité méconnue des gynécologues
Autre obstacle mentionné par la présidente d’association : la fragmentation du système de santé. « Les médecins ne sont pas tous·tes au courant des comorbidités liées au virus. Adopter une vision globale de la santé éviterait aux patient·es de répéter en permanence leur témoignage à chaque nouveau rendez-vous. Si le médecin spécialiste du VIH maîtrise très bien son sujet, les rencontres avec d’autres spécialistes nécessitent bien souvent de repartir de zéro ».
Dans les cabinets médicaux, d’autres types de discriminations subsistent à l’encontre des personnes LGBTQI+ et particulièrement des personnes transgenres. La Défenseure des droits souligne ainsi que « 33% des hommes transgenres évitent les soins gynécologiques », en raison notamment du « manque de formation et de connaissance de la transidentité par ces praticiens », mais aussi en raison de « propos et attitudes transphobes ». En résultent un frein à la prévention et au dépistage de cancers dits « sexo-spécifiques ». D’après le même rapport, les messages et courriers de prévention sur les cancers envoyés par l’assurance maladie, ciblés en fonction du sexe de l’état civil, ne prennent pas en compte les besoins spécifiques des personnes transgenres.
Essor de bonnes pratiques
Contre ce manque de connaissance, des associations et cabinets libéraux s’organisent. En matière de santé mentale, l’Enipse (Equipe Nationale d’Intervention en Prévention et SantE) met en place depuis 2017 Réseau Psy LGBT+, un réseau de professionnel·les et de sexologues répertorié·es dans 12 villes de France. L’objectif : assurer des permanences dans des lieux de rencontre et de socialisation de la communauté LGBTQI+ tels que des bars, des saunas et d’autres associations. Des actions gratuites et confidentielles menées avec le soutien de Santé Publique France.
Dans les grandes villes, les centres de santé sexuelle d’approche communautaire ont vu le jour ces dernières années, notamment pour apporter une offre complémentaire aux personnes LGBTQI, en plus des Cegidd (centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic), vite saturés. C’est le cas du Griffon, à Lyon, qui propose une approche globale en santé sexuelle avec un parcours patient combinant consultations générales et spécialisées, dépistage et suivi psychologique. L’association Virages Santé, porteuse du projet, a permis l’ouverture de centres analogues à Marseille, Paris et Montpellier, gérés chacun par une association distincte.
En ligne, des plateformes telles que Médecin gay friendly ou Queer & Care recensent et actualisent les coordonnées de professionnel·les « LGBT-friendly ». Cette idée de cartographier les soignant·es safe est d’ailleurs adoptée au-delà des sphères LGBTQI+. Sur le site du collectif Gras Politique, qui lutte contre la grossophobie, la cofondatrice Daria Marx recense les professionnel·es de santé en se basant sur les témoignages de patient·es. Une démarche essentielle pour informer les personnes grosses sur leurs droits en matière de prise en charge médicale, car d’après la militante, « le cabinet médical est l’endroit où la grossophobie est la moins déguisée ».
Des recommandations publiques
De son côté, la Défenseure des droits ne s’est pas contentée de recenser les difficultés d’accès aux soins dans son rapport. Le document émet plusieurs recommandations à destination des pouvoirs publics pour plus d’inclusivité dans la sphère médicale. Cela passerait, entre autres, par l’idée de « documenter les discriminations en améliorant les outils d’observation », de « rendre effectifs les recours en faisant mieux connaître les droits des patient·es », de « renforcer les sanctions à l’encontre des structures discriminantes » et de « former les professionnel·les de santé ».
Chez Aides, on préconise des formations du personnel médical au long cours. « L’écoute des patient·es est indispensable, bien sûr, mais aussi l’investissement dans des formations pour les professionnel·les de santé tout au long de leur vie, estime Camille Spire. Aujourd’hui, les grands chefs de service des années 80 spécialistes VIH partent progressivement à la retraite…Comment cela va-t-il se passer pour assurer une relève de qualité ? ». Lors des Etats Généraux du VIH de 2024, des médecins traitant conseillaient aux patient·es de ne surtout pas mentionner leur séropositivité à la médecine du travail, trop peu connaisseuse du sujet…« Le secteur paramédical doit aussi être sensibilisé, ajoute Camille Spire. Avec le vieillissement de la population, les aides à domicile et personnels d’Ehpad sont aussi concernés. Il faut à tout prix éviter la méconnaissance totale ».