Au Québec, le vent trumpiste interroge les politiques de diversité mises en place depuis 20 ans dans le monde entrepreneurial. Quelle est l’ambiance actuelle ? Quelles initiatives choisir pour maintenir le cap en matière d’inclusion au travail ? Décryptage avec Patrick Desmarais, Directeur Développement des affaires au Conseil du patronat du Québec et président de la Fondation Emergence, qui combat les LGBT-phobies.
Par Aimée Le Goff
Entre les élections canadiennes et les récentes annonces de politique tarifaire de l’administration Trump, les préoccupations du monde de l’entreprise au Québec sont légion. Dans ce climat, quel avenir imaginer en matière de diversité et d’inclusion ? Un essoufflement des engagements EDI (Équité, diversité et inclusion selon l’appellation québécoise), notamment par les personnes alliées, est aujourd’hui mesuré. Il aurait débuté bien avant les élections américaines. Le dernier sondage de la Fondation Emergence, organisation de lutte contre les LGBT-phobies, indique ainsi que la proportion de personnes hétérosexuelles qui disent ne pas pouvoir se prononcer sur leur appui aux personnes LGBTQI+ a doublé en dix ans, passant de 11% en 2015 à 22% en 2025.
Face aux Etats-Unis, le regard interloqué du Québec
Il n’empêche, la réputation des entreprises américaines chute considérablement au Québec, principalement depuis l’annonce de la nouvelle politique tarifaire de l’administration Trump. D’après le dernier sondage « Réputation » de l’institut québécois Léger publié le 10 avril, la popularité de Meta a perdu 34 points depuis début janvier, passant d’un score de 6 à -28. Amazon aurait de son côté perdu 50 points. Patrick Desmarais observe le phénomène d’un œil interrogateur. Président de la Fondation Emergences et Directeur Développement des affaires au Conseil du patronat du Québec, il remarque : « par le passé, les entreprises américaines constituaient un sanctuaire pour beaucoup de salarié·es, y compris dans des environnements plus conservateurs. Elles ont attiré les talents en mentionnant leurs initiatives EDI et ont constitué les cheffes de file de la protection, pour s’assurer que le climat de travail soit sécuritaire pour tous·tes, y compris pour la communauté LGBTQI+ ». Aujourd’hui, il se demande : « des entreprises québécoises font affaire avec des entreprises états-uniennes, ça peut être assez perturbant. Avec ce revirement, on se demande : comment conserver ses valeurs sur des sujets qu’on a à cœur depuis des décennies, sans se retrouver sous accusation du gouvernement américain » ?
Inquiétude sur le plan économique
Par ces temps incertains, dans quelles mesures le maintien des politiques de diversité est-il possible ? « Les entreprises sont très préoccupées par la hausse des tarifs douaniers, poursuit Patrick Desmarais. On parle de 25% sur l’acier ou le bois, que nous produisons beaucoup au Québec. Ce volet économique rend malheureusement le volet des politiques d’inclusivité secondaire… Si en tant qu’entreprise je ne vends plus de produits, je n’ai de toute façon plus de personnel ».
Face à l’adversité, certaines sociétés maintiennent leur positionnement progressiste. Le 17 avril, la compagnie de transport aérien Air Canada organisait son Comité EDI pour sensibiliser à « toutes les réalités et faire en sorte de chercher des employé·es de tous secteurs ». Sur place, Martine Roy et Todd Ross, deux figures phares du militantisme LGBTQI+, étaient invités à témoigner de leur expérience durant la purge LGBTQI+ des Forces armées canadiennes (expulsion des membres queers des forces militaires, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de la fonction publique par le gouvernement du Canada, ndlr).
Ce type d’initiative peut s’ajouter aux ingrédients d’une stratégie économique plus vaste, le manque de main-d’œuvre constituant un enjeu majeur pour l’avenir du pays. « Le Québec compte un taux de chômage très bas, mais beaucoup de salarié·es baby boomers prennent leur retraite, expose Patrick Desmarais. Les jeunes sont moins nombreux·ses sur le marché, les entreprises ont donc intérêt à garder leurs effectifs le plus longtemps possible. Il faut montrer que l’environnement de travail est inclusif et sécurisant pour tous les profils ».
Trouver les bonnes pratiques à l’extérieur
Dans la province canadienne, cet enjeu d’attractivité est plus marquant en dehors des grandes villes. « Le besoin de main d’œuvre en campagne est énorme. Historiquement, on sait que les personnes LGBTQI+ vont dans les grands centres pour se sentir en sécurité. C’est important d’aller les chercher ». Comment faire ? « Il faut mettre en place des chambres de commerce spécialisées, des réseaux de fierté au travail, des regroupements qui donnent l’opportunité d’aller chercher ces personnes ».
Le Directeur préconise, en plus de passer par les urnes et davantage de visibilité dans les rues, « un mélange d’initiatives », indispensable quand on sait que la force économique du Québec repose bien moins sur des grosses entreprises que sur les PME. « Les comités en interne sont des lieux utiles où se retrouver. Il faut aussi des personnes alliées au niveau décisionnaire. Parfois il s’agit juste de donner des idées, des façons de faire, de montrer dans quel domaine on a réussi sur ce sujet…Beaucoup d’entreprises ont mis en place des programmes de formation ou de mentorat. Cela permet d’inciter les employé·es invisibilisé·es à chercher des formations ou à postuler pour des postes plus importants. Ça fait grandir ! ».
Une législation protectrice
Point similaire avec la France, le Québec peut pour le moment se prémunir d’un scénario états-unien en raison d’une législation protectrice. Depuis 1977, la Charte des droits et libertés du Québec interdit les discriminations basées sur l’orientation sexuelle. Des lois provinciales et fédérales empêchent aussi les politiques discriminatoires dans les entreprises. Au niveau fédéral, la communauté plaide pour sa mention dans la loi sur l’équité en matière d’emploi, d’abord consacrée à la parité femme-homme et aux personnes en situation de handicap. « Le gouvernement québécois ne peut pas agir comme le gouvernement états-unien, ajoute Patrick Desmarais. Nos juges ne sont pas nommés de la même façon. Et notre société a beaucoup avancé sur ces points. Le mariage homosexuel est légal depuis 20 ans, c’est devenu tout à fait naturel, même si on se marie généralement peu au Québec ». Le 17 mai, la Fondation Emergence organisera sa Marche sociale à l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie. « Au sein de notre communauté, nous avons aussi du travail ».