Comment réagir face aux mots qui blessent ? 2/2

Comment réagir face aux mots qui blessent ?  2/2

Parce qu’une expression, une phrase malencontreuse peuvent faire aussi mal qu’une gifle, le combat contre les violences LGBTphobes doit aussi se mener sur le terrain du vocabulaire. Le 21 Janvier dernier un webinar TÊTU CONNECT "Les mots ont un sens !" abordait ce sujet. Nous vous proposons d'aller plus loin.

Par Stéphanie Gatignol

Renoncer aux causes perdues

Selon plusieurs études, ces atteintes « ordinaires » qui agissent comme autant de petites lacérations auraient un effet délétère. Parmi celles et ceux qu’elles visent, certain·e·s se croient vacciné·e·s ; d’autres cèdent à la légitime tentation de laisser filer. Pas forcément envie de monter à l’assaut, de répliquer quand un·e collègue à la cantine lance une vanne lourdingue entre la poire et le fromage. « Je ne suis pas quelqu’un qui aime casser l’ambiance et quand ces phrases blessantes surgissent dans des moments de partage, avec des gens sympathiques, je laisse un peu passer, reconnaît Olivier. En d’autres circonstances, j’ai réagi sur le coup, sèchement. Comme lorsqu’au lycée, j’ai pu entendre des filles dire : « Oh, j’aimerais bien avoir un ami gay, on pourrait aller faire du shopping ensemble ! Je trouverais ça trop fun ! » Ca veut dire quoi un ami gay ? Et, moi, le shopping, ça ne m’intéresse pas. »
Face aux microagressions, Cédric, 43 ans, tient généralement à marquer le coup. Mais à condition de sentir qu’un échange constructif est possible et en éliminant les « indécrottables ». « Lorsque tu marches dans la rue à Versailles où tu viens de t’installer, que tu ne tiens même pas la main de ton mec et que tu entends un père de famille dire à son gamin de six ans : « tu vois mon chéri, ça, c’est des PD », ça ne sert à rien d’intervenir. Tu pourras déployer des tonnes d’arguments, ils sont enfermés dans leur idéologie et n’en bougeront pas ». Dans son ancienne entreprise de presse, en revanche, il se souvient d’avoir recadré une DRH. « Alors qu’elle chahutait avec un collègue et qu’il venait de lui déverser tout un spray d’huile essentielle dans son bureau, elle l’a traité de « tarlouze ». Après avoir attendu quelques minutes, je me suis levé, posté dans l’embrasure de sa porte, j’ai croisé les bras et je lui ai simplement dit : Bonjour P… Elle m’a regardé, elle a tout de suite compris et la pauvre s’est aussitôt confondue en excuses. Je suis persuadé qu’elle n’était pas homophobe. Il m’a juste suffit de pointer du doigt l’écart de langage. »

Réagir au moment propice

Cédric guerroie aussi sur les réseaux sociaux quand il sent une possibilité de repêchage. Parfois avec humour – « un bon moyen de désamorcer les choses, mais qui ne fonctionne pas avec tout le monde » -, parfois en relevant simplement un… manque d’élégance. « Récemment, sur un forum de discussion dédié aux jeux télé, un certain Daniel a écrit au sujet d’un candidat : « qu’il retourne avec sa Drag-Queen » ! J’ai estimé que ça valait la peine de réagir, qu’il s’agissait peut-être d’un type dans son canapé auquel il y avait moyen de faire comprendre que son commentaire était un peu bébête. J’ai été le premier à intervenir, mais plein d’autres participants se sont manifestés en lui disant : eh ben, Daniel, c’est pas très correct ce que vous partagez, vous devriez retirer vos propos. »

Julien travaille dans le milieu du vin. Un environnement qu’il juge « très machiste et très viriliste », mais il ne s’y cache pas. « Tout le monde sait que je suis homo et que je milite chez SOS Homophobie ». Lors des dégustations qu’il organise, deux phrases lui sont régulièrement resservies : « Ca, c’est pas un vin de PD » et « Faites gaffe, les gars, v’la Julien ! » quand il arrive quelque part. Pour lui, pas de méchanceté dans ces paroles. « C’est juste beauf, un peu bourrin. Le fond n’est pas mauvais, mais la vanne est rentrée dans l’inconscient des gens et dans ce qui relève pour eux de l’acceptable ». Généralement, un « Ne t’inquiète pas, tu n’es pas mon style » suffit à calmer toute velléité d’enchérir. « Je réponds ce que je peux, mais il faut acter », explique le quadra qui riposte sur le ton de la blague ou de la provocation, car « ce n’est pas l’endroit propice pour entrer en discussion ». Souvent, celles et ceux qui se sont fait recadrer vont s’excuser en privé et c’est à cette occasion qu’il endosse sa panoplie de pédagogue. « Quand quelqu’un vient me trouver en me disant qu’il ne faut pas le prendre comme ça, je réponds que si, justement, il faut le prendre comme ça. J’explique à mon interlocuteur que, face à quelqu’un qui n’est pas à l’aise, timide ou pas en capacité de les entendre, ses réflexions ne passeraient pas. »

Un kit… correcteur de presse

Alimenter le bon propos, le non-stigmatisant implique un long travail de décryptage. Y compris vis-à-vis de la presse. L’Association des Journalistes Lesbiennes, Gays, Bi.e.s, Trans et Intersexes (AJL) a mis au point un « Kit à l’usage des rédactions » afin d’inciter la profession à rayer les termes inexacts, approximatifs ou dépréciatifs de ses articles. Opposer la famille « normale » à la famille homoparentale laisse supposer que la seconde ne l’est pas, insiste le document. « Avouer » son homosexualité induit l’idée d’une faute ; le verbe « annoncer » lui est préférable comme l’expression « faire son coming-out ».

Adjoint à la Maire de Paris en charge des Droits Humains, de l’Intégration et de la Lutte contre les Discriminations, Jean-Luc Romero-Michel insiste sur la nécessité de sensibiliser aux questions de vocabulaire, les services au contact du public, notamment ceux des mairies. « Même si globalement les choses se passent plutôt bien, j’ai déjà eu, depuis ma prise de fonction il y a six mois, des remontées négatives, notamment d’un couple de femmes qui a essuyé des réflexions à l’État Civil. Notre responsabilité à nous, élu·e·s, militant·e·s, est d’expliquer qu’il y a des façons de parler, des mots à ne pas employer. Nous travaillons notamment sur l’accueil des personnes trans. Les agent·e·s ne savent pas toujours comment les nommer et elles peuvent se sentir blessées parce qu’elles ne se sentent pas reconnues dans ce qu’elles sont, même si telle n’était pas la volonté de départ. »

Un tiers à la rescousse

Pour Anne-Laure Thomas Briand, directrice Diversité & Inclusion France chez L’Oréal, « il faut toujours laisser le bénéfice du doute à quelqu’un qui dit : « je ne me suis pas rendu compte ». Dans ce cas, on réexplique, on reprend. En revanche, au bout d’un moment, quand on sait qu’il y a eu de la pédagogie, de l’information et de la sensibilisation, on ne doit plus tolérer, on doit pouvoir sanctionner ». Lorsqu’elles et ils intègrent ce groupe qui a signé la Charte d’Engagements LGBT+ de l’Autre Cercle, « tou·te·s les collaboratrices et collaborateurs sont formé·e·s à la diversité dans sa globalité pendant une journée ». Mais, « on n’est pas obligé de tout savoir, insiste la responsable. Il y a un certain nombre de termes, un vocabulaire que tout le monde ne peut pas maîtriser. Ce qui importe, c’est d’être ensemble et de pouvoir reprendre un·e collègue sans aucune agression en lui disant : « Tu n’emploies pas le bon mot, c’est celui-là qui convient.» La politique maison s’attache à impliquer chacun dans la lutte contre les microagressions. « C’est parfois trop difficile de réagir quand on est directement concerné·e. D’où l’importance du témoin capable d’affirmer : « Moi, ta blague, elle ne me fait pas rire ; ton propos, je le trouve déplacé.» Olivier Lallart abonde dans son sens. « C’est même parfois plus fort quand la réplique émane de quelqu’un qui n’appartient pas à la communauté. Je m’en aperçois lorsque nous faisons des projections de mon film. Face aux comédiens hétéros qui jouent des homos, les élèves me semblent beaucoup plus à l’écoute. Ils se disent : « Mince ! Ce mec est comme moi et il m’interpelle sur quelque chose qui ne devrait pas le concerner. ». Le réalisateur se réjouit, aujourd’hui, de recevoir des messages d’enseignant·e·s inspiré·e·s par la « leçon » de son prof d’histoire. « Elles et ils m’expliquent qu’elles et ils ne savaient pas trop comment intervenir face à certaines situations et qu’elles et ils ont, désormais, une idée plus précise de la façon dont elles et ils doivent procéder. » Un pas de plus dans la stratégie des petites victoires que résume Cédric, optimisme chevillé au corps. « Tu ne peux pas changer la Terre entière, mais si tu peux faire évoluer la façon de réagir d’une ou deux personnes, c’est déjà pas mal… Ca vaut le coup ! »

  • Article TÊTU CONNECT suite au webinar du 21 janvier 2021 « Les mots ont un sens ! ».