« Charge mentale et hyper vigilance sont les expériences les plus partagées par les personnes LGBTQI+ », Émilie Morand, chercheuse, Université du Québec à Montréal

« Charge mentale et hyper vigilance sont les expériences les plus partagées par les personnes LGBTQI+ », Émilie Morand, chercheuse, Université du Québec à Montréal

Au Québec, l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) est un établissement universitaire de recherche et de formation qui compte en son sein 150 professeurs-chercheurs et près de 800 élèves. Sur le campus de Montréal, s’est tenue le 20 octobre, une conférence sur le thème « réalités et enjeux des personnes LGBTQ2+ en milieu universitaire ». Outre-Atlantique, les étudiantes et étudiants sont aujourd’hui très engagés sur ces sujets et imaginent des outils permettant d’augmenter le niveau d’inclusion des personnes LGBTQI+ au sein de l’ensemble des Universités du Québec.

Par Chloé Consigny

LGBTQ2 + vs. LGBTQI+

Au Québec est utilisé l’acronyme LGBTQ2+, tandis qu’en France, l’acronyme le plus répandu est celui de LGBTQI+. Si les premières lettres sont semblables : « L » pour Lesbienne, « G » est pour Gay, « B », c’est pour Bi, « T », pour transgenre, « Q », c’est pour queer, là où la France utilise le « I » pour intersexe, le Québec utilise le « 2 » pour bi-spirituel. Un terme qui fait référence aux personnes autochtones ne s’identifiant pas comme cisgenre et qui peut également s’utiliser pour une personne dont l’identité contient un esprit masculin et féminin. Un acronyme qui prend donc en compte les spécificités du Québec, les Autochtones du Québec constituant l’ensemble des peuples établis sur le territoire du Québec préalablement à la colonisation de l’Amérique. 

Une acceptation de principe

Autre spécificité des étudiants et étudiantes québécoises : leur engagement en faveur de la diversité et de l’inclusion.  « A l’université, il y a une acceptation de principe plus forte que dans les autres organisations du travail. C’est un lieu où tout acte ou propos LGBTphobe est mal perçu. Néanmoins, au-delà de cet affichage et de cette ouverture de principe, les mêmes mécanismes que dans tous les milieux professionnels sont à l’œuvre. Nous retrouvons ainsi l’idée très répandue selon laquelle l’orientation affective et sexuelle est une donnée privée. Pourtant, les personnes hétérosexuelles parlent constamment de leur vie privée, affichent leurs conjoint·es sur leurs ordinateurs, s’éclipsent d’une réunion pour aller chercher leurs enfants », constate Émilie Morand, chercheuse postdoctorale à la Chaire de recherche sur la diversité et la pluralité des genres, UQAM

Des thématiques encore peu adressées par la recherche

Si tous et toutes s’accordent à dire qu’ils sentent poindre une évolution en faveur de davantage d’inclusion, tous et toutes constatent que le chemin est encore long. Notamment sur les thématiques de recherche. « Un étudiant qui veut travailler sur les sujets LGBTQI+ va s’entendre dire qu’il ou elle prend un risque à se spécialiser. Il y a également des freins au recrutement pour ces personnes dont les thèmes de recherche sont encore considérés comme peu légitimes », déplore une étudiante chercheuse qui relate le cas d’une chercheuse en sociologie qui travaille depuis plus de 20 années sur les femmes lesbiennes et les femmes détenues et qui, encore récemment, s’est entendu dire que son spectre de recherche était trop spécialisé. « Nous sommes jugées à toutes les étapes de notre carrière, depuis la demande de Bourse au passage au grade de directeur ou directrice de thèse. Il y a donc une vraie réticence à s’afficher. Les étudiants et étudiantes préfèrent écarter toute possibilité de discrimination en restant invisible », poursuit l’étudiante. 

Une formalisation nécessaire des besoins 

Florence Yvon est directrice des services d’Interligne, service d’aide et d’accompagnement des personnes LGBTQI+ qui a récemment été mandaté par l’Université du Québec pour dresser un état des lieux de l’inclusion des personnes LGBTQI+ au sein de dix universités du Québec. « Nous avons commencé par sonder les besoins au sein des universités dans un souci de rendre les choses le plus concret possible. Nous avons mis en place une démarche claire et des outils », explique-t-elle. Cet audit a permis ensuite de dresser quatre fiches à destination des administrations sur des thématiques jugées prioritaires : Comment accompagner le changement ? Qu’est-ce qu’une politique inclusive ? Pourquoi est-il important de se pencher sur la communication inclusive ? Comment mettre en place des espaces non genrés ?. Au-delà des fiches, des capsules vidéo ont été produites. Celles-ci donnent la parole aux personnes concernées et sont destinées au plus grand nombre. « L’idée est de donner à voir à tous et à toutes l’importance de ces sujets qui sont loin de concerner exclusivement les personnes LGBTQI+ », poursuit Florence Yvon.

Universalité des « mots qui blessent » 

Dans son travail de recherche, Émilie Morand s’est intéressée aux personnes LGBTQI + en entreprises avec pour spécificité de ne pas prendre comme prisme d’analyse les discriminations vécues, mais de s’intéresser au quotidien des ces personnes. Une démarche qui lui a permis d’évaluer les effets structurels dans la sphère professionnelle. Son constat est sans appel « Charge mentale et hyper vigilance : il s’agit de l’expérience la plus vécue et la plus partagée par l’ensemble des personnes LGBTQI + dans la sphère professionnelle ». Et de poursuivre : « la charge mentale et l’hyper vigilance regroupent toutes les petites stratégies constamment mises en place par les personnes LGBTQI+ : choisir un environnement de travail qui semble inclusif, sonder ses collègues pour savoir lequel ou laquelle sera accueillant·e, décider ou non de faire son coming-out… Se pose ensuite la question de prendre en charge ou non la réaction de l’autre qui peut être la gêne ou encore la surprise ». Elle a ensuite poursuivi son travail sur la pluralité des genres dans la sphère professionnelle. « Ce qui revient de manière centrale dans les entrevues, ce sont les propos, non clairement identifiés comme discriminatoires car prononcés sur un registre qui se veut léger et humoristique. Les personnes concernées se demandent alors si c’est légitime d’intervenir, si elles n’en font pas trop en intervenant et ont peur notamment de troubler la cohésion d’équipe ». 

« Penser l’ensemble des hiérarchisations produites par l’hétéro-cisnormativité »

Pour Émilie Morand : « condamner les propos discriminatoires ne suffit pas. Il faut penser l’ensemble des hiérarchisations produites par l’hétéro-cisnormativité ». Elle dresse ainsi des pistes très concrètes qui pourraient permettre de faire avancer l’inclusion au sein des Universités et de toutes les organisations.  « Concrètement, il s’agit d’arrêter la présomption d’hétérosexualité, d’encourager l’affichage des pronoms, de se doter d’espaces queers, de prévoir des toilettes inclusifs et des vestiaires non genrés et d’indiquer leurs emplacements, de faciliter l’accès à l’université des personnes LGBTQI+, de former les personnels administratifs, enseignants responsables sécurité aux enjeux et réalités des personnes LGBTQI+ », conclut-elle.