« Aux yeux de mes collègues, j’avais des enfants, donc j’étais hétérosexuelle »

« Aux yeux de mes collègues, j’avais des enfants, donc j’étais hétérosexuelle »

Sandrine Bergé a rejoint le groupe BNP Paribas dès la fin de ses études. Entrée en 1997 en agence, elle évolue en 2009 chez BNP Paribas Cardif (filiale assurance du groupe) pour devenir ingénieur conseil. Au cours des 24 années passées au sein du groupe, sa vie personnelle change du tout au tout. Si son coming out familial lui apparait comme une évidence, son coming out professionnel lui demandera, en revanche, davantage de temps. Elle s’engage ensuite en faveur de l’inclusion et lutte notamment pour une plus grande visibilité des lesbiennes en entreprise. Engagée au sein de BNP Paribas Pride, elle sera lauréate 2019 des Rôle Modèles LGBT+ de L’Autre Cercle. Faute de temps, elle est aujourd’hui en retrait des actions menées par BNP Paribas Pride, mais reste fortement engagée sur les thématiques de l’inclusion et de la diversité. Retour sur un parcours inspirant.

Par Chloé Consigny

Votre coming out auprès de votre famille a-t-il été plus simple à faire que votre coming out professionnel ?

Je ne sais pas. En revanche, ce qui est certain, c’est que j’ai mis bien plus de temps à me dévoiler au travail qu’au sein de ma famille. Ma vie personnelle a pris un tournant en 2008. A l’époque j’étais mariée et maman de trois enfants en bas âge (ils étaient alors âgés de 2 à 8 ans). C’est alors que je suis tombée amoureuse d’une femme. Cela a été pour moi une évidence. En moins de six mois je changeais de vie et j’en informais mes enfants et ma famille. A la même époque, j’intégrais BNP Paribas Cardif. Un nouveau poste dans lequel je me devais de faire mes preuves. Il y a dix ans, le sujet de l’homosexualité n’existait pas dans l’entreprise. Je me souviens alors m’être confiée à une de mes amies lesbiennes promise à une grande carrière et qui travaillait elle aussi chez BNP Paribas. Elle m’avait alors dit clairement « cela ne regarde pas mes collègues de savoir avec qui je couche ».  Je me suis sentie très seule et j’ai décidé de garder le silence.

Combien de temps ce silence a-t-il duré ?

Je suis restée silencieuse durant deux années. La situation était paradoxale car durant cette période je me sentais profondément heureuse de ma nouvelle vie, et totalement bien dans mes baskets. J’étais si heureuse que j’avais envie de le crier sur tous les toits ! Cependant je restais invisible au travail. Il y a une dizaine d’années, aux yeux de mes collègues, j’avais des enfants, donc j’étais  hétérosexuelle et simplement séparée de son mari. Mon manque de sincérité vis-à-vis de mes collègues me gênait beaucoup. Cependant, certaines petites phrases m’incitaient à garder le silence. Par exemple, lors d’une réunion de travail, un de mes collaborateurs a lancé à la volée « on n’est pas des tapettes ! ». Ou encore, un soir, alors que je faisais du covoiturage avec un de mes collègues, il m’a dit sur le ton de la confidence et du ragot « tu sais que ces deux collaboratrices sortent ensemble ? ». J’ai eu envie de lui dire « mais tu ne connais pas ma vie ! » mais je ne l’ai pas fait.

Quel a été le déclencheur ?

Il m’a fallu un long moment de réflexion. Je me suis longuement demandé comment annoncer mon homosexualité à mes collègues. Et puis, je crois qu’à un moment je me suis simplement lassée de ce double jeu. Je participais à de nombreux événements organisés par le comité d’entreprise, toujours accompagnée de mes enfants mais jamais accompagnée de ma compagne. Un jour j’ai décidé de m’y rendre avec ma compagne et de la présenter à mes collègues comme telle. Après avoir réfléchi durant des semaines à la meilleure façon de l’annoncer, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune réaction spécifique de la part de mes collègues qui tous trouvaient la situation parfaitement normale. C’était presque décevant ! J’avais envie de leur dire « hé ho, je suis en train de vous dire quelque chose d’important ! » La plupart de mes collègues m’ont alors dit « on ne savait pas mais cela ne change rien ».

C’est alors que vous décidez de vous engager en faveur de l’inclusion au sein de votre entreprise ?

Tout à fait. J’ai pris contact avec BNP Paribas Pride afin de mettre en place des actions au sein de BNP Paribas Cardif. A l’époque j’étais seule au sein de BNP Paribas Cardif mais j’ai reçu un bon accueil de la part de la direction générale. Je pense que le fait d’avoir été membre de MixCity, réseau BNP Paribas qui agit en faveur de l’égalité hommes – femmes m’a beaucoup aidée. Je suis allée voir Renaud Dumora qui était alors directeur général de BNP Paribas Cardif. Il m’a tout de suite assurée de son soutien. Les premières actions qui ont été mises en place ont été des actions de communication et de sensibilisation autour de dates clés, telle que le 17 mai, le mois de juin et le mois des fiertés ou encore la semaine de la diversité de BNP Paribas qui se tient chaque année au mois d’octobre. Par la suite, nous avons mis en place de nombreuses conférences, a l’instar de celle intitulée « LGBT + pourquoi ce sujet concerne l’entreprise ? »

Parallèlement, votre entreprise évolue vers davantage d’inclusion. Quelles actions de la part de BNP Paribas sur le front de l’inclusion vous ont le plus marqué ?

Le 6 octobre 2015, BNP Paribas ratifie la charte d’engagement LGBT+ de L’Autre Cercle. Lorsque je l’apprends via l’intranet, je suis en congés à l’étranger. Je me souviens avoir ressenti une émotion très forte. Je me suis même dit que c’était assez culotté de la part d’un groupe bancaire ! Il faut se souvenir qu’à l’époque, nous étions en plein dans la polémique du mariage pour tous. Je trouve donc la prise de position de BNP Paribas très courageuse. Il faut bien avoir à l’esprit que le groupe est la toute première banque française à avoir signé cette charte. Ensuite, BNP Paribas Pride se structure en France après avoir été mis en place aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Je me rends alors à un afterwork BNP Paribas Pride et je constate que nous sommes 150 ! Jamais je n’aurais imaginé qu’autant de personnes seraient présentes. Un seul bémol : il y a très peu de femmes présentes à cette soirée !

Quels sont, selon vous, les éléments qui ont permis de faire avancer les thématiques LGBT + au sein de votre entreprise ?

A mon sens, il y a un niveau de maturité différent selon les entreprises. Tout d’abord, chez BNP Paribas existe depuis longtemps le réseau MixCity qui s’engage en faveur de l’égalité hommes-femmes. Je pense qu’une entreprise qui n’a pas mené de réflexion sur l’égalité hommes-femmes peut difficilement s’emparer des sujets LGBT +. Pour que ces sujets puissent être à l’honneur au sein de l’entreprise, il faut que trois conditions soient remplies simultanément. Tout d’abord, il faut l’implication d’un collaborateur LGBT +. Ensuite, il faut que l’engagement soit porté au plus haut niveau de l’entreprise par un top management résolument impliqué dans une démarche d’inclusion. Enfin, il faut que les services opérationnels de ressources humaines puissent prendre le relais en mettant en œuvre des propositions et des actions concrètes.

Êtes-vous parvenu à faire augmenter le nombre de femmes au sein de BNP Paribas Pride ?

L’un des sujets était effectivement l’invisibilisation des lesbiennes. Au sein de BNP Paribas Pride, les hommes restent surreprésentés. Aussi, nous avons souhaité créer des événements spécifiquement pour les femmes, qui sans leur être réservés sont susceptibles de leur donner envie de nous rejoindre. C’est ainsi, par exemple, que nous avons organisé un concert du collectif musical les Funambules au sein de BNP Paribas Cardif. Nous avons également organisé des afterworks sur différentes thématiques en invitant des personnalités telles que Constance Debré ou encore Océane Rose Marie. Tous ces événements ont contribué à donner envie à davantage de collaboratrices du groupe de nous rejoindre.