« Au militantisme extrême, je préfère un engagement quotidien », Élise Botiveau, dirigeante et fondatrice de Béchamels

« Au militantisme extrême, je préfère un engagement quotidien », Élise Botiveau, dirigeante et fondatrice de Béchamels

Élise Botiveau est aujourd’hui dirigeante de Béchamels, une agence de tourisme gastronomique. À 51 ans, cette entrepreneuse fait le point sur une vie professionnelle bien remplie, empreinte d’un engagement en faveur de toutes les femmes et particulièrement des femmes lesbiennes.

Par Marie Roy

Élise Botiveau est une adepte du pas de côté. Dans les sports de combat, un pas de côté est un déplacement du corps hors de l’axe d’attaque adverse. Dans la littérature, il s’agit d’une manière de ne pas relier deux points par une ligne droite, stricte et rigide, mais en ayant recours à la courbe ou aux bifurcations. Dans ces deux définitions, le pas de côté est volontaire et induit une démarche qu’Élise s’est toujours efforcée d’avoir au cours de ses nombreuses vies professionnelles. Car cette Parisienne aux racines nantaises a exercé dans des domaines aussi différents que l’événementiel, l’informatique, l’enseignement et le tourisme gastronomique.

Du cinéma à l’informatique

Pour comprendre comment cette touche-à-tout est passée de l’un à l’autre, il faut remonter le fil de sa vie. Diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg, la jeune Élise Botiveau rêve d’abord de travailler dans le cinéma. Ce qu’elle parvient à faire en se faisant embaucher durant deux années au sein du Festival international du Film de femmes de Créteil. Cette expérience la marque durablement : « c’est là que j’ai compris le rôle de la représentation et la nécessité de la sororité. Mon engagement pour les femmes est très important pour moi, parce que j’en suis une et aussi parce que je suis lesbienne. » Elle précise : « je ne suis pas du tout dans une forme de militantisme extrême. Si j’ai beaucoup d’admiration pour celles qui s’engagent fortement à l’instar de Virginie Despentes ou, sur un autre registre, des Femen, je ne me vois pas m’engager dans la même voie. Simplement parce que ce ne serait pas moi. »

Après ces deux années à Créteil, une crise économique contraint Élise à voguer vers de nouveaux horizons. Ce sera les relations presse. Repérée par un client, elle est embauchée au service communication de Computers Science Corporation, une entreprise d’informatique. Elle y restera 18 ans. Pendant les deux premières années, Élise Botiveau reste au placard. Il lui faut du temps pour « se sentir en confiance » et se dévoiler. Mais peu à peu, elle ose formuler clairement les choses : « lorsque l’on me demandait si j’étais partie en vacances et avec qui, je répondais que j’étais allée au ski avec ma compagne et ma fille. » En un peu moins de 20 ans d’exercice dans cette société, Élise estime n’avoir jamais subi de réflexions ou de discriminations liées à son homosexualité.

Un réel plafond de verre

En revanche, étant une femme dans un milieu très masculin, elle a pu constater « qu’à un certain niveau, il y a un vrai plafond de verre. Tu ne peux plus progresser ». Un contexte qui, d’après Élise, fait oublier à de nombreuses femmes le principe de sororité : « à partir du moment où elles sont en compétition, les femmes sont loin d’être toutes bienveillantes. Il y en a qui sont prêtes à te marcher dessus pour avoir un poste ». Ce n’est cependant pas l’existence d’un plafond de verre dans son entreprise qui décide Élise à changer de cap professionnel. « Il y a eu une fusion et j’ai été mise de côté. Cette période a été très difficile à vivre et j’ai finalement choisi de prendre un plan de départ volontaire en 2018 », confie-t-elle d’une voix pudique. 

Reconversion en tourisme gastronomique

À ce moment-là, c’est un virage à 360 degrés qui s’opère et Élise décide de se reconvertir dans le tourisme gastronomique. Pour cela, elle se forme au tourisme, à l’œnologie et même à la cuisine, chez Ferrandi. La sémillante Parisienne souhaite alors organiser des « foods tours classiques », mais la crise sanitaire vient chambouler tous ses plans, l’absence de touristes faisant tomber le concept à l’eau. Il faut revoir l’intégralité du business modèle. Élise opte finalement pour une agence de conseil en tourisme gastronomique : Béchamels voit le jour en mars 2021. En filigrane, il y a l’idée de promouvoir le slow tourisme et d’opérer un renouveau par rapport ce qui se fait déjà dans le domaine : « Par exemple, au lieu d’une route des vins classique, pourquoi ne pas faire la route des femmes gastronomes et viticultrices ? Nous connaissons tous la crêpe Suzette, mais qui sait qui était cette Suzette ? », remarque-t-elle d’un ton amusé.

Cheffe d’entreprise out

En tant que cheffe d’entreprise, Élise décide de rester out. Ce qui n’était pas forcément un choix évident car la quinquagénaire côtoie de nombreux agriculteurs, vignerons en encore des chefs. Des professions qui ne sont pas réputées, à tort ou à raison, pour être des plus inclusives. « Eh bien, cela se passe très bien », affirme la créatrice de Béchamels. « Je crois que ma force, c’est justement de ne pas en faire un sujet. Je dis que je suis lesbienne et je laisse la conversation se poursuivre naturellement sur ce sujet ou tout autre chose. » Elle estime que c’est justement là que se trouve son engagement : « ce n’est pas un militantisme de l’extrême. C’est plutôt un engagement du quotidien. C’est en parlant naturellement que je contribue à faire avancer les choses. C’est ma bataille à moi ». Elle réfléchit quelques secondes et ajoute : « c’est aussi parce que j’ai eu beaucoup de chance et que je n’ai jamais eu à subir de conséquences négatives. Je pense que cela joue sur la façon dont on s’engage par la suite. Il faut de l’extrême et du moins radical, les deux démarches sont complémentaires. »

Pour les mois qui viennent, la cheffe d’entreprise a des projets plein la tête pour Béchamels : oenotoursime dans le bordelais, mise en avant de produits du terroir ou encore une réflexion autour du matrimoine culinaire. Ce dernier lui tient particulièrement à cœur : « C’est une thématique qui, à ma connaissance, n’a pas encore été assez explorée. Je pense que notre matrimoine culinaire regorge d’opportunités originales pour les professionnels du tourisme et de la gastronomie ». Même dans un domaine aussi traditionnel que la gastronomie, Elise parvient à faire son pas de côté.