La directive européenne sur la transparence des rémunérations, adoptée en mars 2023, doit être transposée en droit français au plus tard le 7 juin 2026. Elle impose de nouvelles règles aux entreprises pour favoriser l’équité salariale et la transparence des rémunérations. Une véritable bombe à retardement pour les entreprises les moins préparées.
Par Chloé Consigny
Le texte n’enchante pas les directions ressources humaines, ni même les directions financières. « Cette directive ajoute encore une couche de reporting à des entreprises qui sont déjà très occupées », nous confie un responsable financier. La directive – qui concerne toutes les entreprises de plus de 100 salarié·es – s’appliquera en France au plus tard en juin 2026, avec pour principale incidence l’obligation de publier des rapports détaillés sur la parité salariale, incluant la répartition par sexe, les évolutions salariales et les actions correctives mises en place pour réduire les écarts. Il reste donc une année aux entreprises françaises pour se préparer. « Il s’agit là d’un chantier très important qui va impacter la structure de rémunération dans les entreprises de manière très significative », souligne Sandrine Dorbes, experte en stratégie de rémunération et autrice de l’ouvrage « pour construire une politique de rémunération pertinente et efficace » aux éditions Dunod. Certaines entreprises en viennent même à espérer – qu’à l’instar de la CSRD – le texte soit reporté.
Droit à l’information
Pour l’heure, aucun changement n’est en vue. Ainsi, dans un an, la forme des offres d’emploi devrait changer de manière significative. La directive impose une transparence dès l’embauche : les employeurs devront informer les candidat·es de la fourchette de rémunération proposée dès le début du processus de recrutement. Les effets de cette obligation sont déjà sensibles : de plus en plus d’annonces portent désormais la mention du salaire proposé. Si pour les chasseurs de têtes, il s’agit d’une bonne mesure qui permet de mieux cibler les candidat·es, les entreprises, en revanche, n’y sont pas toujours favorables, arguant la crainte de dévoiler leur stratégie de rémunération à la concurrence.
À l’été 2026, les entreprises n’auront plus le choix. Le texte va plus loin et interdit de demander aux candidat·es des informations quant à leur précédente rémunération. Autre évolution majeure : le droit à l’information. Chaque salarié·e sera en droit de connaître précisément de quelle façon est fixée sa rémunération et tout·e salarié·e pourra demander et obtenir la rémunération moyenne des collègues occupant un poste équivalent.
Si un écart de rémunération supérieur à 5 % est constaté et ne peut être objectivement justifié, l’employeur aura l’obligation de le corriger, sous peine de sanctions. Enfin, sur un volet purement légal, l’inversion de la charge de la preuve s’appliquera. En clair, si une personne estime être victime d’une discrimination salariale, l’entreprise devra apporter la preuve du contraire.
Un exercice de transparence auquel sont peu habituées la plupart des grandes entreprises. Pour Marine-Pétroline Soichot, autrice du « Guide de déconstruction du sexisme au travail » : « Cette directive ne fait que répéter ce qui a été énoncé en 1948, à savoir « à travail égal, salaire égal ». Cependant, nous ne pouvons que constater que, malgré une armada de textes, l’égalité n’est toujours pas effective. Le législateur doit donc ajouter de nouvelles contraintes pour pallier les inégalités ».
La fin d’un système qui valorise celui qui crie le plus fort ?
Autant de changements importants qui auront sans conteste un impact sur les personnes les moins bien rémunérées dans l’entreprise, à commencer par les femmes. Pour rappel, en 2024, dans le secteur privé, les femmes gagnent en moyenne 22 % de moins que les hommes, tous temps de travail confondus (temps partiel et temps plein). Lorsque l’on compare les salaires à temps de travail équivalent (équivalent temps plein), l’écart est de 14 % en défaveur des femmes. « Les premières années vont être très difficiles pour les entreprises. Celles qui avaient coutume de se valoriser grâce à leur bon score en matière de parité seront simplement dans le respect de la loi. Les autres devront faire face au bad buzz et se mettre en règle » met en garde Sandrine Dorbes. Dans un contexte budgétaire contraint, la solution adoptée sera probablement le gel des salaires les plus élevés et non la revalorisation des salaires les plus bas.
Les femmes ne sont pas les seules pour qui cette mesure pourrait changer la donne. « Globalement toutes les personnes dont on a coutume de dire « qu’elles ne savent pas négocier » pourraient tirer profit de cette réglementation. À la condition toutefois qu’elles osent demander les détails de leur rémunération », analyse Marine-Pétroline Soichot. Au sein des entreprises, la résistance est réelle et provient largement des personnes qui bénéficient des meilleurs salaires. « J’ai entendu lors d’un webinaire, un collaborateur m’expliquer que cette directive allait pénaliser les personnes se donnant du mal pour défendre leur rémunération », se souvient Sandrine Dorbes qui s’interroge « Est-il vraiment nécessaire dans une organisation de valoriser celui qui parle plus fort que les autres ? » Et Marine-Pétroline Soichot d’abonder : « il faut arrêter avec cette capacité à négocier son salaire. C’est ce que l’on explique sans cesse pour justifier une inégalité. Négocier son salaire n’est pas une compétence qu’il faut valoriser. Sauf dans les rares cas où la personne est directrice des achats ou commerciale. Dans tous les autres cas, le salaire doit être fixé en fonction des compétences et des tâches confiées ».
Premier pas vers moins d’inégalité
Pour les expertes interrogées, la directive ne résoudra pas tout, mais c’est un début, à la condition néanmoins que celle-ci soit assortie de contrôles et de sanctions fortes. Les détracteurs sont nombreux et avancent souvent un même chiffre : selon l’Insee, pour des postes totalement identiques (même métier, même fonction), l’écart de salaire résiduel entre femme et homme, qui s’apparente à une discrimination pure, est estimé à environ 4 %. Un pourcentage à prendre avec des pincettes, explique Marine-Pétroline Soichot « Le pourcentage de 4 % – souvent avancé par ceux qui estiment « qu’il n’y a pas de sujet » – ne prend pas en compte les « égalités justifiées », c’est-à-dire l’ensemble des discriminations à l’égard des femmes telles que la ségrégation professionnelle. L’emploi des femmes est en effet concentré dans des métiers et des secteurs peu valorisés : 97 % des secrétaires, 90 à 95 % des aides à domicile, aides ménagères et aides-soignantes, et 75 % des employées administratives de la fonction publique sont des femmes. Par ailleurs, au sein d’un même secteur ou d’un même métier, les femmes occupent souvent des positions plus subalternes, et plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes ». Selon le rapport Oxfam, si rien ne change, il faudra encore 5 années pour atteindre l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes.
La mesure n’aura sans doute pas d’effet systémique, mais à l’instar des autres lois en faveur de la parité, elle participera à faire bouger les lignes. Depuis la crise financière de 2008, la rémunération des dirigeant·es d’entreprises cotées est publique. Les conséquences de cette mesure ne sont pas forcément celles anticipées. « Les rémunérations des dirigeant·es des sociétés cotées ont augmenté depuis 2008. Cela s’explique par un effet d’image. Aucune entreprise ne souhaite que son ou sa dirigeant·e soit moins payé que les autres », conclut Sandrine Dorbes.